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La Santé mentale, grande cause nationale : “Il faut que la société prenne le problème à bras-le-corps”


Tabou, effrayant, honteux ? La santé mentale reste un sujet difficile à aborder, aussi bien en société que dans les cercles familiaux. Et la stigmatisation perdure, même si la parole se libère peu à peu. En particulier depuis la pandémie de Covid qui, si elle a accentué la dégradation de la santé mentale – notamment chez les jeunes -, a aussi eu le mérite de mettre en lumière ce sujet. Et tant mieux, car il y a urgence. Chaque année, près de treize millions de Français sont concernés par un trouble psychique et 9 000 personnes se suicident. Mardi 8 octobre, un nouveau sondage, réalisé cette fois-ci par Ipsos pour AXA Prévention, confirme l’ampleur des maladies psychiatriques. Selon ces travaux, 36 % des 2 000 participants sont en état de détresse psychologique – dont 54 % des moins de 35 ans et 56 % des moins de 25 ans. Et 60 % des participants estiment qu’il est préférable de ne pas révéler leur problème de santé mentale afin de ne pas être mis à l’écart.

Mardi 1er octobre, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé que la santé mentale sera la “grande cause nationale” de l’année 2025. Ce dispositif permet de mettre en avant une cause grâce à la diffusion gratuite de spots sur les télévisions et radios publiques au profit d’organismes à but non lucratif et d’associations. Une décision réclamée depuis desmois par le collectif “santé mentale grande cause nationale 2025”, qui regroupe 23 acteurs représentant plus de 3 000 structures travaillant dans le champ de la santé mentale (psychiatrie, médico-social, recherche, etc.). Mais face à l’ampleur des besoins de nombreuses voix espèrent qu’outre la médiatisation gratuite, des moyens et de solutions à la hauteur du problème seront également mis en œuvre.

En attendant, trois représentants du collectif “santé mentale grande cause nationale” interrogés par L’Express, Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale d’Alliance pour la Santé Mentale, Aude Caria, directrice de Psycom-Santé mentale Info ainsi que Jean-Philippe Cavroy délégué général de la Fédération Santé Mentale France, comptent sur ce label pour briser les tabous, et informer au mieux la population.

L’Express. De quoi parle-t-on quand on évoque la “santé mentale” ? Le terme semble fourre-tout : pourquoi ne pas parler directement de maladies mentales ?

Les petits sujets de santé mentale peuvent paraître dérisoires face aux maladies psychiques lourdes, avec des symptômes persistants. Pourtant, il faut comprendre qu’il existe un continuum entre le bien-être, la souffrance psychique et les troubles qui peuvent nécessiter des soins. Notre santé mentale peut être perturbée peu à peu, jusqu’à arriver à un état de diagnostic psychiatrique : dépressions, troubles bipolaires, troubles anxieux etc.

Elle est aussi en mouvement tout au long de notre vie, avec des hauts, des bas et la possibilité de se rétablir. Cela implique de ne pas avoir une vision uniquement centrée sur le trouble et le soin, mais aussi sur l’importance de l’information, de la prévention et de la prise en compte des déterminants sociaux, économiques et environnementaux. Bref, de tout ce qu’on peut faire pour éviter que la santé mentale soit perturbée au point que cela se manifeste par des troubles sévères et persistants.

Pourquoi faut-il porter aujourd’hui une attention plus importante aux questions de santé mentale ?

Parce que la situation est urgente. Il faut que la société prenne le problème à bras-le-corps. Nous voulons aussi briser les tabous. Plus personne n’a honte d’avoir un cancer, car ce n’est pas déshonorant. C’est malheureusement encore le cas pour une maladie psychique, même pour un passage dépressif “léger”. Une grande campagne d’information peut aider à libérer la parole. Et nous pensons que la société est prête à avoir cette discussion. Le besoin d’informations est, aussi, très fort. En France, nous accusons un sérieux retard. D’autres pays, comme le Canada, l’Australie, l’Angleterre, ont organisé les premières grandes campagnes de sensibilisation il y a plus de 30 ans.

Vous dites que la société est enfin prête à casser certains tabous, pourquoi ?

La parole se libère depuis quelques années, en particulier depuis la pandémie de Covid-19 lors de laquelle le monde ou presque a été touché. Depuis, nos différentes structures reçoivent chaque jour de plus en plus de questions de la part d’enseignants, d’élus, de la protection judiciaire etc. qui veulent mieux comprendre ce sujet. Il y a aussi, depuis une quinzaine d’années, l’émergence de la parole des aidants qui ne veulent plus accepter certaines choses, comme le fait que les personnes touchées ne soient parfois plus considérées comme des citoyens à part entière. Dans le milieu de l’entreprise aussi, on voit l’émergence de sujet liée au stress, au burn-out. La santé mentale est d’ailleurs la première cause d’arrêt maladie longue durée. Certaines entreprises cherchent des solutions.

Vue l’ampleur des problèmes, le label Santé mentale grande cause nationale ne fait-il pas l’office d’un sparadrap sur une plaie béante ?

Cela va être miraculeux (rire) ! Plus sérieusement, avoir un coup de projecteur sur ce sujet est déjà très important. Oui, la grande cause nationale offre “seulement” un espace de communication gratuit. Mais il s’agit d’un levier pour trois objectifs clairs : informer, faire de la prévention et déstigmatiser. C’est un bon début. Cela ne nous fait pas oublier que la réponse globale se fera sur le long terme.

Ce label pourrait aussi aider à mettre en place une politique de prévention, par exemple en améliorant le dépistage précoce. Si nous y parvenons, il y aura un impact concret en améliorant la vie des personnes qui ont des troubles. Enfin, les acteurs publics vont pouvoir s’emparer du sujet et le mettre en haut de la pile des priorités. Cela peut être l’occasion pour nous de continuer à le porter haut et fort, pour que le gouvernement nous aide à trouver des solutions.

Justement, la valse des ministres de la Santé depuis deux ans ne vous inquiète-t-elle pas ?

Malgré ces changements, il reste une continuité des politiques publiques. Et c’est la première fois que nous entendons un Premier ministre s’engager de cette manière publiquement. La ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq, elle, s’est également positionnée sur ces questions dès sa prise de fonction. Elle a par exemple suggéré d’ouvrir la délégation ministérielle qui s’occupe de la santé mentale et de la psychiatrie afin d’en faire une délégation interministérielle. Cette décision est réclamée de longue date par l’ensemble des partenaires parce que nous savons que la santé mentale n’est pas seulement un problème de troubles ou de maladies, mais qu’elle est liée à l’éducation, à la politique de logement, à l’organisation du travail, à la lutte contre les violences ou contre la pollution (auditive par exemple), etc.

Reste qu’une campagne de communication de quelques millions d’euros ne pourra pas combler tous les problèmes. Quelle somme faudrait-il pour commencer à faire bouger les choses ?

Il est pratiquement impossible de donner un chiffrage. Nous savons néanmoins que le coût total de la prise en charge des personnes diagnostiquées avec un trouble psychiatrique et l’ensemble des traitements psychotropes est évalué à 25 milliards d’euros. Soit le premier poste de dépense de l’Assurance maladie. Et encore, cela concerne seulement une petite partie de la “santé mentale”. L’OCDE indique, plus globalement, que la somme des coûts directs et indirects de la santé mentale correspond à environ 4 % du PIB.

Mais l’argent n’est pas la seule réponse ni le seul problème. Il y a par exemple des postes de psychiatres et de pédopsychiatres ouverts et financés qui ne trouvent pas preneur. Un poste de psychiatre sur trois n’est pas rempli. Un pédopsychiatre sur deux manque. Il y a donc un souci d’attractivité du métier, de conditions de travail. Pourquoi et comment les rendre plus attirants ? Certains pays ont réussi à le faire, comme l’Australie, qui a fait passer la psychiatrie dans le top cinq des spécialités choisies par les étudiants en médecine (il s’agit du dernier choix en France).

On peut aussi se demander comment s’appuyer sur les métiers ou les organisations émergents, comme les infirmiers en pratique avancée [NDLR, IPA, des infirmiers expérimentés aux responsabilités élargies], les équipes mobiles [NDLR, qui se déplacent au domicile des patients]. Des études montrent par exemple que les médiateurs santé peuvent avoir des effets positifs. Il s’agit aussi de s’interroger sur les pratiques de soins, qui peuvent évoluer. Nous croyons que nous sommes arrivés au bout de la réponse psychiatrique. Nous ne pourrons nous en sortir qu’en impliquant l’ensemble des sphères de la société qui peuvent alléger la psychiatrie en souffrance.

Justement, la santé mentale est l’une des premières cibles des traitements non conventionnels, des méthodes non prouvées scientifiquement et/ou critiquées, comme la psychanalyse, ou encore des dérives sectaires…

Les membres du collectif sont orientés “médecine basée sur la preuve”, avec des personnes qui ont une rigueur scientifique forte. Nous avons dans le collectif des organismes dont la mission est de produire une information fiable, accessible et indépendante, comme Psycom, dont les fiches d’informations indiquent systématiquement si une thérapie est basée sur des données probantes [NDLR, des preuves scientifiques] ou non. Et nous informons sur les risquesde dérives sectaires liées à certaines pratiques.

Mais cette rigueur ne veut pas dire que nous excluons l’ouverture d’esprit car, pour aider les personnes atteintes de troubles ou maladies, il faut prendre en compte de nombreux aspects de leur vie. Cela peut être l’activité physique, la quête de sens, d’espoir, d’estime de soi ou de spiritualité. Il faut, bien sûr, rester vigilant sur ces sujets, sans tordre la réalité. Mais ce qui nous guide est de déterminer comment respecter la personne tout en étant au service de son rétablissement.




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