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Peinture : la double vie d’Hilma af Klint au coeur d’une exposition à Bilbao

Quand, à l’automne 1944, Erik af Klint, vice-amiral de la marine royale suédoise, prend connaissance des dernières volontés de sa tante Hilma qui vient de mourir, il se retrouve en possession de caisses scellées. Avec une consigne posthume stricte : attendre au moins vingt ans pour les ouvrir. Ce n’est donc qu’à la fin des années 1960 que plus de 1 200 tableaux sortent de l’ombre. Tous abstraits et accompagnés de 150 cahiers de notes complexes. Mais il faudra compter encore deux décennies supplémentaires pour que la production secrète de la peintre suédoise soit montrée au grand public, à Los Angeles, en 1986, dans l’exposition “Spiritual in Art : Abstract paintings 1890-1895”.Ce serontles prémices d’une reconnaissance internationale et la découverte progressive d’une pionnière, dont l’œuvre précède largement la naissance historique de l’abstraction datée par l’histoire de l’art en 1912 avec d’illustres représentants nommés Kandisky, Mondrian ou Kupka.

Pendant près de quarante ans, Hilma af Klint a mené une double vie. Née en 1862 dans une famille d’officiers anoblis, férus d’astronomie et de mathématiques, elle se forme aux Beaux-Arts de Stockholm, l’une des rares institutions artistiques à accueillir des femmes. Ses premiers paysages montrent un talent précoce, à l’instar de la toile qu’un Corot aurait pu signer que l’on retrouve en ouverture de la rétrospective proposée à la Fondation Guggenheim de Bilbao. De cette peinture naturaliste maîtrisée, l’artiste fera d’ailleurs son activité “officielle” et son gagne-pain tout au long de sa vie.

Photographie d'Hilma af Klint dans son atelier de Hamngattan à Stockholm.
Photographie d’Hilma af Klint dans son atelier de Hamngattan à Stockholm.

Mais, dès la fin du XIXe siècle, dans l’ombre, celle qui s’adonne au spiritisme, alors en vogue, se passionne pour la théosophie. Féministe avant l’heure, elle crée le groupe Les Cinq (de Fem), qui pratique l’écriture et le dessin automatiques. Ce sont les esprits, elle en est convaincue, qui lui dictent ensuite la réalisation de sa série emblématique, Peintures pour le temple, commencée en 1906 et regroupant 193 compositions. Elle y évoque, dans des cercles de lettres et de signes, les enseignements théosophiques sur l’origine du monde et la quête d’une unité perdue visant à réunir les forces opposées – bien et mal, masculin (jaune) et féminin (bleu).

Si cette recherche spirituelle est au cœur de son travail, il faut lui adjoindre sa fascination pour les sciences, héritée de son père. En 1917, Hilma af Klint produit une série sur la matière invisible. “Les théosophes soutiennent que l’atome peut être vu par le biais de la clairvoyance et pour Hilma af Klint, fascinée par le monde naturel, il est une porte sur le cosmos”, pointe la commissaire Lucia Agirre. Dans ses cahiers, l’artiste notera que la particule suit un processus de développement comparable au chemin spirituel auquel elle croit.

“L’Arbre de la connaissance, Série W, no 1, 1913.

Cependant, tout comme les compositions géométriques pétries d’ésotérisme et les aquarelles d’inspiration botanique qui suivront, ces travaux abstraits ne sont montrés du vivant d’Hilma qu’à quelques initiés. Le rejet du Temple, son œuvre majeure, par Steiner, le fondateur de l’anthroposophie, a confirmé le ressenti de l’artiste : le monde n’est pas prêt à croquer les fruits de sa réflexion, elle en réservera donc la primeur à la société future. Et pour faciliter la tâche des historiens de l’art de demain, elle classifie, roule, stocke soigneusement ses toiles dans son atelier, à l’abri des regards. Un pari gagnant puisqu’elle est célébrée aujourd’hui sur tous les continents et qu’une imposante fondation porte son nom à Stockholm.




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