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Mémoires d’Angela Merkel : ses vérités face au jugement de l’histoire, par Marion van Renterghem


Freiheit. Liberté. Freedom. Libertad. Ce ne sont que quelques-uns des titres des Mémoires d’Angela Merkel, dont la fabrication en plusieurs langues fut entourée du plus grand secret, avec gardes du corps autour des photocopieuses dans les maisons d’édition – et une déclaration de confidentialité à signer en échange d’un jeu d’épreuves, quelques jours avant leur parution simultanément dans 30 pays, ce mardi 26 novembre. De l’Allemagne à l’Ukraine, leur accueil promet d’être brutal. La chancelière, qui a quitté le pouvoir le 8 décembre 2021 avec une popularité au sommet, après quatre élections et seize années à la tête du gouvernement allemand, a chuté de son piédestal à grande vitesse le 24 février 2022. C’était il y a un peu plus de mille jours. L’armée russe franchissait la frontière de l’Ukraine, Poutine lançait sa guerre d’invasion en violation du droit international et des textes reconnaissant l’intégrité territoriale de l’Ukraine dont la Russie était signataire. Les Ukrainiens, depuis, résistent avec le courage que l’on sait et les alliés limités que l’on connaît.

L’Allemagne, elle, s’est retrouvée toute nue. Le chancelier Olaf Scholz a été obligé d’acter devant le Bundestag un “changement d’époque” (“Zeitenwende”), de renoncer à la mise en service du pipeline Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne, d’investir comme jamais dans sa défense. La première puissance économique européenne est désormais privée du gaz russe bon marché, l’un des trois piliers sur lesquels elle avait fondé son modèle. Les deux autres s’effondrent aussi : la Chine, qui n’offre plus le même débouché aux exportations, et les Etats-Unis, qui ne veulent plus prendre en charge la sécurité de l’Europe. Le pays s’apprête à connaître une récession pour la deuxième année consécutive. Depuis le départ d’Angela Merkel, l’Allemagne est en déroute et l’ex-chancelière en disgrâce. Est-elle la grande responsable du déclin ? Etait-elle au contraire la seule capable d’en tenir la boussole ? Ou les deux, mon capitaine ?

Ses Mémoires, commencées dans l’enthousiasme d’une retraite méritée et d’un départ rythmé par les applaudissements et les larmes d’émotion, se lisent comme un exercice d’autojustification, tant le moment est mal choisi. Angela Merkel cite par exemple un message vidéo de Volodymyr Zelensky du 3 avril 2022 après la découverte du massacre de Boutcha commis par les Russes, en banlieue de Kiev : “J’invite Mme Merkel et M. Sarkozy à visiter Boutcha et à voir à quoi ont mené quatorze années de concessions à la Russie.” Le président ukrainien faisait allusion au refus par l’Allemagne et la France d’élaborer un plan d’action pour l’adhésion à l’Otan de l’Ukraine et de la Géorgie, lors d’un sommet à Bucarest en 2008. L’ex-chancelière, visiblement piquée, juge bon d’expliquer pourquoi, au moment de Boutcha et de ce message, elle était en vacances à Florence – “c’était le premier voyage d’agrément que je faisais depuis mon départ de la chancellerie”.

On ne peut juger le passé avec la connaissance du présent

Et de revenir longuement sur les raisons de sa décision “difficile” prise à Bucarest. En “harmonie” avec son ministre des Affaires étrangères social-démocrate Frank-Walter Steinmeier et avec le président français Nicolas Sarkozy, elle s’est opposée à la volonté des Etats-Unis de George W. Bush et d’une partie de l’Europe d’octroyer à l’Ukraine et à la Géorgie un statut de candidat à l’adhésion à l’Otan. En gros, estime-t-elle, ce statut ne les aurait pas protégés d’une agression de Poutine, et aurait pu avoir des conséquences néfastes sur la sécurité de l’Alliance.

Comme pour les autres décisions controversées qui ont marqué ses quatre mandats – gestion de la crise financière et de la dette grecque, arrêt du nucléaire, accueil des migrants, tolérances envers la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping, faiblesse des dépenses de défense -, Angela Merkel s’explique à la manière de la protestante qu’elle est : avec honnêteté, sans mensonges, mais en choisissant ses omissions et sans jamais s’excuser de rien. Selon un principe : on ne peut juger le passé avec la connaissance du présent. Qu’elle nous convainque ou pas, ses Mémoires sont un passionnant document d’histoire sur ces vingt premières années du XXIe siècle où l’Allemagne, la France, l’Union européenne et l’Occident étaient encore puissants.

Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)




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