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“Avec moi la cohabitation serait plus dure” : comment François Bayrou a obtenu Matignon


En janvier 2024, François Bayrou n’est pas content. Gabriel Attal a été nommé Premier ministre et il déteste ce jeune homme trop bien élevé – mais seulement en apparence. Alors il dit au président : “Je ne comprends pas ce choix, pour la première fois, je ne vous comprends pas.” A la longue, Emmanuel Macron connaît son Béarnais : “Non, vous m’aviez déjà dit la même chose pour Edouard Philippe.” La réplique ne se fait pas attendre : “Et qui avait raison ?”

En décembre 2024, François Bayrou est content. Enfin. Quand le train, une nouvelle fois, lui était passé sous le nez avec Michel Barnier, il avait soupiré : “Il n’a pas fait de politique depuis quinze ans, ça se perd en trois mois.” Voilà un reproche qu’on ne pourra lui faire, lui qui a été, est et sera toujours plongé dans la politique jusqu’au cou. C’est un métier ! Il sait parler. “Les caisses sont vides, il faut trouver les mots”, confiait-il avant l’été. Il sait parler aux autres – il l’est des rares à le faire avec tout le monde, à l’exception de Nicolas Sarkozy. Avec Bernard Cazeneuve, avec François Hollande, avec Robert Ménard même, le maire de Béziers un temps proche de Marine Le Pen. Il ne lui a pas échappé non plus que certaines de ses phrases ont été utilisées par François Ruffin dans un tract de sa campagne pour les législatives.

A la fin des années 1980, le tout jeune Bayrou se rend rue Bénouville, au domicile de Valéry Giscard d’Estaing. C’est la première fois. Il a donc pris son courage à deux mains : “Monsieur le président, savez-vous pourquoi vous n’avez plus d’amis ? Vous traitez les gens, ils sont en extase et puis plus rien. L’amour se transforme en haine.” Il y a longtemps qu’il s’amuse à comparer les similitudes entre les deux plus jeunes chefs d’Etat de la Ve République et notamment cette disposition d’esprit qui les amène à croire que, parce qu’on a une idée en tête, elle se réalisera.

Sacré malentendu

Car François Bayrou a appris à connaître son Macron, depuis le premier SMS, furibard, qu’il lui avait envoyé en juillet 2016 parce qu’il l’accusait d’avoir immédiatement fait fuiter le dîner au cours duquel les deux hommes avaient fait connaissance. Il sait son goût pour les coups – “Ce sont des générations marquées par les médias et par le besoin d’épater la galerie.” Il en a encore redouté un ces derniers jours, qui aurait été susceptible de faire échouer sa nomination à Matignon. Il sait surtout sa propension à refuser l’idée que doit toujours exister quelque part une solution pour que lui, Emmanuel Macron, ne perde pas le pouvoir. Pas complètement, pas longtemps.

Oui, il le connaît, alors il n’a pas oublié certaines conversations, savoureuses avec le recul, quand le président voulait supprimer la fonction de Premier ministre. C’est tellement contraire à toute la construction de François Bayrou : lui croit à un chef de gouvernement qui n’est pas un exécutant, qui a un vrai rôle. “Avec moi, la cohabitation serait plus dure !”, aimait-il dire, bravache, avant que ce fût son heure. Car quand le Palois a une idée en tête, il ne l’a pas ailleurs. Il reste un défenseur d’une lecture classique des institutions : l’exécutif et le Parlement doivent être déconnectés, c’est pourquoi il récuse le terme de coalition : ce ne sont pas les partis qui décident des ministres, sinon “ce n’est plus un gouvernement, ce sont des délégations”. C’est dire si la nouvelle série de consultations lancées par le président, qui avait juré qu’il ne la ferait pas, va à l’encontre de la lecture béarnaise de la Constitution – un sacré malentendu en guise de premiers pas pour le nouveau couple exécutif.

Partir et revenir. François Bayrou, lui, est un grand brûlé de l’Education nationale. Il est presque 23 heures, le dimanche 16 janvier 1994. Dans l’après-midi, un million de personnes ont marché dans Paris pour protester contre la révision de la loi Falloux (sur le financement de l’enseignement privé par les collectivités locales). Le ministère est presque désert, le standard sonne. Et qui décroche ? François Bayrou, ce jeune ministre qui se rêve déjà président et sent ce jour-là passer le vent du boulet. Maintenant il ne décroche plus, il s’accroche : il se rappellera toujours qu’il a failli trébucher au moment même où il entamait sa marche du pouvoir. Cela ne l’incitera pas à multiplier les courses, lui l’adepte du no sport churchillien, tant qu’il sera rue de Bellechasse, entre 1993 et 1997. Il réussira à enterrer l’une des promesses phares du candidat Chirac, un référendum sur l’école, parce que l’idée lui déplaisait.

Relation contrariée avec Alexis Kohler

Plus récemment, ce sont les desseins d’Alexis Kohler pour le collège unique et les enseignants qu’il parvient à briser. Fin de campagne présidentielle 2022, lors d’un dîner de travail à l’Elysée, François Bayrou découvre deux projets de l’équipe qui élabore, avec le secrétaire général de l’Elysée, le programme du candidat Macron : l’orientation précoce ou la possibilité de construire un collège à la carte et l’indexation de la rémunération des professeurs sur l’obtention par leurs élèves de bons résultats. Il se cabre, gronde et obtient gain de cause.

Contredire le “cerveau du président”, voilà finalement le seul sport que Bayrou pratique avec enthousiasme. “Je n’ai jamais eu aucun problème personnel avec Kohler, j’ai un problème politique assez souvent, a-t-il coutume de claironner. Il n’aime pas mon influence, il a tout fait pour la contrecarrer, dix fois.” Entre eux, le maire de Pau et le technocrate, l’histoire achoppe dès les premiers instants sur la proportionnelle que le premier réclame autant que le second l’enterre, donnant l’occasion au premier d’accuser le second de “ne rien comprendre au sujet”. Mais le problème, au fond, n’est pas celui-là. Le vrai scandale, pense François Bayrou, est qu’Alexis Kohler a “la haute main sur l’Etat et sur Emmanuel Macron”, faisant de ce dernier “un président sous influence”. Pire, il a réussi, au fil des années et des Premiers ministres, à étendre son emprise. Elisabeth Borne, Gabriel Attal… des purs télégraphistes de l’administration kohlerienne. Que personne ne compte sur lui pour être “le mec qui copie ce que Kohler lui dit”.

Désormais, François Bayrou est Premier ministre, et l’Elysée n’a qu’à bien se tenir. Qui se souvient de cette parole d’un ponte de la Macronie : “Bayrou est dans la charrette de ceux dont les Français ne veulent plus” ? C’était en 2017, il semblerait que depuis la promesse de l’aube ait vécu.




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