C’est un mouvement de grogne qui vient de la base et qui s’intensifie notamment à travers les réseaux sociaux. Dans les couloirs du Sénat américain, à Washington, quelques dizaines de manifestants ont fait du porte-à-porte mercredi pour protester contre les coupes massives dans le gouvernement fédéral menées sous l’impulsion d’Elon Musk. Des manifestations similaires se déroulent un peu partout dans la capitale américaine et ses environs, où travaillent des centaines de milliers d’agents fédéraux. Elles s’inscrivent dans le cadre d’un mouvement de protestation croissant contre les réductions de personnel et de dépenses décidées par le principal lieutenant du président Donald Trump.
La Maison-Blanche a demandé mercredi à l’ensemble des agences fédérales de se préparer à des licenciements massifs de fonctionnaires en “éliminant les postes qui ne sont pas nécessaires”. Le directeur du Bureau de direction et du budget (OMB) Russell Vought a demandé aux agences fédérales de mettre en place un guichet de départ, de ne pas remplacer les départs programmés et de se séparer des employés considérés comme “insuffisamment performants”. Le gouvernement américain a lancé un premier plan de départ, impulsé par le multimilliardaire Elon Musk, proposant à des employés fédéraux de quitter leur emploi en échange du maintien de leur salaire sur plus de six mois. Plus de 75 000 employés l’ont accepté, selon la Maison-Blanche, sur un total d’environ deux millions.
Démissions et plaintes en justice
Certains manifestent leur colère en démissionnant. Une vingtaine de fonctionnaires intégrés aux effectifs pilotés par Elon Musk ont présenté leur démission collective mardi dans un courrier adressé à la Maison-Blanche. Leur départ représente une réduction de près d’un tiers du personnel du Doge. La désormais célèbre commission pour l’efficacité gouvernementale, chargée de réduire drastiquement les dépenses de l’administration, est supervisée par le patron de Tesla, de Space X et du réseau social X, mais celui-ci ne la dirige pas officiellement, selon une mise au point de la Maison-Blanche le 18 février.
Le Pentagone, le FBI et d’autres agences ont demandé aux fonctionnaires de ne pas répondre dans l’immédiat à l’ordre d’Elon Musk de justifier par courriel de leur activité. S’il est trop tôt pour connaître les répercussions de ces coupes dans le fonctionnement du gouvernement américain, elles ont en tout cas plongé des milliers de fonctionnaires dans l’incertitude. Des dizaines de plaintes en justice ont été déposées contre les menaces ou les exigences d’Elon Musk, avec des résultats mitigés. L’AFGE, le principal syndicat de fonctionnaires fédéraux, a promis de contester devant les tribunaux les licenciements, qu’il juge illégaux. Par ailleurs, selon un sondage Washington Post-Ipsos dévoilé en février, une majorité d’Américains disent s’opposer aux mesures prises par Donald Trump visant à licencier un grand nombre d’employés fédéraux.
La grogne de certains républicains
Le malaise gagne jusqu’aux rangs du Parti républicain de Donald Trump, qui contrôle à la fois la Chambre des représentants et le Sénat. Le sénateur républicain John Curtis a ainsi exhorté Elon Musk à faire preuve de “compassion”. De son côté, la sénatrice républicaine Lisa Murkowski (Alaska), une modérée, a qualifié “d’absurde” la demande faite par Elon Musk aux fonctionnaires dans un post publié sur X le 23 février. “Si Elon Musk veut vraiment comprendre ce que les fonctionnaires fédéraux ont accompli comme travail au cours de la semaine dernière, il devrait apprendre à connaître chaque ministère et agence et se renseigner sur les emplois qu’il essaie de supprimer”, a-t-elle écrit. “Nos fonctionnaires méritent d’être traités avec dignité et respect pour le travail qu’ils accomplissent sans que personne ne leur en fasse la publicité. Ce n’est pas le courriel absurde envoyé ce week-end pour justifier leur existence qui en est la cause”, a-t-elle déploré.
Le sénateur républicain Thom Tillis (Caroline du Nord) a également critiqué la directive d’Elon Musk, affirmant qu’il soutenait la décision des dirigeants de certaines agences d’ignorer les ordres. “Si j’étais un membre confirmé de l’administration et que quelqu’un d’autre me posait des questions sur mon personnel, cela me poserait un problème”, a déclaré Thom Tillis au Washington Post.
Elon Musk, “modeste technicien informatique”
Après avoir dépensé un quart de milliard de dollars pour aider à l’élection de Donald Trump en novembre 2024, Elon Musk est devenu un membre important de la période de transition entre l’administration Biden et celle de Trump, participant à des réunions sans y être invité et faisant pression afin de placer des proches à des postes au cabinet, selon une demi-douzaine de sources interrogées par Reuters.
Le multimilliardaire est toujours aux premières loges du pouvoir. Elon Musk a ainsi participé mercredi au premier conseil ministériel du second mandat de Donald Trump. Il a été invité en tant que chef du Doge. Le président américain a mis en scène sa proximité avec le patron de Tesla, à l’heure où la presse américaine fait état de tiraillements entre l’homme le plus riche du monde et certains ministres. Habillé tout en noir comme à son habitude et coiffé d’une casquette, Elon Musk a été invité à s’exprimer devant les journalistes présents et le gouvernement au complet. Il s’est présenté comme un “modeste technicien informatique”. Les ministres sont “enchantés” de l’action d’Elon Musk, a par ailleurs assuré Donald Trump lors de cette réunion.
Des frictions à la Maison-Blanche ?
En coulisses, selon Reuters, des conflits au sein même de la Maison-Blanche et de l’administration Trump se déroulent depuis plusieurs semaines. Ainsi, d’après cette agence de presse, durant les premières semaines de la nouvelle administration Trump, certains responsables de la Maison-Blanche ont exprimé des inquiétudes quant aux tactiques du Doge. La cheffe de cabinet Susie Wiles aurait pris Elon Musk à part afin de lui demander de la mettre au courant de ses plans, au lieu de surprendre son équipe avec des décisions majeures, selon deux sources distinctes au courant de la conversation qui ont parlé sous couvert d’anonymat à Reuters.
Après cette conversation, Elon Musk aurait commencé à tenir Susie Wiles quotidiennement informée des activités du Doge, a déclaré l’une des deux sources. La Maison-Blanche pensait avoir obtenu l’accord d’Elon Musk afin qu’il demande l’approbation des secrétaires du cabinet avant d’utiliser l’agence des ressources humaines du gouvernement, l’Office of Personnel Management (OPM), pour l’envoi des courriels aux fonctionnaires fédéraux, ont déclaré ces deux sources. Mais ce plan semble avoir rapidement échoué après que Donald Trump a exhorté samedi Elon Musk à “être plus agressif” dans son offensive contre les fonctionnaires.
Les employés et certains responsables de l’administration Trump, ainsi que la Maison-Blanche, auraient de nouveau été pris au dépourvu par l’initiative d’Elon Musk de demander aux fonctionnaires de justifier leur activité, indique Reuters. Sollicitée par ce média, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, a de son côté indiqué dans un communiqué que les sources de Reuters étaient “erronées” et que la “Maison-Blanche n’avait pas été prise au dépourvu”.
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