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IVG : aux Etats-Unis, ce piège qui se referme sur les républicains


C’est une pub très émouvante. Assise dans son salon à côté de son mari, Amanda Zurawski sort d’une boîte un vêtement de bébé, une couverture et divers objets qu’elle a préparés pour la naissance de sa petite fille Willow, conçue par fécondation in vitro (FIV). Elle n’a jamais pu les utiliser. Cette femme de 37 ans a perdu les eaux à dix-huit semaines de grossesse, ce qui a mis un terme à son rêve de maternité. Mais les médecins ont refusé de pratiquer un avortement car le Texas l’interdit en presque toutes circonstances, sauf si la vie de la mère est en péril. Ce n’était pas son cas, a estimé l’hôpital qui l’a renvoyée chez elle. Trois jours plus tard, Amanda Zurawski s’est retrouvée aux urgences avec une septicémie et a accouché d’un bébé mort-né. Elle a manqué de mourir et risque de ne plus jamais avoir d’enfant. “C’est Trump qui a fait cela”, conclut la pub créée par les équipes de Joe Biden.

Les démocrates ont fait des droits reproductifs l’un des thèmes centraux de leur campagne présidentielle. La décision de la Cour suprême, il y a presque deux ans, de supprimer le droit constitutionnel à l’IVG et de laisser aux Etats le soin de légiférer a suscité une avalanche de lois très restrictives. Aujourd’hui, 17 d’entre eux interdisent presque totalement la procédure, même en cas de viol, d’inceste et de danger pour la santé de la mère, ou la bannissent après six semaines de grossesse, une période durant laquelle les femmes ignorent souvent qu’elles sont enceintes.

Ces mesures ont galvanisé une partie de l’opinion publique qui, depuis, manifeste son hostilité dans les urnes. Partout où l’avortement a été l’enjeu d’un scrutin, les pro-IVG ont gagné. Y compris dans le très conservateur Alabama. Marilyn Lands, une candidate démocrate au Congrès local, a basé toute sa campagne sur ce sujet, allant jusqu’à raconter sa propre interruption de grossesse. A la surprise générale, elle a remporté le siège avec plus de 25 points sur son adversaire républicain. “Les droits reproductifs sont un thème porteur pour les démocrates. Il va jouer un rôle clé lors des élections de novembre et pourrait doper le taux de participation”, affirme Joshua Wilson, professeur de sciences politiques à l’université de Denver.

“Jusqu’où va-t-on aller ?”

Car il n’y a pas que l’avortement. En février, la Cour suprême de l’Alabama a statué que les embryons congelés au cours d’une FIV devaient être considérés comme des “enfants”. Aussitôt, les cliniques de fertilité ont arrêté tout traitement, de peur d’être traînées devant les tribunaux pour meurtre, en cas de destruction accidentelle d’un embryon. La décision de la Cour pose moult questions. Peut-on détruire par exemple un embryon une fois que l’on a eu des enfants ? Devant le tollé, les républicains ont fait voter en catastrophe une loi pour protéger de poursuites les cliniques et leurs patientes.

Les démocrates ont évidemment exploité l’affaire pour dénoncer l’extrémisme des conservateurs. “Ils s’en sont pris au droit à l’avortement et maintenant à la FIV. Quelle est la prochaine étape ? La contraception ? Jusqu’où va-t-on aller ?” a déclaré sur X Whitney Fox, une candidate de Floride. Très loin, si l’on en croit les projets des anti-IVG. Ils se battent pour que le fœtus obtienne le statut de “personne”, essaient d’empêcher que l’on aille se faire avorter dans un autre Etat. Et surtout, ils espèrent faire interdire la pilule abortive, clamant qu’elle est dangereuse pour la santé. La Cour suprême doit statuer d’ici à la fin juin. Si elle ne leur donne pas raison, ils veulent remettre en vigueur une loi de 1873 qui permettrait de bloquer son envoi par la poste. Beaucoup de femmes reçoivent en effet le comprimé par courrier après une téléconsultation avec un médecin officiant dans un autre Etat.

Les neuf Sages doivent examiner un autre cas crucial. L’Idaho autorise l’avortement seulement lorsqu’il est “nécessaire d’empêcher la mort de la femme enceinte”. Pour l’administration Biden, c’est une violation de la loi fédérale, qui impose aux hôpitaux de traiter toute urgence médicale. Au moins six futures mamans ont déjà dû être transportées par hélicoptère dans d’autres Etats, à la suite de complications. Si la Cour suprême se prononce en faveur de l’Idaho, “c’est la destruction du système médical, estime Sara Rosenbaum, spécialiste du droit de la santé à l’université George-Washington. Aujourd’hui, les hôpitaux refusent de traiter les grossesses. Demain ils peuvent décider de ne plus accepter tel type de patients ou de maladies.”

Toutes ces mesures ont déjà des conséquences dramatiques. Une femme a fait une fausse couche dans les toilettes des urgences d’une clinique de Houston parce que le personnel médical refusait de la soigner. Dans un rapport récent sur la Louisiane écrit par des organisations pro-IVG, certains médecins ont forcé des patientes dont le fœtus n’était pas viable à subir une césarienne pour éviter de pratiquer un avortement et risquer des poursuites. “C’est très alarmant. Tout le sud des Etats-Unis, une région très pauvre, est privé d’accès à l’IVG, poursuit la Pr Rosenbaum. Les médecins sont terrifiés à l’idée de perdre leur licence, d’avoir à payer des amendes ou d’être emprisonnés.” Beaucoup migrent vers d’autres Etats, où l’avis médical ne dépend pas d’un juge.

Offensive démocrate

Comme au Texas. Kate Cox est enceinte de vingt semaines lorsqu’on lui annonce que son bébé est atteint de trisomie 18, une anomalie fatale la plupart du temps et qui peut provoquer des complications dangereuses chez la mère. Compte tenu de la loi, les médecins refusent de pratiquer un avortement thérapeutique. Kate Cox dépose alors un recours en justice qui autorise la procédure. Mais le procureur général saisit la Cour suprême de l’Etat, affirmant que cette décision “ouvre les vannes” à toutes sortes d’abus. Et obtient gain de cause. Cette mère de deux enfants quitte finalement le Texas pour faire une IVG.

“Tout cela crée des tensions croissantes entre les anti-avortement et le Parti républicain, confronté à une situation difficile, explique Joshua Wilson. Tant que la Constitution protégeait le droit à l’IVG, les républicains pouvaient voter des lois extrêmes pour plaire à leur base puisqu’elles n’avaient aucune chance d’entrer en vigueur. Depuis qu’il revient aux Etats de légiférer (annulation d’un arrêt fédéral par la Cour suprême, le 24 juin 2022), le parti est confronté à la réalité : ces mesures sont très impopulaires auprès de la majorité des Américains et lui font perdre les élections.” Il cherche donc à tout prix à escamoter le sujet. Sans succès. Car les militants poussent à des lois toujours plus drastiques en Floride, en Arizona…Ils planchent notamment sur une série de mesures que Donald Trump pourrait appliquer dès son arrivée au pouvoir, s’il est réélu.

Encore faut-il qu’il les écoute ! L’ex-président se vante d’avoir nommé les trois juges à la Cour suprême qui ont permis de supprimer la protection fédérale du droit à l’avortement, mais il a refusé de se prononcer en faveur d’une interdiction au niveau national. Le lobby anti-IVG n’a pas apprécié. Marjorie Dannenfelser, la patronne du puissant groupe Susan B. Anthony Pro-Life America, a exprimé “sa profonde déception”, tout en annonçant que son organisation allait “travailler sans relâche pour vaincre” Joe Biden. En espérant sans doute qu’une fois à la Maison-Blanche, Donald Trump se rangera à leurs idées.

En attendant, les démocrates ont lancé une énorme offensive. Outre les pubs qui racontent les histoires horrifiques de jeunes femmes, ils encouragent la tenue de référendum dans le Dakota du Sud, le Missouri et l’Arizona pour protéger l’avortement et multiplient les attaques contre les républicains. “Il y a un individu responsable de ce cauchemar, c’est Donald Trump”, a clamé Joe Biden. Quant à Amanda Zurawski qui rêvait de pouponner, elle a quitté son emploi après son expérience traumatique et milite dans la campagne de Biden. “Je ne m’attendais certainement pas à ce que ma vie prenne cette direction”, avoue-t-elle.




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