Y a-t-il une vie après François Ier ? Quand le monarque ami des arts meurt à Rambouillet en 1547, la langue française perd son plus grand défenseur, responsable en 1539 de la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts, qui fonde la primauté du français, institué en lieu et place du latin comme seule langue officielle dans les documents administratifs et juridiques. Le nouveau roi, Henri II, préfère la guerre et la chasse à la poésie. L’obscurantisme va-t-il l’emporter ? Non, car de jeunes gens inventifs et impertinents se mobilisent pour exalter la richesse et la beauté du français.
En 1549, Joachim Du Bellay, 27 ans, publie en même temps le manifeste LaDeffence, et illustration de la langue francoyse et L’Olive, le premier recueil de sonnets et de vers lyriques originaux en français – ou comment joindre la théorie à la pratique. Dans la foulée, Pierre de Ronsard, 26 ans, fait paraître ses Odes. Pontus de Tyard, Jean-Antoine de Baïf, Guillaume Des Autels, Etienne Jodelle et Jean de La Péruse complètent ce groupe mouvant qu’on appellera rétrospectivement la Pléiade.
Bizarrement, la Pléiade (la collection) n’avait encore jamais établi de volume sur cette scène. Il y avait bien eu deux tomes sur Ronsard en 1938, et une anthologie des poètes du XVIᵉ siècle en 1953, mais rien sur la Pléiade proprement dite. Déjà responsable de deux Pléiades (celle de Rabelais et celle de Louise Labé), l’universitaire Mireille Huchon répare cette anomalie en signant une remarquable édition qui allie la rigueur et le pittoresque. Car on ne s’embêtait pas avec ces gens-là… Ronsard était d’une vanité de paon (il fut le seul à parler de “Pléiade”, en se plaçant en tête), mais il fut aussi l’auteur du licencieux Livret de folastries (1553), auquel participa Marc-Antoine Muret – un humaniste à la fois érudit et égrillard qui fut ensuite accusé d’hérésie et de sodomie et s’enfuit à Venise alors qu’il était brûlé en effigie…
Les poètes de la Pléiade et le pouvoir
Qui se souvient de Jodelle, le Rimbaud du XVIᵉ siècle ? Qui se rappelle les vives querelles de ce temps sur l’orthographe et la grammaire ? Ces 1 600 pages foisonnantes permettent de réhabiliter des auteurs oubliés et de remettre en perspective certaines choses. A cause de sa mégalomanie, on imaginait bien Ronsard en André Breton avant l’heure. Dans l’appareil critique, Mireille Huchon a cette réponse : “Aucune ligne politique (ou religieuse) ne fédérait tous les écrivains réunis dans ce volume. Si les membres du groupe appelaient volontiers Ronsard le “Prince des Poëtes”, on se tromperait si l’on comparait cette “position” à celle de “pape du surréalisme” appliquée à Breton.” Entendu. Mais comment situer la Pléiade par rapport au pouvoir ? Dès qu’on parle d’un mouvement d’avant-garde se pose inévitablement la question de son institutionnalisation. Et force est de reconnaître que la Pléiade ne se limitait pas aux tavernes…
Précisons ici que la Cour ne s’arrêtait pas à Henri II : sa sœur Marguerite de France avait hérité de leur père le goût des lettres, et servait d’appui à nos poètes, lesquels la vénéraient. Et il faut dire un mot du grand Jean Du Bellay, oncle de Joachim. Diplomate ayant écumé l’Angleterre et l’Allemagne, évêque de Paris puis cardinal, ce prélat esthète et humaniste a conduit une riche carrière au plus près des Grands. Pendant le règne de François Ier, il participe avec Guillaume Budé à la création de ce qui deviendra le Collège de France. Il prononce un brillant discours lors du mariage de Catherine de Médicis et du futur Henri II. Ne crachant pas sur le luxe, ce collectionneur d’antiquités se fait construire à l’abbaye de Saint-Maur une magnifique villa à l’italienne – c’est là que Rabelais, son protégé, écrit Le Quart Livre (1552).
Sous le règne d’Henri II, le cardinal Du Bellay est envoyé en poste à Rome, où on l’imagine un temps pape. Il y reçoit son neveu de 1553 à 1557, un long séjour dont ce dernier s’inspirera pour son recueil Les Regrets (1558). Jean et Joachim Du Bellay meurent tous les deux en 1560, un an après Henri II. Ce diable de Ronsard leur survivra jusqu’en 1585, après n’avoir cessé de faire rééditer son œuvre. Se plonger dans cette passionnante Pléiade aide à mieux connaître ce qui est la préhistoire de notre langue, car rappelons que l’Académie française ne sera fondée qu’en 1634, soit près d’un siècle après La Deffence… de Joachim Du Bellay. Ces agitateurs bien nés ont beaucoup innové. Heureux qui, comme eux, ont fait un beau voyage…
La Pléiade. Poésie, poétique. Éd. de Mireille Huchon. La Pléiade/Gallimard, 1 616 p., 69 €.
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