Alors que le président de la République milite pour un nouveau grand emprunt européen en vue de financer, notamment, le réarmement du continent, l’incapacité de la France à présenter une trajectoire crédible de ses finances publiques à moyen terme, plombe cette proposition. Les agences de notation n’ont pour l’heure pas sanctionné la France… mais c’est la Commission qui pourrait le faire. L’analyse de l’économiste Shahin Vallée, chercheur au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (Conseil allemand des relations étrangères, un institut de recherche) et ancien conseiller du président du Conseil européen, Herman Von Rompuy.
L’Express : En attendant la décision de la dernière agence de notation, S & P, concernant la qualité de la dette française fin mai, de plus en plus d’économistes s’interrogent sur la trajectoire budgétaire envoyée à Bruxelles, la jugeant peu crédible voire insincère. La situation est-elle périlleuse ?
Shahin Vallée : Pour l’heure, il n’y a pas de tensions sur les marchés obligataires qui mettraient vraiment en question le financement la dette française et son coût. En clair, pas d’urgence absolue. Reste que la situation budgétaire française est singulière par rapport à celle des autres pays européens. Elle se caractérise à la fois par des niveaux de dette et de déficit très importants, mais surtout par l’absence de véritables perspectives de consolidation. Effectivement, la feuille de route budgétaire envoyée à Bruxelles ne précise aucunement les pistes de rétablissement à moyen terme. La véritable inquiétude est là.
Si la sanction ne vient pas des agences de notation ni des marchés financiers, peut-elle venir de la Commission de Bruxelles ?
C’est à peu près certain ! Bien que nous ayons voté une adaptation des règles budgétaires en Europe, cela ne change rien au fait que la France, a priori, sera mise sous procédure de déficit excessif après les élections européennes du mois de juin. Tout simplement parce que le déficit public français reste supérieur aux 3 % du PIB.
La Commission européenne va donc enjoindre la France de procéder à un ajustement budgétaire sur plusieurs années qui sera relativement important, de l’ordre en principe de 0,5 point de PIB chaque année. Cela représente une vingtaine de milliards d’euros de coupes par an dans les dépenses, de manière permanente et surtout durable. Un effort historique !
Ce n’est pas la première fois que la Commission tance la France, sans véritable effet. Pourquoi s’en inquiéter maintenant ?
C’est la critique que l’on adresse souvent aux règles budgétaires européennes : les sanctions ne sont jamais véritablement mises à exécution. C’est vrai, c’est une faiblesse. Mais ces règles jouent un rôle malgré tout. Elles servent un peu d’ancre flottante et aussi parfois de mécanismes d’alerte, à la fois pour les agences de notation et pour les marchés financiers. Surtout, je pense que la décision de la Commission européenne en juin aura un vrai coût politique pour la France.
La crédibilité budgétaire de la France est déjà largement entamée en Europe…
La France pourra faire le choix de ne pas respecter les injonctions de Bruxelles mais elle en paiera un certain prix au niveau européen. Sur sa capacité à faire bouger les lignes, à être écoutée sur d’autres dossiers. Je fais le lien avec le discours récent d’Emmanuel Macron sur l’Europe dans lequel il appelle à un grand plan d’investissement européen, à une augmentation du budget de l’Union européenne, à un nouveau fonds pour la résilience ou un nouveau fonds pour la défense… Toutes ces initiatives auront du mal à progresser si la France est perçue comme le mauvais élève budgétaire de l’Union européenne.
De nouvelles règles budgétaires un peu plus souples et moins compliquées que les précédentes ont été votées par les Etats membres il y a quelques mois. Est-ce une véritable avancée ?
La négociation a accouché d’un cadre assez décevant. Les trois grandes faiblesses des règles précédentes étaient qu’elles étaient trop complexes, pas suffisamment contracycliques et qu’elles ne protégeaient pas suffisamment l’investissement public. On pouvait espérer que ce nouveau cadre réponde assez bien à ces trois critiques. Dans les faits, ce qui a été voté et entre en vigueur aujourd’hui est, finalement, beaucoup plus complexe. En termes de simplification, nous n’avons fait aucun progrès, on a même plutôt reculé. En matière de contracyclicité, les Etats membres se sont mis d’accord sur un critère de suivi de l’évolution des dépenses. Sauf que ce cadre ne fonctionne pas quand un pays entre dans la procédure de déficit excessif et ce sont les anciennes règles qui s’appliquent.
Enfin, pour ce qui est de la dernière critique, on a fait là aussi très peu de progrès. La seule petite souplesse admise concerne les investissements publics cofinancés avec l’Union européenne. Ce nouveau cadre budgétaire que nous avons mis presque deux ans à négocier ne constitue pas une amélioration, et c’est assez regrettable. La France n’a pas été capable de mieux négocier ou, constatant qu’il était encore perfectible, de bloquer son adoption en attendant mieux. C’est un échec collectif.
Le gouvernement devrait présenter après les élections européennes un projet de loi de finances rectificative. Le gouvernement va-t-il longtemps pouvoir tenir sa promesse de ne pas augmenter les impôts ?
Cela me semble difficile de ne pas augmenter les impôts et, à la fois, de ne pas couper dans des postes de dépenses soi-disant sanctuarisés, à l’instar des retraites, de la police, de la justice, ou de l’éducation nationale… Je pense au contraire qu’il faut avoir une approche plutôt ouverte et sans tabou, aussi bien sur les recettes que sur les dépenses, et trouver des combinaisons politiques qui permettent de procéder à un ajustement qui serait le moins récessif possible et anti-redistributif possible.
Quelles pistes proposez-vous ?
J’ai été de ceux qui disaient en 2017 qu’abandonner l’ISF était une erreur. Donc, je maintiens que l’imposition du patrimoine en France est une piste. Débattons-en : doit-on imposer le flux, le stock, la transmission du patrimoine ? Plusieurs pistes sont possibles. Mais je pense qu’il ne faut pas s’interdire d’imposer le patrimoine financier, surtout quand on a vu l’explosion de la richesse financière ces dernières années.
Sur l’imposition des sociétés, il y a un petit peu de marge aussi, parce que l’imposition des entreprises est grevée par des tas de niches fiscales dont l’efficacité, à mon avis, est sujette à caution. Notamment, le crédit impôt recherche qui ne sert pas uniquement à financer de la recherche innovante. Il sert aussi à financer des investissements assez basiques, comme des équipements informatiques, dans des entreprises qui n’ont pas nécessairement besoin de bénéficier de ce crédit d’impôt.
Et sur le front des dépenses ?
Quand on parle de dépenses, on ne pourra pas faire l’économie d’un débat sur les retraites. Aujourd’hui les retraités ont des revenus médians supérieurs aux revenus des actifs et ces revenus sont mieux indexés sur l’inflation. Cela signifie que les inégalités entre retraités et actifs se creusent. On peut économiser beaucoup d’argent en sous indexant les retraites les plus élevées et en maintenant une revalorisation automatique pour les pensions les plus faibles. On ne peut pas se l’interdire !
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