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Flamanville : comment la filière nucléaire tente d’éviter un nouveau fiasco


Il devait durer cinq ans, pour un coût de 3,3 milliards d’euros. Mais son chantier s’est finalement étalé sur près de dix-sept ans, pour une facture estimée à 19,1 milliards d’euros. Emmanuel Macron était attendu ce jeudi sur le site de l’EPR de Flamanville pour assister à la fin du chargement du combustible, sans doute pour souligner que le nouveau réacteur – le plus puissant de France avec ses 1600 mégawatts – contribuera activement à l’indépendance énergétique de la France, mais le chef de l’Etat a renoncé à ce déplacement en raison de la situation chaotique en Nouvelle-Calédonie.

Une question demeure : un tel fiasco dans la construction d’un EPR est-il encore possible à l’avenir ? Plusieurs éléments laissent penser que le pire est derrière nous. Tout d’abord, les équipes chargées des futurs chantiers ne prendront sans doute plus le risque de sauter les étapes. Sur Flamanville, le manque de préparation en amont avait notamment été dénoncé par la Cour des Comptes en 2020.

“On était parti la fleur au fusil alors qu’on n’avait construit aucun projet d’une ampleur similaire au cours des 25 années précédentes. Les études préliminaires n’étaient pas assez avancées, se souvient Claude Jaouen”, Président de Consulting4TOP et ex-directeur Réacteurs et Services chez Areva. Parallèlement, la réglementation évoluait à mesure que le chantier avançait créant des complications supplémentaires. EDF aurait pu tirer les leçons des difficultés rencontrées par Areva en Finlande où la construction d’un EPR avait déjà commencé. Mais étant donné la rivalité entre les deux entreprises, ce n’était pas envisageable.

Arrogance ? Naïveté ? Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Consciente des difficultés, EDF se réorganise afin de mieux piloter les projets. Elle tente ainsi de remédier à la mauvaise articulation entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Une faiblesse pointée du doigt par les experts de la Cour de Comptes. L’entreprise table également sur l’expérience accumulée ces dernières années pour faciliter la suite.

“Cela s’était passé de cette façon lors de la construction de l’ancien parc. Il ne faut pas oublier que l’EPR de Flamanville est une tête de pont : on savait dès le départ qu’on allait sans doute prendre plus de temps et dépenser plus d’argent pour le réaliser en espérant des gains par la suite”, analyse Yves Bouvier, enseignant-chercheur en histoire à l’université de Rouen Normandie.

Cependant, à l’avenir, EDF ne pourra pas se permettre d’autres dépassements de ce genre. Pour éviter les déconvenues et réussir la relance du nucléaire, la filière va devoir continuer sa montée en compétences et recruter des dizaines de milliers de personnes. Cela va prendre des années. “Il ne faut pas se faire d’illusion. Le contexte de construction n’est pas le même que dans les années 80. Tout est plus compliqué, il y a davantage d’administratif. On ne fera pas un EPR 2 en 5 ou 6 ans. Ce n’est pas possible”, prévient un spécialiste.

La Chine va plus vite

La Chine, elle, a construit l’EPR de Taishan en dix ans. Mais comment pourrait-on rivaliser ? “Sur le chantier, 10 000 personnes travaillaient en permanence, le jour, la nuit, le week-end”, confie un expert qui s’est rendu sur place à plusieurs reprises. Aujourd’hui Pékin se targue de pouvoir livrer des réacteurs nucléaires civils en 5 ans, mais il s’agit de modèles simplifiés, plus petits et moins puissants.

Autre souci pour l’EPR, son coût. “Du fait de notre design très compliqué et de nos exigences en matière de sûreté, nous sommes de loin les plus chers du marché. Or les clients n’ont pas tous le budget nécessaire pour s’équiper”, souligne un diplomate. L’Inde par exemple, semble hésiter à acheter après des années de négociations, invoquant des questions de coût mais aussi la nécessité de faire travailler davantage les entreprises locales.

“L’Inde a ses spécificités culturelles qui peuvent ralentir les négociations, plaide Claude Jaouen. Par exemple, la catastrophe de Bhopal dans les années 1980 a fait évoluer la loi. Désormais, le maître d’œuvre peut être mis en responsabilité en cas d’accident nucléaire. Cela n’existe nulle part ailleurs. En général, les États endossent les risques”. Un autre spécialiste s’agace : “on se fait balader. On a dépensé des millions pour faire évoluer l’offre. Il y a eu de nombreuses visites sur place. Tout ça pour pas grand-chose. L’Inde n’a pas mis d’argent sur la table et elle semble finalement plus intéressée par des SMR”.

Les déboires de Flamanville décourageraient-ils les éventuels acquéreurs ? “Il y a eu un vrai feuilleton autour du chantier de cet EPR avec de nombreuses annonces de retard ou de surcoût. Cela donne l’image d’une industrie qui n’a pas su prévoir comment fabriquer un grand équipement”, convient Yves Bouvier. Cependant, les EPR chinois et finlandais fonctionnent. “Flamanville va se mettre en route, ça va rassurer tout le monde. Dans quelques années, beaucoup auront oublié les dérapages de coût et de temps. C’est la même chose en Finlande : la construction de l’EPR a traîné et coûté très très cher. Mais maintenant les Finlandais sont très contents d’avoir de l’électricité décarbonée”, note un fin connaisseur du nucléaire.

Des choix politiques

Effet d’oubli ou pas, il ne faudra pas attendre longtemps pour savoir si les EPR ont encore la cote. La République tchèque décidera cet été si elle choisit le modèle français. La concurrence est rude avec les Coréens, bien plus compétitifs. “Ce serait une déception si on ne remportait pas le marché. En matière de nucléaire, un pays européen devrait logiquement privilégier une technologie européenne. Il en va de la souveraineté du Vieux continent”, souligne une source française. Sauf que dans le domaine de l’énergie, la politique joue souvent les trouble-fêtes.

Récemment, la Pologne a choisi l’AP 1000 américain pour ses futurs réacteurs en dépit des subventions qu’elle reçoit de la part de l’Europe et des difficultés rencontrées par le constructeur Westinghouse sur ses chantiers. Certes, les Américains ne peuvent pas fournir une offre complètement intégrée. Cela laisse de la place pour la vente de combustibles ou de certains équipements. Mais pour la France, c’est la douche froide. “L’Ukraine fera aussi avec les Américains. Il n’y a même pas eu d’appel d’offres, signale un expert qui ajoute. “Si on construisait 14 unités chez nous, plus quelques autres en Angleterre et en République tchèque, on passerait, au total, à une vingtaine de réacteurs. Cela permettrait de réduire les coûts de faire jouer l’effet de série”. Cependant, l’EPR reste une machine très chère destinée à un petit marché. La France aura sans doute plus d’opportunités à l’exportation avec ses SMR.




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