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Marie-France Garaud, ses dernières confidences : “Les Français sont irrécupérables…”


Ce jour de décembre 2016, Marie-France Garaud était particulièrement guillerette : les Britanniques venaient d’adopter un calendrier pour le Brexit, et ça la mettait en joie. “Regardez comme les Anglais se sont tirés des pieds* ! Ahah ! Ils sont plus intelligents. Nous, on est là, comme des crétins, on accepte tout ce qui nous est destiné, plus la sauce, et ça nous est égal.” Dans son salon donnant sur le tumulte du quai Anatole France, en bord de Seine, l’octogénaire s’était alors lancée dans l’une de ses diatribes préférées sur la monnaie, les frontières et “tout ce dont on nous a dépouillé”. La grande bascule du déclin datait, pour elle, du départ de Gaulle, après le désaveu du referendum perdu. Une photo du grand homme, en noir et blanc, trônait sur le guéridon de la petite bibliothèque attenante au salon. “Que voulez-vous ? Les Français sont irrécupérables, puisqu’ils l’ont congédié”. Le 10 novembre 1970, Pompidou avait annoncé : “Le Général de Gaulle est mort ; la France est veuve”. Certains ont porté le noir plus longtemps. Marie-France Garaud, toute sa vie.

Au cours de sa carrière elle n’a pas varié d’idée – certains diront “d’obsession” : des cabinets pompidoliens où elle débuta en 1962 au “non” à la Constitution européenne en 2005, en passant par l’appel de Cochin ou la campagne contre Maastricht, Marie-France Garaud n’a cessé d’être une “souverainiste”, canal historique. Et anti européenne. “Ce que nous vivons, ça s’appelle une décadence, vous savez. Il y a des décadences glorieuses, mais la nôtre manque d’élan”, nous avait-elle un jour rapporté. Puis, jetant un regard circulaire aux tableaux classiques qui habillaient l’impressionnante hauteur sous plafond de son salon à moulures : “Sur l’Europe, avouez : est-ce qu’en plus on aurait été cons et qu’on ne s’en serait pas aperçus ?”, avait-elle ajouté, en ponctuant d’un éclat de rire tendu comme un ressort.

Quelques traits d’esprits parmi les plus carnivores …

Moins iconique et moins populaire que son amie Simone Veil, Marie-France Garaud n’en représente pas moins, elle aussi, une histoire française. Elle racontait volontiers que son premier souvenir d’enfance était le bruit des bottes allemandes battant le pavé. Autre souvenir, guère plus vieille : alors que les Allemands occupaient la bâtisse familiale poitevine, la petite Marie-Françoise (son prénom de naissance) faisait le guet devant le bois, en bordures de propriété, pendant que ses parents enfouissaient les fusils de chasse assez loin et assez profond pour que les chiens ne viennent pas les déterrer.

Dans l’imaginaire collectif, Marie-France Garaud fut sans doute l’une des plus grandes peaux de vache de la République. Crainte pour ses coups bas, pour ses manœuvres sans pitié, admirée pour son intelligence et ses saillies, elle possède à son actif quelques traits d’esprits parmi les plus carnivores des dernières décennies. Ainsi de Jacques Chirac, dont elle fut une éminence grise de 1976 à 1979 : “Je croyais qu’il était du marbre dont on fait les statues. En réalité, il est de la faïence dont on fait les bidets.” Pour la politique actuelle, elle n’avait guère de sympathie ni d’indulgence. A quelques surprenantes exceptions près. Ainsi a-t-elle fait envoyer ses félicitations au socialiste Bernard Cazeneuve, quand celui-ci a été nommé Premier ministre. “Sa manière, ça ressemble à ce qu’on aurait fait dans le temps, m’avait-elle confié. On ne se sent pas dépaysé.”

Marie-France Garaud, c’était des pommettes hautes, un chignon coqué – elle : “dans un téléfilm, ils avaient fait un chignon trop bas à l’actrice qui jouait mon rôle… c’était d’un vulgaire !” -, une voix claire et un phrasé sépia à la Denise Glaser dans Discorama. Une tranche d’Histoire. Lorsqu’elle était conseillère de Pompidou, elle invitait les journalistes politiques femmes, dont Catherine Nay qui l’a raconté dans ses mémoires, à discuter pendant ses essayages chez Chanel, avenue Montaigne. Une époque.

Toujours tirée à quatre épingles. “La coquetterie, c’est un respect, et donc une distance, que notre époque ne sait plus tenir”, nous a-t-elle un jour expliqué. Très conservatrice, elle n’était pas féministe. Sa déclaration de candidature à la présidence de la République, en 1981, lors d’une interview sur TF1, mérite le détour. Alors que le journaliste lui demande “Pour qui roulez-vous, Marie France Garaud ?”, cette dernière lui répond, intercalant des effets de silences dramaturgiques : “j’ai presque envie de vous dire que vous me désobligez. Je ne roule pas pour quelqu’un et, d’abord, je ne suis pas un camion.” Et la caméra de zoomer sur deux yeux charbonneux qui n’en peuvent plus de se donner des airs furibonds.

Aux visiteurs, Marie-France Garaud aimait rapporter la maxime que son vieux complice, Pierre Juillet, avait ciselée pour elle un jour, et dont elle avait fait un mantra : “Vous levez les pieds pour les ficelles, vous baissez la tête pour les couteaux, et surtout vous riez tous les jours. Et quand vous ne savez pas de quoi rire, riez de vous c’est un sujet inépuisable”. Elle disait cela, puis éclatait d’un rire franc, un rire en rafale, qui rappelait que malgré les chemisiers à lavallière et les souliers lustrés, la dame savait – au propre – manier la carabine sur ses hectares poitevins. La maxime de Juillet, elle la disait volontiers, et même plusieurs fois par visite ces dernières années.

Un jour seulement, elle m’a rapporté cette autre phrase du même complice, qui dit peut-être plus encore de ses ressorts intimes. C’était un jour qu’elle devait aller à l’Élysée voir François Mitterrand. Un rendez-vous pris à la demande du président. Mais elle venait de perdre un parent, et dans la tristesse et la fatigue, s’épanchant auprès de son éternel complice, elle se posait la question d’annuler. “Marie-France, tenez-vous.”, lui aurait-il soufflé. Et ça lui a suffi à se remettre en selle. Tenue. Comme toujours. Comme son chignon.

*elle disait “tirer des pieds” pour “se sauver” entre autres expressions, comme “rompre les chiens” pour “détendre l’atmosphère”, qui est une formule de chasse.




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