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Bains glacés, “méthode Wim Hof” et nage en eau froide : cette mode qui déconcerte les scientifiques


Un grand écart sur le plateau de C à vous sur France 5. Un bain dans une baignoire de glaçons en direct dans Quelle époque (France 2). Un passage sur Sud Radio, quelques podcasts et des articles dans Elle ou encore Femme actuelle… Torse nu souvent, short et chapeau toujours, Wim Hof était fin avril en tournée promotionnelle dans notre pays. Ce Néerlandais est mondialement connu pour ses records enregistrés au Guinness : nage sous la glace (57,5 mètres en 2000), apnée dans l’eau d’un lac gelé (6,2 minutes en 2002) ou encore plusieurs ascensions en bermuda des 5 895 mètres du Kilimandjaro. Charismatique, fort en gueule, il est aussi une star du développement personnel : 3,5 millions de followers sur Instagram, 2,72 millions d’abonnés à sa chaîne YouTube, 992 000 sur Facebook… Netflix lui a consacré un documentaire, et la BBC une série de téléréalité en six épisodes.

A ses fans, ce sexagénaire promet que sa méthode – exercices de respiration, bains (très) froids et renforcement mental – leur apportera bien-être, résistance au stress et aux maladies, capacités d’auto-guérison et concentration accrue. D’un média à l’autre, le discours est bien rodé. “Il s’agit d’entrer en connexion profonde avec sa physiologie”, “ce que je fais est accessible à tous”… A L’Express, il assure aussi être à l’origine d’une “découverte révolutionnaire dans la compréhension de l’inflammation, qui est la cause et la conséquence de toutes les maladies” (sic). Dépression, cancer, maladies auto-immunes, Alzheimer, Parkinson, affections cardiaques seraient selon lui accessibles aux effets du froid : “C’est un moyen thérapeutique pour obtenir un contrôle de ses systèmes cardiovasculaire, lymphatique et immunitaire”, déroule-t-il. Balivernes ? Élucubrations ? Une question brûlante en réalité. Car les scientifiques sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur les bienfaits du froid, et des études sur sa méthode ont même été publiées dans des revues sérieuses.

Une caution dont il use et abuse, mélangeant sans vergogne faits démontrés et suppositions, science et pseudosciences. Efficace – et rémunérateur. Sous la houlette de son fils aîné, 26 personnes travaillent pour Innerfire, la société montée autour de “Iceman”. Méthode bien packagée, site ultra-léché, application, livres, cours préenregistrés, formation de formateurs, offres pour les entreprises, expéditions avec Wim : toute la panoplie des gourous en développement personnel est déclinée. Un modèle du genre, même. Mieux, quelque 2 000 “instructeurs Wim Hof” contribuent à la diffusion de ses préceptes, moyennant une licence. L’entreprise ne communique pas ses données financières et l’ancien camionneur assure vouloir avant tout “aider les autres”. La presse néerlandaise rapportait toutefois un bénéfice de 4,5 millions d’euros en 2021 pour la Hof Holding, société mère d’Innerfire. Et d’après le greffe néerlandais, ses fonds propres atteignaient 14 millions d’euros en 2022, contre 2 millions en 2018…

Madonna, Lady Gaga, Mbappé ou Beckham dans des bains de glaçons

D’Hippocrate aux peuples nordiques, l’intérêt pour les bains froids a toujours existé. Mais Wim Hof a beaucoup contribué à l’engouement actuel pour la pratique. Sur les réseaux sociaux, Madonna, Lady Gaga, Kylian Mbappé ou David Beckham se montrent dans des baignoires pleines de glaçons. Si le Néerlandais a annulé sa venue au Zénith début juin faute de réservations suffisantes, les offres de stages d’immersion en eau glacée, avec ou sans sa méthode, pullulent sur Internet, dans notre pays comme ailleurs en Europe. Un peu partout le long des côtes ou à la montagne, les clubs de nage en eau froide se multiplient. Mais au-delà des records ou du plaisir de se dépasser, cette nouvelle mode apporte-t-elle vraiment des bénéfices pour la santé ?

Matthijs Kox, chercheur à l’Université Radboud aux Pays-Bas, a été le premier à s’intéresser aux prouesses de son compatriote, au début des années 2010. Il a d’abord montré qu’en présence d’un pathogène, Wim Hof présentait une réponse immunitaire différente de ce qui était attendu, avec peu de marqueurs inflammatoires. Le scientifique a ensuite testé la méthode sur douze volontaires entraînés par Hof, comparés à douze sujets non entraînés. Exposés au même protocole, avec l’injection d’un pathogène atténué, les premiers avaient moins de signes d’inflammation, moins de fièvre et des taux d’adrénaline plus importants dans le sang que le groupe contrôle.

Intéressant, mais loin d’une révolution médicale. “Wim est enthousiaste à propos des effets anti-inflammatoires de sa méthode, mais elle n’a été évaluée que chez des sujets sains exposés à une infection aiguë”, relativise Matthijs Kox. “On ne peut rien en conclure sur un éventuel effet bénéfique dans les maladies inflammatoires, qui sont chroniques et multifactorielles. Cela ne fait aucun sens”, confirme le Pr Alain Fischer, immunologue, président de l’Académie des sciences (et chroniqueur à L’Express). A la suite des publications de Matthijs Kox, plusieurs autres recherches ont été conduites par différentes équipes. Une synthèse, parue dans Plos one en mars, indique que la méthode pourrait avoir des effets immunomodulateurs, à confirmer par des études de meilleure qualité.

“Plus vivants”, “plus éveillés”

Les scientifiques ont aussi tenté d’évaluer plus largement les bénéfices de l’immersion et de la nage en eau froide. A l’université arctique de Norvège, le Pr James Mercer a compilé une centaine d’études dans une méta analyse parue en 2022. Il note des effets potentiels sur la résistance à l’insuline ou la composition de la graisse corporelle. “Ils restent toutefois de faible ampleur, et pourraient aussi bien être atteints avec un mode de vie sain. Mais beaucoup ne veulent pas l’entendre”, déplore le chercheur. Car la pratique enthousiasme ses adeptes, qui assurent se sentir “plus vivants”, “plus éveillés”, “plus énergiques”. “D’un point de vue physiologique, cela s’explique, car l’exposition brutale au froid entraîne une hausse transitoire des hormones du stress, adrénaline, noradrénaline, cortisol”, constate Mike Tipton, professeur à l’université de Portsmouth (Royaume-Uni).

Grand spécialiste des effets des bains en eau froide, ce scientifique reste sceptique quant à leurs prétendus bienfaits. “La plupart des études ne sont pas comparatives : est-ce qu’on n’obtiendrait pas des résultats similaires avec du yoga ou du vélo ? Et quels sont les mécanismes à l’œuvre : le froid ? L’activité physique ? Le fait d’être en groupe à l’extérieur ? On n’en sait rien”, souligne-t-il. Cet expert pointe aussi l’absence de protocole précis, notamment pour les durées d’exposition : “Une immersion de quelques minutes sera positive pour le système immunitaire, mais elle devient préjudiciable si elle se prolonge.”

Wim Hof, lui, continue d’essayer de prouver l’intérêt de sa “méthode”. Grâce au financement du milliardaire australien Jeffrey Wilson et de son épouse naturopathe, une vaste étude a été menée sur ses effets psychologiques et cognitifs. Jemma King, chercheuse à l’université du Queensland, a déployé un protocole rigoureux. Plus de 400 participants répartis en trois groupes (l’un pratiquant la méthode Wim Hof, l’autre des douches froides et le troisième de la méditation) ont été évalués sur une batterie de paramètres (sommeil, aptitudes cognitives, résistance au stress, rythme cardiaque, etc.), mais les résultats ne sont pas encore disponibles.

Hypothermie, lésions et “after drop”…

En attendant, les spécialistes alertent sur les dangers de l’eau glacée. S’y immerger provoque une convulsion musculaire qui bloque la respiration, avant d’entraîner un épisode d’hyperventilation incontrôlable pouvant aller jusqu’à la perte de connaissance. En même temps, les vaisseaux sous la peau se referment pour éviter que du sang glacé n’aille refroidir les organes. Cette vasoconstriction cause une augmentation brutale de la tension artérielle, dangereuse en cas de fragilité cardiaque.

Le corps se met ensuite à trembler pour produire de la chaleur, avant que la sensation de froid ne soit remplacée par de la douleur. Celle-ci disparaît à son tour et les baigneurs se trouvent dans un état de bien-être trompeur : “Les capteurs internes dysfonctionnent et les capacités cognitives ralentissent mais le corps, lui, continue de se refroidir”, avertit Benoit Mauvieux, spécialiste de la physiologie en milieu extrême à l’université de Caen. L’hypothermie guette. Le froid peut aussi causer des lésions durables et douloureuses des tissus et des nerfs. Les risques ne s’arrêtent pas à la sortie de l’eau car se produit alors un “after drop” : la température interne continue de plonger, notamment au niveau du cœur à mesure que le sang refroidi irrigue l’organisme. “Cela peut entraîner une souffrance cardiaque et des malaises”, alerte le chercheur.

Le danger est maximal lors des premières immersions mais noyades et malaises peuvent toujours survenir ultérieurement. Un journaliste d’investigation américain, Scott Carney, indique avoir recensé “plusieurs décès dans un contexte de pratique de la méthode Wim Hof”. Un seul a donné lieu à ce jour à une action en justice, aux Etats-Unis – le procès doit se tenir cette année. Les spécialistes s’inquiètent notamment que certains pratiquent les exercices respiratoires dans l’eau, ou ne se mettent en apnée, le visage dans l’eau froide. “Cela augmente le risque d’arythmie et d’arrêt cardiaque”, souligne Mike Tipton. Le site de Wim Hof alerte sur ces dangers, et décourage ces pratiques. “Le problème, c’est qu’il existe des vidéos où lui-même agit de la sorte…”, déplore Scott Carney.

A ceux qui seraient quand même tentés, le Pr Tipton a rédigé des recommandations pour minimiser les risques : réaliser un examen médical préalable, ne jamais pratiquer seul, entrer dans l’eau très progressivement, ne mouiller son visage qu’une fois le choc thermique passé, sortir au bout de dix minutes même si on se sent bien, ne pas conduire dans la demi-heure suivante… A défaut d’améliorer sa santé, cela évitera peut-être d’y laisser sa vie.




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