Le jeudi 7 mars, Emmanuel Macron déjeune avec Maia Sandu, présidente de la république de Moldavie. Le rendez-vous figure à l’agenda officiel. Mais c’est son dîner du jour, pas annoncé, qui va lancer le temps des rumeurs. Gérard Larcher est venu à la demande du chef de l’Etat, lequel met les pieds dans le plat : “Seriez-vous prêt à aller à Matignon ?” Rectificatif : Emmanuel Macron met juste un orteil dans le plat, il dit les choses sans les dire. Et Gérard Larcher n’est pas né de la dernière pluie, il n’a pas oublié que Catherine Vautrin a été nommée puis dénommée, et que Gérald Darmanin a presque emprunté le même chemin. Au président, il répète ce qu’il a déjà eu l’occasion de lui dire : “Vous aurez besoin de nous.”
Il n’empêche, depuis ce soir-là, le président du Sénat s’interroge : à quoi joue Emmanuel Macron ? Cette question en masque une autre : au fond, est-il seulement possible de gouverner avec ce chef de l’Etat ? “Penses-tu qu’il est sincère ?”, demande Gérard Larcher à ses interlocuteurs. Sincère, Gérard Larcher l’est quand il considère que la France, au bord du précipice, ne peut s’offrir trois ans d’immobilisme faute de majorité absolue à l’Assemblée. Le tout sous le regard d’un Rassemblement national aux portes du pouvoir. Quel homme politique ne s’est jamais rêvé de Gaulle ? Protégeant le pays des griffes de l’extrême droite ? Lorsqu’il échange avec Xavier Bertrand fin avril, il n’est ainsi pas mécontent d’entendre le président de la région des Hauts-de-France lui expliquer que lui est sur une autre “trajectoire” que celle de Matignon.
Entretien avec Richard Ferrand
Mais il n’a pas envie de se faire balader, manipuler, instrumentaliser, lui le deuxième personnage de l’Etat. Le 20 mars, il croise lors de la cérémonie d’hommage à Philippe de Gaulle aux Invalides Richard Ferrand, qu’il a bien connu quand ce dernier était président de l’Assemblée nationale et qui compte parmi les fidèles d’Emmanuel Macron : “Voyons-nous !”. Un mois plus tard, les deux hommes échangent pendant une heure.
Gérard Larcher doute d’Emmanuel Macron ? Cela tombe bien, la réciproque est vraie. A l’Elysée, on se tord les cheveux pour comprendre un récent entretien accordé par le sénateur à La Tribune dimanche. Il y étrille la politique du gouvernement, agite la menace d’une motion de censure, mais n’exclut pas de devenir Premier ministre de coalition. “Ces décisions appartiennent au président de la République et à personne d’autre”, élude-t-il. Simple “considération institutionnelle”, soulignent ses proches. Une gifle et une main tendue. “C’est son en même temps”, se marre un ministre.
Ici, nulle contradiction. Plutôt du travail de dentelle. Le patron du Sénat nourrit de profondes divergences avec Emmanuel Macron. Il ne goûte guère sa pratique du pouvoir, tout comme son désintérêt envers la dégradation des finances publiques. En privé, comme en public, il menace de baisser le pouce. “Si votre budget 2025 est à l’image de celui 2024, alors vous prenez un risque majeur d’accident”, glisse-t-il à Gabriel Attal lors d’un rendez-vous. L’élu des Yvelines apprécie le jeune chef du gouvernement. Leurs entourages s’amusent à dresser ensemble le bilan d’Emmanuel Macron, façon tableau Excel, dans d’intenses palabres.
“Larcher ne viendrait pas comme potiche”
Puisqu’on vous le dit, il n’est pas macroniste. Qu’on ne vienne alors surtout pas prétendre qu’il fait des offres de service. “Gérard n’a pas de patron, il est dans le top 3 de la République, il est bien là où il est, note un ami. Après, s’il peut apporter sa contribution et que la ligne politique change, je pense qu’il est disponible pour.” Mais pas à n’importe quelles conditions. “Larcher ne viendrait pas comme potiche. Et si Macron le nomme, c’est qu’il est acculé”, note un récent interlocuteur de Larcher. “En agitant la menace de la censure, Larcher substitue un rapport de force à un rapport de cordialité institutionnelle”, relève un macroniste de la première heure.
A bas bruit, c’est bien un bras de fer qui s’esquisse. L’élu des Yvelines n’est pas un avatar d’Elisabeth Borne, simple technocrate chargée de “délivrer”, en novlangue macroniste. Le président aime les chefs de gouvernement dociles, c’est d’ailleurs leur qualité première. C’est dire à quel point il lui faudrait se faire violence pour le choisir. Alors les deux hommes se reniflent, mais personne ne fait le premier pas. Entrer le premier en négociation, c’est avoir toutes les chances de la perdre. Insondable Larcher ? “J’ai du mal à savoir ce qu’il pense, note un ministre. Des députés LR me disent : “Vous en pensez quoi ?”” Qu’ils demandent à Elisabeth Borne ! La députée du Calvados ne se coupe pas les cheveux en quatre. Le 28 septembre 2023, alors Première ministre, elle se rend à Saint-Malo au Congrès des régions. Dans le TGV qui l’emmène en Bretagne, elle entame un échange convivial avec le président du Sénat. Trop convivial peut-être. Elle glisse alors à son ministre de la Mer Hervé Berville : “Larcher, il est vraiment en campagne pour prendre ma place.”
“Ciotti sent qu’il veut y aller”
Eric Ciotti n’est pas loin de penser la même chose. De l’interview de Gérard Larcher, le patron des Républicains retient surtout sa formule allusive sur Matignon. “Il sent qu’il veut y aller”, note un interlocuteur du Niçois. Et puis, il y a ces silences troublants. Le président du Sénat ne s’est pas épanché auprès du patron de LR sur son dîner avec Emmanuel Macron. Eric Ciotti ne goûte guère cette discrétion, ces manœuvres solitaires d’un homme perché sur son Aventin. Question de méthode, surtout. Car leurs orientations stratégiques ne sont pas aux antipodes. Eric Ciotti, opposant aussi féroce que pragmatique, ne rejette pas un éventuel accord avec Emmanuel Macron en cas de crise politique. A un membre du gouvernement, le Niçois cite trois noms de Premiers ministrables, susceptibles de rassembler de LR jusqu’à la gauche de la Macronie : Gérard Larcher, Michel Barnier et François Baroin. Fin avril, il évoque à nouveau l’hypothèse devant une poignée de députés LR.
Mais les deux hommes n’avancent pas groupés. Gérard Larcher n’est pas le porte-drapeau de LR, formation en déclin continue depuis 2012. Il joue de sa position institutionnelle pour ne pas rendre de comptes à son parti. Avec ses dirigeants, les anicroches se multiplient. Ce 21 mai, il manque de s’étouffer à la lecture du Monde. Y est retranscrit un échange entre Gabriel Attal et Olivier Marleix. Le patron des députés LR s’amuse devant lui des rumeurs d’arrivée de Larcher à Matignon, ironisant sur le remplacement du “plus jeune Premier ministre de la Ve République par un sénateur confirmé”. L’intéressé n’a pas ri. On ne vexe pas Gérard Larcher impunément. Mais Marleix, indécrottable anti-macroniste, ne veut pas entendre parler d’alliance avec ce pouvoir honni. Quand Gérard Larcher suggère une mission de dialogue en Nouvelle-Calédonie lors d’une réunion à Matignon le 17 mai, il se demande si ce dernier n’éprouve pas déjà sa méthode.
Relations fraîches avec Wauquiez
Et ne parlez pas à Larcher de Laurent Wauquiez ! Les deux hommes ont échangé le 15 mai, comme l’a révélé Le Parisien. Le président d’Auvergne-Rhône-Alpes refuse toute coalition, frein supposé à ses ambitions présidentielles. S’il espérait être rassuré après son rendez-vous, c’est raté. Le candidat putatif de LR l’a trouvé énigmatique et pétri d’ambiguïtés. Gérard Larcher, lui, ne comprend pas la discrétion médiatique de Laurent Wauquiez et goûte peu sa personnalité conquérante. “Il est content d’être fait”, a-t-il coutume de dire au sujet de l’ancien ministre, décidément trop sûr de lui. Et que dire, enfin, des européennes ? Gérard Larcher espérait placer son conseiller Patrick Dray en position éligible, lequel n’a eu droit qu’à une proposition plus modeste. Cet impair, conjugué à un renouvellement insuffisant, l’a convaincu de s’abstenir lors du vote de validation final.
Les sorts de Gérard Larcher et des Républicains sont pourtant liés. Le sénateur doit embarquer avec lui une quarantaine de députés LR pour offrir à Emmanuel Macron une majorité absolue à l’Assemblée. Nul ne sait s’il en est capable. La sève du pouvoir peut calmer certains élus de droite. Mais quid de ces députés issus de terres anti-macronistes, à qui l’on demanderait d’embarquer sur le Titanic ? De ces élus qui rongent leur frein dans l’opposition, soudain appelés à collaborer avec un pouvoir finissant ? “Larcher n’a pas un rapport individuel avec les députés LR”, confie l’un d’eux, sceptique. Ce parlementaire a un jour sollicité un simple rendez-vous auprès du président du Sénat. Il attend encore sa réponse.
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