Alors que l’Allemagne célèbre ce dimanche 26 mai le 75e anniversaire de sa “Loi fondamentale”, la Constitution allemande, le président français, Emmanuel Macron, commence Outre-Rhin une visite d’Etat – le plus haut niveau protocolaire des déplacements présidentiels – de trois jours. Il s’agit de la première visite d’Etat dans le pays depuis celle de Jacques Chirac en 2000, il y a vingt-quatre ans. Elle se terminera par un conseil des ministres franco-allemand près de Berlin.
Protocole oblige, Emmanuel Macron et son épouse Brigitte ont été accueillis par le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, dont la fonction est essentiellement honorifique. Le chancelier, Olaf Scholz, qui détient l’essentiel du pouvoir exécutif, ne devrait être présent qu’à partir de mardi, mais le président Steinmeier ayant aussi été ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier d’Angela Merkel, la politique devrait être au menu de la rencontre. L’occasion de tourner la page des sujets qui fâchent ? Depuis quelques années, le couple Emmanuel Macron – Olaf Scholz affiche des dissensions de fond sur plusieurs sujets.
La guerre en Ukraine
Le désaccord le plus récent concerne la réponse à adopter pour aider l’Ukraine face à l’armée russe. A plusieurs reprises – en février, en mars, et plus récemment en mai dans le quotidien britannique The Economist – Emmanuel Macron avait déclaré que les alliés de l’Ukraine devraient se poser la question, et ne pas exclure, d’envoyer des soldats occidentaux au sol. Une position loin de faire l’unanimité dans les pays européens, dont l’Allemagne. Selon Nils Schmid, porte-parole du SPD, le parti d’Olaf Scholz, au journal allemand Tagesspiegel, le chancelier a précisé dès février qu’il n’y aurait “pas de participation immédiate à la guerre de l’Allemagne et de l’Otan”, une position “qui ne changera pas”.
“Nous n’avons pas besoin […] de discussions sur le fait d’avoir plus ou moins de courage”, avait réagi en mars le ministre allemand de la Défense, alors qu’Emmanuel Macron avait appelé les alliés à ne “pas être lâches”.
L’Allemagne reste le plus grand contributeur européen d’aide à l’Ukraine, selon un rapport de l’Institut pour l’économie mondiale de Kiel. Mi-mars, Paris s’est engagé à fournir “jusqu’à 3 milliards d’euros” d’aide militaire supplémentaire à Kiev en 2024, et Berlin a déjà débloqué 1,1 milliard d’euros sur 7 milliards au total pour 2024.
Un autre point d’achoppement concerne la livraison de missiles “Taurus” à l’Ukraine, demandée notamment par le Royaume-Uni et qui est jusqu’à présent refusée par l’Allemagne. La France et le Royaume-Uni ont déjà envoyé des missiles de longue portée Scalp et Storm Shadow à l’Ukraine.
La défense européenne
Après un discours sur l’Europe jeudi 25 avril à la Sorbonne, le chef de l’État français s’est dit prêt à “ouvrir le débat” d’une défense européenne qui comprendrait “la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine”. Si pour le chancelier allemand, l’idée d’une arme nucléaire européenne est “irréaliste”, selon des propos publiés jeudi dans The Economist, il rejoint Emmanuel Macron sur le fait que l’Europe a besoin d’une collaboration militaire plus étroite.
“Je salue le fait que le président français ait souligné la dimension européenne de la force de frappe française”, écrit-il dans cet article. “Outre la dissuasion nucléaire, nous envisageons des forces conventionnelles solides, une défense aérienne et antimissile, ainsi que des capacités de frappe cybernétique, spatiale et de haute précision”. Un accord récent a également été signé entre les deux ministres de la Défense français et allemand sur un futur char franco-allemand.
Les politiques économiques
“J’appelle à un nouveau paradigme économique, à un nouveau modèle de croissance, et c’est là-dessus que je vais essayer de convaincre les Allemands”, a déclaré Emmanuel Macron dans un entretien exclusif publié mercredi dans L’Express.
“Notre devoir est de redoubler d’engagement avec l’Allemagne, pour inventer ensemble ce nouveau modèle et prendre des initiatives audacieuses. Exactement comme nous l’avons fait en 2020, avec la chancelière Merkel, où, quelques mois après le début du Covid, nous avions pris une position, considérée jusque-là comme impensable : un endettement commun.”
Or, Olaf Scholz, ancien ministre des Finances surnommé Scholzomat (jeu de mot avec “automat”, pour moquer sa rigueur et son austérité) outre-Rhin, ne s’y est jamais montré très favorable et s’y opposait par exemple en 2022. “Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est d’une nouvelle dette européenne commune”, a encore déclaré le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, le 11 avril.
La protection du climat et la politique énergétique
Une autre source de tension concerne la politique énergétique des deux pays, qui ont des stratégies de décarbonation très différentes. La France promeut son énergie nucléaire, et prévoit la construction de nouveaux réacteurs, tandis que l’Allemagne a acté la fermeture définitive de ses centrales. La France a réussi à faire intégrer le nucléaire dans l’objectif de 42,5 % d’énergies renouvelables fixé par une directive européenne en novembre dernier, ce à quoi un bloc d’autres pays dont l’Allemagne était opposé.
En janvier, alors que la réforme du marché européen de l’électricité votée il y a un mois n’était pas encore entérinée, les discussions avaient encore une fois bloqué entre l’Allemagne et la France. Le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, avait alors assuré que le désaccord n’avait “pour une fois rien à voir avec la forme de l’énergie, qu’elle soit nucléaire ou renouvelable” mais avec “l’organisation du marché dans les deux pays”.
L’accord UE – Mercosur
La France s’est opposée à l’accord commercial entre l’Union européenne et les pays sud-américains du Mercosur. En visite au Brésil fin mars, Emmanuel Macron a même souligné qu’il trouvait qu’il s’agissait d’un “très mauvais accord” et déclaré souhaiter la conclusion d’un nouvel accord, qui tienne entre autres compte des normes environnementales de l’UE.
L’Allemagne, elle, et comme de nombreux pays européens, est favorable à ce traité de libre-échange. Le secteur industriel allemand y voit une opportunité de trouver de nouveaux débouchés.
Source