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Netanyahou “menteur”, Poutine déchaîné… Dans les secrets de la diplomatie de Macron depuis le 7 octobre

“On ne fait pas cornichon dans le pot de cornichons.” Triviale, la formule, entendue de la bouche d’un éminent responsable de l’entourage d’Emmanuel Macron, signe l’ambition diplomatique française. Se distinguer, peser, manœuvrer et, toujours, se hisser dans la cour des grands, des beaucoup plus grands. Plus agile que l’Allemagne, plus européenne que le Royaume-Uni, moins empêtrée que les Etats-Unis. A Tel-Aviv, à Doha, à Kiev, à Beyrouth ou au premier étage de l’hôtel The Peninsula, à Paris, ambassadeurs, conseillers, agents secrets français courent, consultent, tentant de faire émerger de minuscules voies vers un apaisement politique, vers une esquisse de solution, la “moins pire” possible. Car, de meilleure, il ne saurait être question.

Depuis le 7 octobre, la stratégie française est un double, triple, quintuple ­plateau d’échecs, et un théâtre. Dans l’ombre des premiers rôles, ceux dont les tirades policées occupent la scène, s’agite une foultitude d’acteurs, émissaires ­ambitieux, intermédiaires fiévreux, ­janissaires muets. Leurs confidences tissent ici le récit des – vraies – coulisses de la ­diplomatie française.

7 octobre 2023 : Benyamin Netanyahou, le “street fighter est hagard”

C’est “en source ouverte” – comprendre : sur les réseaux sociaux – que l’Elysée découvre l’horreur. Le conseiller diplomatique du chef de l’Etat, Emmanuel Bonne, mâchoire carrée et cheveux ras, un mental de “GI”, comme il dit, moqueur, de lui-même, demande au Quai d’Orsay d’ouvrir une cellule de crise. Les réunions s’organisent autour d’Emmanuel Macron, leur contenu est classifié, si bien que les conseillers partis en week-end ne peuvent y accéder à distance. Un premier entretien téléphonique entre le président français et Benyamin Netanyahou se tient à 14h15, il sera suivi d’un autre, le 9 octobre. Le Premier ministre israélien parle, ton méconnaissable. Quelques mots, de longs silences, il écoute les condoléances. Le “street fighter est hagard”, témoigne un auditeur.

A 3300 kilomètres de là, le consul général de France à Jérusalem, Nicolas Kassianides, dont le sommeil est légendaire, est réveillé par les sirènes. C’est la panique parmi les milliers de familles rassemblées pour la fête juive de Soukkot. Or la Ville sainte compte 32000 Français. Les demandes de départ affluent, mais Air France a arrêté ses vols vers Tel-Aviv. Les jours suivants, 3500 Français sont rapatriés dans des avions affrétés par l’armée. Sur l’île de Formentera, aux Baléares, où il passe la fin de semaine avec des amis, dont un ancien ambassadeur israélien, Ofer Bronchtein, chargé de mission d’Emmanuel Macron pour le rapprochement israélo-palestinien, son combat depuis ­cinquante ans, est saisi. “Il est d’emblée évident que nous allons faire face à de la violence extrême de part et d’autre”, commente-t-il le jour même sur Franceinfo.

Dès le 8 octobre, l’ambassade de France à Tel-Aviv apprend qu’une Française a été assassinée. Le bilan sera porté à 42 ressortissants tués, parmi les 1163 victimes. Nicolas Kassianides assiste aux enterrements dans le cimetière Har Hamenouhot, ou y dépêche son second ; ils notent que souvent les familles les étreignent. Pour la première fois depuis longtemps en Israël, terre où la diplomatie française a souvent brillé par ses rivalités, le consul général, soit l’ambassadeur auprès des Palestiniens, et l’ambassadeur à Tel-Aviv, Frédéric Journès, entretiennent de bonnes relations. Ils se connaissent depuis New York, où ils se sont succédé en 2017, et ont tous deux pris leur nouveau poste l’été précédant cet automne sanglant. Ils se parlent chaque jour, signent certaines notes en commun. Du jamais-vu.

24 octobre : la comparaison d’Emmanuel Macron

Le président français, Emmanuel Macron a rencontré Benyamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, le 24 octobre 2023.

Emmanuel Macron, accompagné d’Ofer Bronchtein, des députés Meyer Habib et Mathieu Lefèvre, président du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, ainsi que du cinéaste Amos Gitaï, atterrit à 7 heures du matin à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv. Dans un salon, le chef de l’Etat partage un moment avec les familles des victimes françaises, dont celles des neuf ressortissants présentés comme otages ou disparus. Reçus par le Premier ministre israélien dans sa résidence de Beit Aghion, à Jérusalem, les Français le retrouvent comme ils l’ont toujours connu, fougueux et le verbe de nouveau fort. Ils l’écoutent parler du massacre perpétré par le Hamas, équivalent, selon lui, de “vingt 11 Septembre”, puis sont invités à visionner quatre minutes d’un film assemblé à partir des images tournées à la GoPro par les terroristes palestiniens – la version intégrale sera diffusée à l’Assemblée nationale le 9 novembre. Dans l’extrait choisi, les images du dépeçage d’un Thaïlandais. Dans la petite salle, un lourd silence accueille les images insoutenables.

Le président français s’est déplacé après Joe Biden, Olaf Scholz, Rishi Sunak et Giorgia Meloni. Il veut faire de ce voyage un moment de diplomatie, et non seulement de compassion, d’où une halte en Cisjordanie, puis en Jordanie et en Egypte le lendemain. Son propos est de soutenir l’Etat hébreu en le pressant à la proportionnalité dans sa riposte et, dans le même temps, d’adresser un signe au monde arabe, inquiet d’apprendre que 5000 civils ont déjà péri sous les bombes de Tsahal. D’ailleurs, à l’inverse de l’Allemagne ou de l’Autriche, la France n’a pas suspendu son aide à l’Autorité palestinienne après le 7 octobre, et ses représentants reçoivent chaque semaine à Ramallah la visite du consul général. Ce timing décalé pousse-t-il le président français à en faire trop ? Devant Benyamin Netanyahou, il assimile le combat contre le Hamas à celui contre Daech : “La France est prête à ce que la coalition internationale contre Daech, dans le cadre de laquelle nous sommes engagés pour notre opération en Irak et en Syrie, puisse lutter aussi contre le Hamas.” Ses conseillers ont validé l’idée d’une coalition, Bernard-Henri Levy ayant suggéré la comparaison. Le rapprochement suscite un tollé dans les pays arabes où les Frères musulmans sont implantés et où une partie de l’opinion considère le Hamas comme un mouvement de résistance.

Ensuite, Emmanuel Macron déjeune en tête-à-tête avec Benny Gantz, membre du cabinet de guerre et ancien ministre de la Défense, pressenti pour succéder à Benyamin Netanyahou, et plaide pour un partenariat franco-israélien renouvelé. “Tournez-vous vers nous”, propose-t-il à l’ancien général de l’armée israélienne. Au consulat général de France à Jérusalem, il s’agit dorénavant d’évacuer de toute urgence les 280 Français vivants à Gaza et de les acheminer jusqu’à la frontière où l’ambassadeur en Egypte prend le relais.

4 novembre : l’opération “piège à crabes”

Depuis le 7 octobre, l’Europe de l’Est s’inquiète. L’Occident va-t-il abandonner l’Ukraine pour se concentrer sur le Proche-Orient ? En septembre, l’armée ukrainienne a espéré réaliser une percée dans le Donbass. Echec. Le 10 octobre, les Russes ont lancé une offensive sur la ville d’Avdiïvka. Ce 4 novembre, pourtant, Kiev connaît un succès militaire, avec la complicité de Paris. De premiers missiles Scalp, très furtifs et conçus pour cibler l’ennemi à une distance pouvant aller jusqu’à 300 kilomètres, ont été livrés par Paris depuis août. Ils viennent de frapper le chantier naval de Kertch, en Crimée, endommageant gravement l’Askold, un navire russe porte-missiles. Le 13 septembre, déjà, les missiles fabriqués par l’industriel français MBDA avaient atteint le chantier naval de Sébastopol ; deux navires, dont le sous-marin Rostov-sur-le-Don, sont incendiés. Le 22 septembre, enfin, l’opération “piège à crabes” voit l’Ukraine toucher le QG de la flotte russe en mer Noire, au large de Sébastopol. Plusieurs hauts gradés seraient morts. Les missiles Scalp, encore.

Ces réussites convainquent l’état-­major particulier du président de la République et la cellule diplomatique que leur stratégie est la bonne : donner à l’Ukraine moins que certains voisins, à commencer par l’Allemagne, mais livrer en revanche des matériels efficaces. “Ce ne sont pas les milliards qui font gagner les guerres”, répond-on au sommet de l’Etat français, où les graphiques de l’Institut Kiel, montrant la France au-delà de la 15e position concernant la part de PIB consacrée à l’Ukraine, agacent.

Les 27 Etats membres de l’Union européenne se sont accordés jueid 1er février sur une aide à l’Ukraine de 50 milliards d’euros sur quatre ans, jusqu’ici bloquée par la Hongrie.

14 novembre : la note collective qui fait hurler le Quai d’Orsay

“Il faut tous les virer.” Le 14 novembre, Catherine Colonna, la policée ministre française des Affaires étrangères, tempête. Le Figaro fait état d’une note diplomatique signée de dix ambassadeurs de France en poste dans des pays arabes, très critique quant au soutien de Paris à Israël dans son offensive à Gaza. Une note collective, c’est rare, cosignée par 80 % des ambassadeurs des pays arabes, c’est carrément inédit. Les initiés y ont reconnu un nouvel épisode de la guerre d’influence menée par les gaullo-mitterrandistes, dont des figures comme Dominique de Villepin ou Hubert Védrine, convaincus que la France s’aligne trop sur l’agenda américain. A l’Elysée, la note a été jugée “très moyenne”. “Ce n’est pas le rôle d’un ambassadeur de livrer ses états d’âme.” On y laisse entendre que le président ne l’aurait même jamais eue sous les yeux. L’un de ses signataires assure pourtant que le président lui a dit personnellement l’avoir lue.

Le 15 novembre, Marc Baréty, l’ambassadeur de France en Egypte, signataire de la note, quitte son poste, il rentre se faire soigner, mais l’annonce, taisant sa maladie, fait frissonner dans les ambassades tant le calendrier, au cœur du vortex proche-oriental, surprend. Eric Chevallier, en poste en Irak, qui, lui, n’a pas signé la fameuse note, va lui succéder. Seconde poussée d’inquiétude dans les ambassades : les diplomates signataires seraient-ils punis ? Dans le même temps, ces frondeurs courtois observent que certains de leurs arguments ont porté. Sur la BBC, le 10 novembre, Emmanuel Macron “exhorte Israël à cesser” les bombardements de civils à Gaza. Le propos scandalise Caroline Fourest, Sophia Aram ou Jean-Marc Dumontet, un producteur dont Brigitte Macron est proche, qui adressent au chef de l’Etat des textos mécontents. Le député Meyer Habib fait de même, le président lui répond, deux fois.

Le surlendemain, après avoir hésité, le chef de l’Etat choisit de ne pas se rendre à la marche contre l’antisémitisme – qui réunira 182000 personnes. Sa demande de purge refusée, Catherine Colonna apparaît affaiblie. Depuis des mois, la technicienne expérimentée peine à trouver sa place. En mai 2022, après sa nomination, c’est une amie, ancienne ministre, qui lui a transmis le numéro de portable d’Emmanuel Macron, et l’ancienne porte-parole de Jacques Chirac n’ose pas l’appeler. “Ça ne ‘fitte’ pas”, dit-on dans la phraséologie élyséenne. Le Quai d’Orsay joue les utilités dans les dossiers ukrainiens et israéliens, tant le président a la main absolue, totale. D’ailleurs, il suffit d’évoquer devant lui le poids d’une tradition diplomatique, d’un héritage, pour qu’aussitôt il balaie la suggestion. Faire du neuf, de l’habile, étonner, “jouer l’aiguillon”, comme le résume ­drôlement un ambassadeur en poste.

Du 15 au 17 novembre, c’est le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, que le ­président mandate au Proche-Orient, afin de coordonner l’aide humanitaire aux Palestiniens. Le 11 janvier, Catherine Colonna est remplacée par Stéphane Séjourné, un proche du président, ancien conseiller de l’Elysée, aussitôt dépêché, non pas en Allemagne comme il est coutume, mais à Kiev. S’il n’a pas la qualité de réseaux de sa prédécesseuse, il dispose, lui, d’un lien constant avec le seul maître de la diplomatie française. Dans les capitales de l’Europe de l’Est, comme dans celles des pays arabes, on constate vite que c’est plus efficace, tous décrivent une diplomatie plus agile, moins protocolaire, “moderne”, selon un responsable ukrainien.

30 novembre : un passeport pour Mia Shem, l’otage libérée

La Franco-Israélienne Mia Shem fait partie des personnes (hommes, femmes et enfants) prises en otage par le Hamas le 7 octobre dernier.

Mia Shem est libre. L’ex-otage du Hamas atterrit sur la base israélienne de Hatzerim. Issue inespérée pour la jeune femme de 21 ans dont le nom ne figurait pas sur la liste des otages libérables au moment de l’ouverture de la trêve, six jours auparavant. Comme elle entamait son service militaire, elle est considérée comme un membre de Tsahal par ses ravisseurs. Sa mère, Keren Shem, interpelle, le 23 octobre, Nadine Morano, en visite à Tel-Aviv. La députée européenne contacte sur-le-champ Nicolas Sarkozy. Quelques jours plus tard, la mère de Mia vole vers Paris. L’ancienne ministre, au volant de sa voiture, vient la chercher, ainsi que son fils, à Roissy, puis les conduit rue de Miromesnil, dans les bureaux de l’ex-président, qui prend la jeune femme dans ses bras. Nicolas Sarkozy est d’ailleurs depuis l’automne en lien constant avec cinq familles d’otages, à l’initiative de celles-ci, dont deux n’ont pas d’attache avec la France. Il a parlé trois fois, par téléphone, avec la mère de Naama Lévy, 19 ans, une soldate, toujours détenue par le Hamas. Et, selon nos informations, transmis au Qatar une lettre à son propos.

Keren Chem, elle, rencontre aussi François Hollande, puis Elisabeth Borne. Un mois plus tard, elle revient pour un entretien avec Brigitte Macron, dont Gabriel Attal avait transmis le numéro à Nadine Morano. Au sein de la cellule diplomatique, à l’état-major particulier du président et à la DGSE, on s’active pour les otages – trois mineurs français, Eitan Yahalomi, Sahar et Erez Calderon, ont été libérés le 27 novembre. Paul Soler, conseiller aux affaires secrètes, est désormais dévolu pleinement à ce dossier. L’homme des missions complexes en Libye coordonne et manœuvre depuis Paris, en lien avec le chef de poste de la DGSE sur place. Les Allemands comme les Britanniques ont chacun un envoyé spécial à Tel-Aviv. La France ferait-elle moins ? “Cela ne sert à rien, ce n’est pas là que ça se joue”, grogne un élyséen.

A Paris ou à Tel-Aviv, une chose est sûre : le cas de Mia Shem était difficile, Emmanuel Macron multipliant les démarches auprès du Qatar, intermédiaire incontournable entre le monde occidental et le Hamas. Une source qatarienne confirme que la jeune femme a été ajoutée in extremis, après négociations avec le Hamas et sur demande de la France, à la liste des libérables. Il demeurait une complication, restée jusqu’ici secrète : elle n’a pas la nationalité française. Son père est français, mais elle ne dispose pas de papiers. Or le Hamas exigeait une preuve de sa nationalité. Le 30 novembre, jour de sa libération, l’ambassade de France en Israël lui fabrique un passeport en deux heures, document auquel la DGSE ajoute un aspect “usagé” pour faire croire qu’elle est française depuis longtemps.

“Des gens vraiment bien, très sympa, tout était OK”, déclare-t-elle face caméra auprès du Hamas, juste avant d’être remise à la Croix-Rouge. Un mois plus tard, son témoignage à la télévision israélienne est métamorphosé. “J’ai vécu l’enfer”, explique-t-elle, avant de décrire l’emprise de son geôlier : “Il me surveillait en permanence, me violait avec ses yeux.” Dans les associations défendant les familles d’otages, on s’agace du rôle que joue la jeune femme, à laquelle Benyamin Netanyahou fait porter un discours favorable à sa politique. Elle sera à Paris, le 30 mai, pour rencontrer plusieurs officiels, dont Nicolas Sarkozy.

17 janvier 2024 : l’affaire des médicaments français pour Gaza

Bientôt cent jours depuis le 7 octobre et, en ce début d’année, la France souhaite faire aboutir son projet : livrer des médicaments aux otages du Hamas. L’opération est coordonnée par trois personnes : ­l’avocat israélien David Sprecher, le directeur du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot, et le “M. Otages” de l’Elysée, Paul Soler. Aucune issue positive n’étant à espérer sans en passer par le Qatar, l’émirat, autrefois tancé pour ses liens avec le Hamas, est désormais courtisé. Le 2 décembre, Emmanuel Macron s’est rendu auprès du cheikh Tamim, à Doha, et s’apprête à le recevoir à Paris pour une visite d’Etat, avec dîner placé de 200 personnes dans la salle des fêtes gris perle du palais de l’Elysée.

Au départ peu enclin à appuyer la France, en représailles de la proximité d’Emmanuel Macron avec les rivaux des Emirats arabes unis, glisse une source qatarienne, Doha se laisse circonvenir. Et comment convaincre le Hamas ? Khaled Mechaal, responsable des relations extérieures de l’organisation djihadiste, est perçu comme un interlocuteur fiable par le Qatar. Seulement, le délai de transmission de message entre Doha et le Hamas à Gaza est d’une vertigineuse lenteur – de vingt-quatre à quarante-huit heures pour obtenir une réponse –, car, afin de rendre intraçable la localisation des islamistes, de cinq à huit courtiers servent d’intermédiaire. Le canal tortueux est toutefois activé. Le Quai d’Orsay a établi la liste des otages nécessiteux, toutes nationalités confondues. Une liste à laquelle, depuis Tel-Aviv, le Pr Hagai Levine, président de l’association israélienne de santé publique, travaille depuis octobre. Le ministère français a acheté puis conditionné les médicaments (des traitements lourds, contre l’asthme ou le diabète, comme des compléments alimentaires) transmis par valise diplomatique jusqu’à Doha.

Le 16 janvier, un accord est conclu entre Israël et le Hamas pour que 45 otages reçoivent ces produits. Le paquet, une quinzaine de kilos, décolle le lendemain à bord d’un avion de l’armée qatarienne en direction d’El-Arich, en Egypte. Et Netanyahou s’en saisit pour faire un premier croche-patte à Paris. Dans le communiqué annonçant l’accord, les Israéliens s’attribuent les mérites de la livraison. Exit Paris. Arrivées sur place, les boîtes, acheminées en camion vers Gaza, sont examinées par l’armée israélienne, un contrôle contraire aux termes de l’accord. Et puis, à rebours de ce qui était envisagé, la Croix-Rouge ne participe pas, les produits seront répartis par le Hamas. Le 17 février, Tsahal prend le contrôle de l’hôpital Nasser et l’armée israélienne diffuse, sournoisement, une vidéo montrant des boîtes de médicaments fermées au nom d’otages. Le 21 février, nonobstant ces images, peut-être elliptiques, le ministre des Affaires étrangères et le Qatar informent les familles que les otages ont reçu leurs traitements. “Certains” otages ont “peut-être” reçu des médicaments, tempère, voix lasse, une source au cœur des échanges.

7 février : cérémonie aux Invalides

“Monsieur le Président, je suis avec une otage libérée.” Il est 12h30, ce 7 février, lorsque Emilie Moatti, ancienne députée de la Knesset, infatigable ambassadrice de l’association Bring them home now, ­présente sa compatriote à Emmanuel Macron dans le grand salon de l’hôtel des Invalides où les familles des otages ont été conviées. L’épouse de Daniel Shek, ambassadeur ­d’Israël en France de 2006 à 2010, accompagne les familles depuis l’attaque du Hamas. Le président échange avec les parents d’Ofer Calderon, d’Ohad Yahalomi et d’Orion Hernandez-Radoux, trois Français toujours présumés détenus – le 24 mai, le corps sans vie d’Orion Hernandez-Radoux sera retrouvé à Gaza, auprès de deux autres otages morts. Selon Israël, les derniers otages vivants seraient à Rafah, hypothèse jugée “probable” par la France. Selon plusieurs sources, si une centaine d’otages demeurent portés disparus, les captifs en vie seraient au mieux entre 30 et 60.

26 février : Macron consacre “l’ambiguïté stratégique”

Le président français Emmanuel Macron (droite) et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky se serrent la main, le 16 février 2024 à Paris

“Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumer et endosser des troupes au sol. Mais, en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre”, dit Emmanuel Macron. Ce lundi 26 février, il réussit un tour de force : monter en quelques jours un sommet international de soutien à l’Ukraine. A son côté, dans la salle des fêtes de l’Elysée, le président Volodymyr Zelensky, mais aussi 21 dirigeants étrangers, tous à l’unisson de Kiev. Dix jours plus tôt, en signant un traité bilatéral de sécurité à Paris, Macron et Zelensky sont convenus d’organiser une telle démonstration unitaire. Le président ukrainien a besoin d’armes et de munitions et son homologue voit là une occasion parfaite de se poser en alternative des Américains, au moment où le Congrès rechigne à voter son aide de 60 milliards de dollars, alors que les forces russes s’apprêtent à prendre le contrôle d’Avdiïvka, dans le Donbass.

“Nous devrons être prêts à agir, à défendre et à soutenir l’Ukraine quoi qu’il arrive, et quelle que soit la décision des Etats-Unis”, prévient Emmanuel Macron, à Stockholm, le 30 janvier. Deux jours plus tard, le Conseil européen vote une enveloppe de 50 milliards d’euros, les Français faisant plier le Hongrois Viktor Orban. Cette conférence du 26 février consacre la nouvelle posture française : celle de “l’ambiguïté stratégique”, le maintien du flou sur ses intentions militaires à l’égard de la Russie. Après avoir été le dernier à dialoguer avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron s’est décidé à changer de discours, devant les provocations de son rival. Entre autres incidents, des avions français survolant la mer Noire ont été menacés à la radio par la Russie, mi-novembre 2023. Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées, en fut scandalisé, suggérant au président de hausser le ton.

Le sommet se prépare dans la discrétion, car chacun sait que, au moment où la Russie l’apprendra, elle tentera de discréditer l’opération. Bernard-Henri Levy, défenseur de longue date de l’Ukraine, invité à partager un moment avec Volodymyr Zelensky à l’aéroport de Villacoublay, en février 2023, n’est cette fois pas associé. L’attaque survient quelques heures avant la réunion, par la bouche du prorusse Robert Fico, Premier ministre de la Slovaquie – qui sera gravement blessé quelques semaines plus tard : “Il y aura des soldats des Etats membres de l’Otan sur le territoire de l’Ukraine […]. Tout ce qu’ils veulent, c’est que la tuerie continue.”

C’est en ayant à l’esprit ces propos ­nuisibles qu’Emmanuel Macron évoque les troupes au sol. Depuis, la fureur russe se déchaîne. Chaque semaine, des opérations d’ingérence, de la désinformation en ligne, des cyberattaques et même des insultes, comme ce “trouillard zoologique”, balancé par l’ancien président Dmitri Medvedev, qui fait “rire jaune” Emmanuel Macron, selon un proche. Le chef de l’Etat français est passé maître dans l’art d’analyser les déstabilisations poutiniennes. A sa demande, chaque semaine, une réunion sur les ingérences, notamment russes, se tient au Quai d’Orsay en présence des directeurs de cabinet de Stéphane Séjourné, de Sébastien Lecornu, et de représentants de la DGSE, de la DGSI ainsi que de Viginum, le service de Matignon spécialisé dans la désinformation numérique étrangère. Plusieurs réunions ont aussi eu lieu dans l’annexe de l’Elysée dévolue au coordonnateur du renseignement, au 23, avenue de Marigny. Le président lit toutes les notes sur le sujet.

13 avril : “Tu mens comme un arracheur de dents”

“Nos Rafale sont en l’air.” Il est environ 23 heures lorsque le chef de l’Etat prévient ses proches par SMS de l’opération en cours en Jordanie : face au déluge de missiles envoyés depuis l’Iran, la France active sa base au nord-est d’Amman pour intercepter les 300 projectiles dirigés vers Israël. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Jordanie ont également participé aux opérations. L’hypothèse d’une attaque iranienne était connue, ce scénario ayant fait l’objet d’une coordination en amont des Occidentaux. La manœuvre est une excellente nouvelle pour Israël, soutenue militairement pour la première fois de son histoire. Entre Emmanuel Macron et Benyamin Netanyahou, les conversations demeurent cependant éruptives. “Tu mens comme un arracheur de dents”, s’emporte le président français, le 22 avril, lors d’un entretien téléphonique avec l’Israélien. “It’s not so bad, cause it couldn’t be worse [Ce n’est pas si mal, parce que ça ne pourrait pas être pire]”, s’amuse Benyamin Netanyahou devant un visiteur l’interrogeant sur ses relations avec le Français.

Depuis le début de la guerre, la France pèse pour éviter l’ouverture d’un front au sud du Liban. Une incursion contre le Hezbollah que, dès le 8 octobre, selon nos informations, le cabinet de guerre israélien hésita à ordonner, en parallèle de Gaza, et qui, six mois plus tard, face aux bombardements incessants de la milice, demeure une option. “Dis à ton copain qu’on est très nerveux et qu’on a la gâchette facile”, écrit le ministre israélien Benny Gantz, dans un langage soldatesque, à un intermédiaire, évoquant Emmanuel Macron.

Malgré ces paroles viriles, les Israéliens voient Paris comme le seul acteur ­susceptible d’amorcer un échange avec le Hezbollah, dont la branche politique n’a jamais été considérée comme terroriste par la France. Un peu comme le Qatar avec le Hamas, le dialogue décrié hier trouve aujourd’hui son intérêt. Début décembre 2023, Bernard Emié, encore directeur de la DGSE, se rend au Liban pour demander à la milice de retirer ses troupes du nord du fleuve Litani. Emmanuel Bonne et Jean-Yves Le Drian, envoyé spécial du président Macron, ont également averti les dirigeants libanais des conséquences d’une guerre pour leurs infrastructures. Le Hezbollah prend soin, depuis plusieurs mois, de ne pas dépasser un niveau de violence qui entraînerait la guerre au sol.

6 mai : conciliabules à l’hôtel Peninsula

Selon l’un de nos lecteurs, les droits de l’homme n’ont pas pesé lourd face aux enjeux économiques lors de la visite en France du président chinois (ici, Emmanuel Macron et Xi Jinping à l’Elysée, le 6 mai).

“Vous ne pouvez pas vous dire mon ami et ne rien faire pour que Poutine arrête.” Devant Xi Jinping, le président chinois, en visite d’Etat grandiose en France pendant deux jours, Emmanuel Macron fait entendre la petite musique française. Le 22 novembre, déjà, auprès des ministres de la Ligue arabe réunis à l’Elysée, il avait lancé le débat face aux inquiétudes sur un “double standard” entre Israël et la Palestine : “Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais pourquoi vous ne dites pas la même chose sur Poutine et l’Ukraine ?”

Le président aimerait être celui qui rapproche les Occidentaux et le “Sud global”, qui n’en a cure. En Inde, deux jours avec Narendra Modi, en janvier, au Brésil, deux jours avec Lula, en mars, et dès son retour de Nouvelle-Calédonie, le 24 mai, une ­réunion avec des ministres qatariens, ­jordaniens, égyptiens et saoudiens ; le dialogue se poursuit. “Pas facile”, convient un de ses conseillers. Le 18 avril, quatre jours après l’attaque de l’Iran, la France appuie une résolution de l’Algérie à l’ONU en faveur de l’admission de la Palestine comme membre à part entière. Le Qatar, la Jordanie et l’Egypte approuvent. Ofer Bronchtein le presse de reconnaître l’Etat de Palestine, comme la Norvège, ­l’Irlande ou l’Espagne l’ont fait, geste immense auquel réfléchissent ses proches. Inconfortable, cette position centrale offre aussi de rares et puissantes possibilités. A trois reprises, dont le 27 janvier puis le 25 mai, Paris a accueilli des pourparlers entre la CIA, le Mossad, le Qatar et l’Egypte autour d’un cessez-le-feu et de la libération des otages à Gaza. Des réunions organisées notamment au premier étage du Peninsula, à Paris, un palace ­propriété du fonds souverain qatarien.

7 mai : l’ambassadeur français isolé à Moscou

A l’investiture de Poutine, vainqueur pour la cinquième fois de l’élection présidentielle, sous les dorures du Kremlin, l’ambassadeur de France en Russie, Pierre Lévy, est le seul représentant d’un pays membre du G7. Hormis la Hongrie, la Slovaquie, Malte, Chypre et la Grèce, tous les pays européens ont boycotté – une idée de Londres. A Paris, le ministre Stéphane Séjourné a pesé pour que soit honorée l’obligation protocolaire. Soit on ferme l’ambassade, soit on assume. La France maintient son ambition d’une “troisième voie”, indépendante des messages américains. “La France croit ­toujours qu’elle pourra ramener dans le droit chemin les malfaisants”, soupire un responsable politique ukrainien. L’heure est néanmoins à l’assistance maximale de l’Ukraine. Andriy Yermak, chef de cabinet de Volodymyr Zelensky, s’ouvre régulièrement à l’eurodéputée Nathalie Loiseau, Bernard-Henri Levy ou Emmanuel Bonne des besoins pressants en armements. Et l’Elysée s’attend à envoyer “probablement” des troupes au sol dans les prochains mois, afin de former les militaires sur place, ce que Kiev confirme le 27 mai. Des agents de la DGSE sont présents depuis longtemps sur le territoire, comme des militaires américains, britanniques ou polonais.

La subsistance d’un canal de discussion avec la Russie, même de très basse intensité, laisse poindre un hypothétique processus de paix, particulièrement en cas de statu quo sur le front, le scénario est craint à l’Elysée. Si la France mise officiellement sur la victoire totale de l’Ukraine, les circonstances l’obligent à ménager aussi la possibilité d’un accord, un jour, dans lequel la Russie se retirerait et s’engagerait à respecter la sécurité de Kiev, sans forcément que l’Ukraine retrouve alors toute sa ­souveraineté sur la Crimée et le Donbass. Ligne de crête ardue. Emmanuel Macron a reçu du député Benjamin Haddad, président du groupe d’amitié France-Ukraine, les Mémoires jamais traduits de l’ambassadeur américain Richard Holbrooke, ­négociateur des accords de Dayton, en 1995, mettant fin à la guerre entre la Yougoslavie et la Bosnie. Son titre : “To End a War”.

21 mai : un tramway entre Jérusalem et Ramallah

Deux femmes lui tournent le dos pendant son discours, un ministre israélien lui enjoint de rectifier ses déclarations. La soirée du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, à l’hôtel du Collec­tionneur, près du parc Monceau, à Paris, à l’occasion des 75 ans des relations diplomatiques entre la France et Israël est tendue. L’Etat hébreu juge la réaction du gouvernement français trop complaisante envers la décision du procureur de la Cour pénale internationale de requérir un ­mandat d’arrêt contre Netanyahou. Malgré une clarification, notamment sur le refus de toute “équivalence entre le Hamas – un groupe terroriste – et Israël – un Etat démocratique”, Paris assume de se ­démarquer des positions américaines ou britanniques.

Car Emmanuel Macron se rêve en architecte de la paix au Proche-Orient et amplifie, aiguise, peaufine la position ­centrale, tierce de sa diplomatie, recevant ­discrètement l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, ex-envoyé spécial pour le Moyen-Orient. Il y a quelques semaines, Israël Katz, le ministre des Affaires étrangères, puis Benyamin Netanyahou ont fait savoir, via deux interlocuteurs français, qu’ils seraient prêts à négocier avec le Liban l’application de la résolution 1701 de l’ONU, qui prévoit la cession par Israël de la zone des fermes de Chebaa, 10 kilomètres le long de la frontière libanaise. En échange, le Liban organiserait le retrait du Hezbollah à 30 kilomètres de la frontière, sous l’égide de la Finul, l’armée des Nations unies, sous influence française. Charge à Paris d’organiser la conciliation avec les Libanais.

Emmanuel Macron aime aussi concevoir l’après, la “solution à deux Etats” espérée depuis les accords d’Oslo, signés en septembre 1993. La semaine du 13 mai, Ofer Bronchtein lui a remis son rapport, intitulé “La paix autrement”, et ses 20 recommandations, élaborées après ­l’audition d’une centaine d’acteurs. Après le cessez-le-feu, il imagine une bande de Gaza protégée par les armées de pays arabes, l’Egypte, la Jordanie et le Maroc, les tunnels transformés en data centers, un tramway entre Ramallah et Jérusalem, et la reconstruction facilitée par une taxe de 0,25 % sur les ventes d’énergie fossile. Sur le plan politique, Mahmoud Abbas, dans une lettre d’août 2021, annexée au rapport, dit accepter de rencontrer des juifs séfarades à Paris.

Peu après le 7 octobre, une première tentative de faire dialoguer les sociétés civiles israélienne et palestinienne en France, initiée par le Quai d’Orsay, avait achoppé. La diplomatie est un travail de patience, qui connaît parfois quelques grâces. Zelensky, invité en Normandie pour le 80e anniversaire du D-Day, sait que des officiels russes seront présents sur les plages françaises. Cette semaine, au téléphone avec Emmanuel Macron, qui lui demande s’il a décidé de venir – ou pas –, l’Ukrainien répond : “Je viens. Si ce n’était pas toi, ma réponse aurait été différente.” Après cette cérémonie du 6 juin, Stéphane Séjourné devrait signer à Kiev quatre accords bilatéraux, dont un sur la santé, un autre sur le fonds de restructuration de l’économie et un autre encore sur l’ouverture en Ukraine d’un bureau de l’Aide française au développement.




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