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Poutine et sa guerre sale contre l’Europe : sabotages, manipulation et crime organisé

Il est presque minuit, ce 20 mars, lorsqu’une voiture s’arrête devant l’entrepôt appartenant à l’entreprise de transport Meest, dans le nord de Londres. Sous l’œil d’une caméra de vidéosurveillance, deux hommes en sortent pour arroser d’essence des volets roulants, avant d’y mettre le feu et de déguerpir. Ce n’est qu’au bout de quatre heures d’intervention qu’une soixantaine de pompiers parviennent à maîtriser l’incendie.

Un simple acte criminel ? Non, Scotland Yard a rapidement identifié et incarcéré cinq participants présumés, dont un Anglais âgé de vingt ans, suspecté d’avoir été rémunéré par Moscou. Meest est spécialisée dans l’acheminement de colis vers et depuis la ville ukrainienne de Lviv, où elle a déjà envoyé une cinquantaine de camions d’aide humanitaire depuis 2022. Pour le parquet, il n’y a pas de doute : cet incendie “visait à envoyer le message que si vous aidez l’Ukraine, il y aura une punition”. Autre fait troublant : dix jours après l’incendie, Meest en a subi un autre, dans ses locaux en banlieue de Madrid…

Il n’y a pas que l’Angleterre et l’Espagne qui soient concernés par de telles opérations de déstabilisation. Résolue à faire payer à l’Europe son soutien à l’Ukraine, la Russie intensifie ces derniers mois ses actions malveillantes sur le continent. “Il s’agit d’actes de sabotage, d’actes de violence” et autres “activités hybrides” qui “constituent une menace” sécuritaire, ont dénoncé les pays membre de l’Otan, début mai, ajoutant que cela “ne les dissuaderait pas de continuer à soutenir l’Ukraine”.

“Un bain psychologique de peur et de menaces”

Ces sabotages servent tout autant à perturber le circuit d’approvisionnement d’aides à l’Ukraine qu’à ébranler les opinions. “Ils ont pour but de nous faire baigner dans un bain psychologique de peur et de menaces permanentes, pour rendre les Occidentaux moins capables de prendre les bonnes décisions quand il faut le faire”, estime Mathieu Boulègue, chercheur associé au groupe de réflexion Chatham House. Et qu’importent les conséquences : “Les Russes s’en fichent, ils n’ont rien à perdre à commettre ce type d’actions, poursuit le spécialiste de la Russie. Ce n’est pas seulement une guerre conventionnelle, on a dépassé ce cap, mais une forme de conflit ouvert, permanent, de basse intensité.”

Particulièrement ciblée, la Pologne a annoncé l’arrestation de neuf personnes, de nationalités ukrainienne, biélorusse et polonaise, “directement impliquées au nom des services russes dans des actes de sabotages”, selon le Premier ministre Donald Tusk – qui a annoncé une rallonge budgétaire de 23,5 millions d’euros pour muscler son contre-espionnage. Certains des suspects projetaient un incendie sur une usine de peintures, d’autres un attentat contre le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Un dernier serait le commanditaire de l’agression au marteau, en Lituanie, de Leonid Volkov, un proche du défunt opposant russe, Alexeï Navalny.

Cibles privilégiées, les États baltes multiplient eux aussi les arrestations – une quinzaine rien qu’en Estonie depuis le début de l’année – et sont en alerte maximale face à cette menace. “Les services de renseignement et de sécurité russes sont devenus nettement plus agressifs, relève, dans son dernier rapport, le service de renseignement intérieur estonien, la Kapo. S’ils emploient des méthodes plus grossières, ils agissent aussi plus souvent sous couverture.”

Les autorités de Finlande et d’Estonie estiment que la Russie serait derrière le sabotage de Balticonnector, le gazoduc reliant les deux pays, en octobre. La baisse de pression dans le pipeline correspond au passage d’un navire immatriculé en Chine, le Newnew Polar Bear, dont l’équipage était russe. Les enquêteurs estiment que l’ancre du bateau aurait causé des dégâts. L’épisode en rappelle un autre, lorsque des câbles de fibre optique avaient été endommagés près de l’archipel norvégien du Svalbard, en janvier 2022, au moment même où un navire de pêche russe naviguait dans le secteur. Un drone des autorités norvégiennes a révélé un chalutage intensif des fonds autour des câbles.

“La Russie utilise des moyens détournés pour frapper, sans que cela ne déclenche une contre-offensive radicale, constate l’ex-colonel de la DGSE, Olivier Mas. Ses services ont les compétences, la ‘niaque’ et l’esprit pour ce genre de crapuleries.” Les autorités allemandes le découvrent depuis l’invasion de l’Ukraine. Pour elles, c’est bien Moscou qui serait derrière le sectionnement de câbles ayant interrompu le trafic ferroviaire dans le nord du pays, en octobre 2022. Le réseau ferré européen est une cible privilégiée : des tentatives de sabotage en République tchèque, via des attaques cyber sur le système de signalisation, ont été repoussées. Le trafic aérien, une autre : des brouilleurs près de la frontière estonienne et à Kaliningrad viennent régulièrement perturber les systèmes de guidage des avions civils au-dessus de la mer Baltique.

Sous-traitance au crime organisé

“Le risque d’actes de sabotages commandités par l’État russe s’est considérablement accru”, a reconnu Thomas Haldenwang, le chef du renseignement intérieur allemand (BfV), précisant que Moscou était prêt à mener des opérations avec “un potentiel élevé de dommages”. Récemment, deux citoyens allemands, détenteurs de la nationalité russe, ont été arrêtés en Bavière. En contact avec une “personne liée aux services secrets russes”, selon le parquet allemand, l’un d’entre eux avait accepté de commettre des sabotages “sur des sites industriels et militaires”. Leurs repérages concernaient également la base américaine de Grafenwoehr, où des soldats ukrainiens sont formés à l’utilisation de chars américains Abrams.

D’autres sinistres pourraient être imputés à la Russie. Une enquête doit déterminer l’origine exacte de l’incendie ayant ravagé une partie d’une usine de la banlieue ouest de Berlin appartenant au groupe Diehl, le fabricant d’un système antimissile prisé des Ukrainiens face aux menaces aériennes russes, le IRIS-T. Une autre est en cours concernant une explosion sur le site de production de munitions de BAE Systèmes, au Pays de Galles.

La base militaire américaine à Grafenwoehr, dans le sud de l’Allemagne, ciblée par les espions russes en vue d’éventuels actes de sabotage.

Ce ne serait pas la première fois que la Russie s’en prend à des infrastructures de défense de pays membres de l’Otan. En 2014, des officiers de son service de renseignement militaire, le GRU, ont fait exploser, en République tchèque, un dépôt de munitions soviétiques, dans lequel les Ukrainiens, par la suite, auraient pu puiser. Le même GRU a été accusé d’avoir fait exploser plusieurs entrepôts similaires en Bulgarie, avant et après l’invasion de l’Ukraine. Des opérations d’autant plus dommageables que ce pays est l’un des derniers fabricants européens d’obus et cartouches adaptés aux canons soviétiques des forces ukrainiennes.

La main du GRU serait également derrière l’incendie de l’entrepôt Meest à Londres, mais à travers des intermédiaires dont les autorités supposent, pour quatre d’entre eux, qu’ils ignoraient agir pour la Russie. “Faire appel au crime organisé est un moyen efficace de recruter […] sans que les participants aient besoin de savoir qu’ils travaillent sous contrôle russe, explique un rapport du groupe de réflexion britannique RUSI. Cela permet le déni.”

Les services russes contraints de se réinventer

L’heure ne semble plus à des opérations réalisées par des agents envoyés sur place, comme lors de la tentative d’assassinat, dans la ville anglaise de Salisbury, du transfuge Sergueï Skripal. Les services occidentaux sont plus vigilants que jamais. Et l’expulsion de centaines de faux diplomates – mais vrais espions – partout en Europe, à la suite de l’invasion de février 2022, a conduit les services russes à privilégier une forme de sous-traitance rémunérée.

Deux opérations de manipulation de l’opinion visant à discréditer la France et attribuées à la Russie illustrent cette tendance. En octobre dernier, après le massacre du 7 octobre et le début de la guerre à Gaza, des étoiles de David bleues avaient été taguées au pochoir sur des bâtiments parisiens et relayés sur les réseaux sociaux comme l’expression d’une haine antisémite. Les auteurs, un couple originaire de Moldavie, avaient été payés pour un homme d’affaires moldave prorusse. Mi-mai, ce sont des mains rouges qui ont été peintes devant le mémorial de la Shoah, cette fois par des ressortissants bulgares.

Des étoiles de David dessinées au pochoir sur un immeuble du quartier Alésia, dans le XIVe arrondissement de Paris, dans la nuit du 31 octobre 2023

Dans les deux cas, les espions de Moscou n’ont eu qu’à s’inspirer des méthodes de leurs aînés. Des croix gammées avaient été peintes sur la synagogue de Cologne, en 1959, avant que d’autres n’apparaissent, ainsi que des slogans antisémites, ailleurs en Allemagne de l’Ouest, mais également en France et dans d’autres pays européens. Ce vandalisme avait suscité de fortes réactions dans l’opinion et mené à une manifestation de 40 000 personnes, à Berlin-Ouest, pour dénoncer le retour de l’antisémitisme nazi. Il s’agissait en réalité de “mesures actives”, pilotées depuis l’URSS pour discréditer la RFA et semer la discorde avec ses alliés, comme l’ont révélé, par la suite, des transfuges du KGB.

D’autres épisodes de la Guerre froide ont de quoi mettre en alerte les autorités occidentales. “La planification d’opération de sabotage est quelque chose d’assez ancien pour les Russes, qui ont commencé à constituer des réseaux dédiés dès les années 1920, explique Cyril Gelibter, doctorant en histoire de la diplomatie et spécialiste des services russes. Il y a toujours eu des officiers en poste dans les capitales pour étudier les infrastructures, notamment pétrolières, à saboter.”

La défection, en 1971, d’Oleg Lyaline, un agent du KGB basé à Londres, avait révélé l’étendue des préparatifs d’actions de déstabilisation prévus au Royaume-Uni. Et cela en temps de paix, mais également en cas de guerre, avec pour objectif de terroriser la population. Parmi les opérations listées se trouvait l’inondation du métro londonien, l’élimination de personnalités antisoviétiques et la destruction de radar en capacité de donner l’alerte en cas d’attaque de missiles balistiques – potentiellement nucléaires – d’une base du Yorkshire par un groupe de saboteur débarqué clandestinement sur la côte.

Si les tensions devaient encore s’accroître avec l’Occident, la Russie prévoit déjà ses prochains sabotages. Elle faisait faire, en octobre, un étrange ballet d’allées et venues à un navire espion flambant neuf, le Evgueny Gorigledzhan, dans le détroit de Fehmarn Belt, où sont creusés quatre tunnels ferroviaires et routiers entre le Danemark et l’Allemagne. Un autre vaisseau, Amiral Vladimirsky, officiellement dédié, lui aussi, à la recherche océanographique, a visité les différents parcs éoliens de la Baltique et de la mer du Nord. De quoi repérer leurs points faibles, tester la vigilance des Occidentaux et frapper, au jour J.




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