C’est une percée incroyable dans la Hongrie verrouillée depuis quatorze ans par Viktor Orbán. Le 10 février, un scandale d’ampleur dans une affaire pédocriminelle provoquait la démission de la présidente Katalin Novák et le retrait de la vie publique de Judit Varga, ex-ministre de la Justice qui devait mener la liste du Fidesz aux européennes. Le lendemain, un ancien diplomate nommé Péter Magyar, ex-époux de Varga et pur produit du Fidesz, s’invitait dans le média alternatif Partizán pour tacler le pouvoir.
Fils de juristes renommés, le dissident s’est retourné contre le système qui l’a biberonné de Budapest aux couloirs des institutions européennes. Trois mois après son coup d’éclat, le renégat au look de golden-boy est devenu l’anti-Orbán numéro un, écrasant une opposition de gauche libérale en piteux état. Le 15 mars et le 6 avril, des dizaines de milliers de personnes l’écoutaient à Budapest. Le 17 avril, il annonçait la liste européenne de son parti Tisza (Respect et Liberté) et entamait une tournée nationale.
“Beaucoup voient en lui une chance qu’ils ne voyaient en personne dans l’opposition. Et pas seulement les électeurs d’opposition, mais aussi cette classe moyenne qui exprime désormais son ras-le-bol face à la destruction de la démocratie”, observe le politologue Stefano Bottoni. “L’émergence de Tisza est une situation inconnue. Mais du point de vue du Fidesz, c’est un avantage que l’opposition soit perturbée”, complète le politologue Ágoston Mráz de l’institut Nézőpont, proche du gouvernement.
“Brique après brique”
Sur le plateau d’un camionnette, sur une scène ou au milieu d’une place de village, Magyar promet à chacune de ses multiples allocutions de “reprendre pas à pas” et “brique après brique” le pays. Un one-man show à la Beppe Grillo (l’ancien leader du Mouvement 5 étoiles italien) mâtiné d’Emmanuel Macron 2017. Son credo ? Une Hongrie “libre” et “européenne” à rebours du modèle Orbán. Mais outre ses diatribes et ses fans prêts à envoyer sa formation de centre-droit à Bruxelles, où elle souhaite rejoindre le Parti populaire européen (PPE), Magyar soigne ses symboles.
À Göd, devant l’usine Samsung SDI, il dénonce la profusion des ateliers de batteries électriques en Hongrie, surtout chinoises, et leurs dangers environnementaux. À Felcsút, village d’enfance de Viktor Orbán, il prend le petit train local pour mieux critiquer ce caprice financé par l’UE. À Keszthely, sur la rive nord du lac Balaton, il montre du doigt lors d’une tournée à vélo des hôtels de luxe de proches du régime dont le gendre d’Orbán. À Röszke, près de la clôture anti-migrants sur la frontière serbe, il tance le recours par le gouvernement Orbán à des travailleurs étrangerset la libération de passeurs de migrants par l’exécutif.
Le 5 mai, il choisit Debrecen, deuxième ville du pays et bastion du Fidesz pour son plus grand meeting en province. Des centaines de soutiens le rejoignent en train depuis Budapest. “Il est jeune, il a de l’élan. On espère qu’il va rétablir l’Etat de droit. Si on s’unit, l’autocratie du Fidesz peut être renversée”, estime Rozália, une coiffeuse, qui a fait le déplacement. “Je n’ai jamais vu un politicien aussi affûté depuis des décennies. Il a accompli seul bien plus que toute l’opposition”, salue son mari Sándor, restaurateur.
Projet attrape-tout
Conservateur modéré, pro-européen et pro-économie de marché, Péter Magyar rappelle le Viktor Orbán de 1998, propulsé Premier ministre à 35 ans par le dégagisme des héritiers du communisme. Son corpus idéologique le rapproche de Péter Márki-Zay, candidat de l’opposition unie laminé par Orbán aux élections d’avril 2022. Mais l’homme suscite toutes sortes de projections. Ses détracteurs issus de la gauche le comparent au Fidesz sans Orbán. Le camp du Premier ministre le présente comme un traître, un “serviteur de Bruxelles”, un suppôt de la “gauche dollar” financé par George Soros et un persécuteur qui aurait terrorisé son ex-épouse.
Fort de son charisme et d’une popularité qui explose, Magyar défend un projet attrape-tout en 21 points. Né dans la politique, ce filleul de l’ex-président hongrois Ferenc Mádl, qui participait enfant à des manifestations et suivait des séances parlementaires à la télé, souhaite notamment doubler les allocations familiales, revaloriser les plus petites retraites et limiter le nombre de mandats des députés et du Premier ministre à deux maximum. L’anti-Orbán prône aussi l’adhésion de la Hongrie au Parquet européen anticorruption, un programme pour ramener au pays les Hongrois installés à l’étranger, l’indépendance des médias publics et un soutien accru aux PME.
Àquelques jours des élections européennes du 9 juin, les sondages le placent devant la coalition de centre-gauche et le reste de l’opposition dont les libéraux de Momentum, auxquels il risque de subtiliser leurs deux sièges. Mais l’ambitieux voit plus loin. “Nous allons gagner les législatives de 2026 et n’aurons pas besoin de coalition”, s’emballe même Magyar dans une interview à l’hebdomadaire HVG. Reste à voir si Orbán le laissera faire.
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