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Les militants de LR fermement opposés à l’alliance avec le RN ? Pas si sûr…


Nous sommes le mardi 11 juin, vers le milieu de journée. Christelle*, une salariée historique du parti Les Républicains, descend les escaliers du 4 place du Palais Bourbon, en pleurs. Cette militante de longue date, déjà là au temps du RPR, ne peut contenir son émotion lorsqu’elle passe devant les portraits des figures historiques de la droite républicaine française : Philippe Séguin, Charles Pasqua, Valérie Giscard d’Estaing… Sans doute doivent résonner dans son esprit les mots de Jacques Chirac, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle en 2002 : “Face à l’intolérance et à la haine, il n’y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible.”

Depuis, il y a eu La Manif pour tous, la recomposition politique de 2017, le phénomène Zemmour, l’ascension fulgurante de Bardella… et puis le coup de massue : Eric Ciotti, président de LR, a décidé d’engager son parti dans une alliance avec le Rassemblement national, plongeant Les Républicains dans une des plus graves crises de leur histoire.

Si les adversaires et observateurs extérieurs s’amusent de ce vaudeville, les militants et sympathisants, eux, sont affligés. “On dirait un épisode de The Office, c’est ridicule”, nous dit le responsable départemental des Jeunes LR Yvelines, Julien Abbas. Dominique, un agriculteur bourguignon à la retraite qui a toujours voté pour les partis de droite de gouvernement, confirme : “Sur la forme, c’est absolument exécrable… Comment imaginer qu’un chef de parti prenne une décision aussi importante sans consulter son bureau politique ?”

Fracture entre la base militante et les cadres

Tout laisse penser que le fameux “cordon sanitaire républicain” reste, plus que jamais, d’actualité. Comment en douter, après la série de réactions indignées des cadres du parti, Annie Génevard, Valérie Pécresse, Gérard Larcher, Florence Portelli, Xavier Bertrand, et d’autres qui se sont réunis en bureau politique pour destituer de ses fonctions Eric Ciotti ? “On ne compose pas avec les extrêmes”, tel est le mot d’ordre des ténors républicains, qui veulent donner l’image d’un parti uni contre une décision prise de manière unilatérale.

Derrière l’image, la réalité est tout autre : le parti est traversé par de nombreuses divisions. A commencer par la fracture entre la base militante et les cadres. C’est ce que suggèrent les tensions que rapportent à L’Express de nombreux militants et sympathisants. Jean*, un responsable régional des Jeunes Républicains, aurait reçu des menaces de la part du bureau politique le pressant à se positionner publiquement contre Eric Ciotti, sans quoi il risquerait de perdre son poste. “Ils veulent nous forcer à participer à ce triste spectacle. Ce sont des méthodes autoritaires, on dirait LFI…”, s’indigne-t-il.

Bien loin de l’union sacrée, les militants observent que sur le terrain, l’unanimité qui règne au niveau des cadres du parti n’est pas partagée. C’est par exemple ce que raconte Gaétan, un jeune militant d’Ile-de-France, pour qui “il y a une différence évidente entre la base militante, où c’est globalement du 50/50, et les cadres du parti”. C’est également le vécu de Jean : “Les jeunes autour de moi, même les plus centristes, ont la sensation de se faire trahir par les grands ténors du parti. Il y en a de plus en plus qui soutiennent Ciotti.” Il faut bien toutefois distinguer les militants des électeurs. Dans l’ensemble, ces derniers sont restés fidèles à la ligne idéologique traditionnelle du parti, ce qui explique que 53 % des électeurs de Valérie Pécresse aient décidé de voter Emmanuel Macron plutôt que Marine Le Pen au second tour de la dernière élection présidentielle (sondage Ipsos-Sopra Steria du 24 avril 2022).

La fin d’un tabou ?

Et si la base militante était, elle, déjà prête à “l’union des droites” qu’Eric Ciotti appelle de ses vœux ? C’est la conviction d’Alexandre Pesey, fondateur de l’IFP (Institut de formation politique, catholique conservateur), un organisme qui s’est donné pour objectif de former et de mettre en réseau les futures personnalités de la droite : “Chez les militants LR que l’on côtoie à l’IFP, en privé ils sont une majorité à vouloir l’union, et ça monte en puissance, il y a un véritable enthousiasme. L’expression qui revient sans cesse, à propos de Ciotti, c’est’il en a'”.

La décision controversée d’Eric Ciotti ne ferait-elle qu’acter politiquement la réalité de la base militante ? C’est ce qui ressort de la majorité des échanges avec les militants et sympathisants contactés. Certes, tous ne sont pas favorables à l’union. C’est ce que rappelle Julien Abbas : “Il y a deux franges, ceux qui veulent l’alliance, et ceux qui veulent rester indépendants.” Mais tout l’enjeu se situe justement dans le flou qui entoure la posture de “l’indépendance”. S’ils ne veulent pas d’alliance avec le RN, cela ne veut pas forcément dire qu’ils considèrent les membres du parti d’extrême droite comme étant infréquentables.

D’abord parce que pour un certain nombre d’entre eux, c’est la forme qui dérange plus que l’idée d’envisager de travailler avec le RN. C’est ce que nous dit Bruno*, un ancien salarié du siège et militant dans la Somme : “Le gros problème, c’est la méthode, la manière dont ça a été fait.” De fait, leur opposition au parti de Marine Le Pen ne se fait pas tant sur la conviction qu’un monde sépare les deux partis, mais plutôt sur la volonté de conserver l’autonomie et l’identité propre de LR, de ne pas “sacrifier l’héritage gaulliste”, nous dit Gaétan.

Sur le fond, les critiques à l’égard du RN sont limitées. Il est loin, le temps des diatribes d’un Jacques Chirac. Pour ces militants, nulle nécessité de combattre un parti “dangereux pour la République”. Ce qui empêche toute alliance, c’est avant tout le programme économique du RN, jugé trop “étatiste”. “Si faire l’union des droites, c’est appliquer le programme économique du RN…”, dit Bruno, dubitatif. Cette tiédeur des critiques, Marc*, un ancien salarié du siège opposé à l’union des droites, l’a observée pendant la campagne des européennes : “Lorsqu’il fallait trouver des arguments contre le RN, souvent, c’était le syndrome de la page blanche…

LFI, le nouveau repoussoir

Chez LR, le “tout sauf les extrêmes” a été remplacé par le “tout sauf le Nouveau Front populaire ou le macronisme”. Pour Marc, cette nouvelle réalité a du mal à passer, au point de le pousser à rendre sa carte dès le mardi 11 juin : “En tant que militant de base, je suis sidéré que la réponse de la résistance à Ciotti soit la ligne de l’indépendance, et que personne ou presque n’ose évoquer au niveau national une coalition avec Horizons. Pour moi, la ligne du “ni-ni”, c’est accepter de donner des circonscriptions au RN.” En effet, si l’alliance avec le RN ne fait pas l’unanimité, le “ni-ni” sonne pour les militants comme une évidence. Julien Abbas l’assume clairement : “Mes adversaires, ce sont le Nouveau Front populaire et Macron. Les autres, ce sont des concurrents, mais pas des adversaires.”

La répulsion que suscite le président de la République peut étonner, quand on sait que nombre d’anciens militants et cadres politiques de LR appartiennent aujourd’hui au bloc central. “Ils sont toujours sur la liturgie de la traîtrise. Eric Woerth, Bruno Le Maire, Edouard Philippe, Christophe Béchu, ce sont tous des traîtres… Mais aucun ne s’est posé la question de savoir si la direction que prenait LR aujourd’hui n’était pas une trahison de Valérie Giscard d’Estaing ou de Chirac ?”, se désole Marc. A cette question, Dominique répond sans hésiter : “Edouard Philippe n’est pas de droite, et ne l’a jamais été, c’est un ancien juppéiste qui n’a jamais défendu une seule valeur de droite”.

Quant au positionnement à avoir vis-à-vis du Nouveau Front populaire, aucune place n’est laissée à l’ambiguïté, tant La France Insoumise fait figure de repoussoir ultime. Tous voient dans “l’extrême gauche” un “ennemi héréditaire”, un “parti de l’anti-France”, avec lequel aucun compromis n’est envisageable. A la question de savoir ce qu’ils voteraient en cas de deuxième tour NFP contre RN, tous nos interlocuteurs ont répondu, sans sourciller, qu’ils glisseraient dans l’urne un bulletin Rassemblement national.

“L’union des droites”, une idée qui ne date pas d’hier

Si la droite française traverse depuis quelques jours une petite révolution, c’est sans doute parce que “l’union des droites” est un processus en maturation depuis des décennies. C’est une “œuvre de patience”, pour reprendre les mots d’Alexis de Tocqueville, auteur de L’Ancien Régime et la Révolution. L’idée d’une “fusion” de toutes les droites existait déjà du temps de Jean-Marie Le Pen, même si elle était marginale à l’époque. L’IFP d’Alexandre Pesey, véritable fer de lance de “l’union des droites”, date par exemple de 2004.

Mais si les frontières entre les différentes droites sont de plus en plus floues, c’est aussi parce que les années 2010 ont été celles de la contre-offensive culturelle de la droite. Dans On n’est pas couché, Eric Zemmour a séduit avec un discours anti-politiquement correct, assumé et bien ficelé. C’est également durant cette décennie qu’ont pullulé sur Internet des vidéos de youtubeurs d’ultradroite. Avec un ton provocateur, un verbe acerbe et un montage nerveux, ces nouveaux influenceurs se sont attaqués à la “bien-pensance” de la gauche ainsi qu’à ses totems : antiracisme, féminisme, etc. Sur les forums JVC (jeuxvideo.com, un site internet où de nombreux jeunes étaient très actifs dans les années 2010), des milliers de jeunes se sont partagé les vidéos de Valek ou de Raptor Dissident (des youtubeurs classés à l’extrême droite), et ont jubilé de voir des gens enfin oser ces transgressions, dans un espace médiatique qu’ils jugeaient aseptisé et trop longtemps dominé par la gauche.

Sur le plan culturel et idéologique, les militants LR, RN ou Reconquête ont ainsi baigné dans un univers commun de représentations. “Les militants de Jordan [Bardella], de Zemmour, de LR, ils se connaissent tous, ils prennent des pots ensemble, font des dîners, certains sont amis…”, se félicite Alexandre Pesey. Ce que confirme Marc : “L’union des droites existait bien avant la crise provoquée par Ciotti… les militants LR, RN ou Reconquête ont tous les mêmes références !”

Puis est arrivé 2017, le début de la tripartition de la vie politique (formation de trois grands blocs politique, à gauche autour de LFI, au centre avec En Marche, et à droite autour du RN) et la longue chute de la droite républicaine au profit du Rassemblement national. “Les LR ne se sont jamais remis de la défaite de François Fillon, on est passé de 20 % en 2017 à 4 % avec Pécresse en 2022… tout est dit !”, lâche Dominique, résigné. Cette recomposition de l’échiquier politique au détriment de LR, Thierry*, un ancien militant de l’UMP qui a repris sa carte à l’occasion des européennes, l’a observée lors de ses tractages sur les marchés : “J’ai été très surpris de voir d’anciens compagnons de route de l’UMP tracter pour Renaissance ou Horizons. Mais surtout, ce qui m’a marqué, c’est de voir que les militants LR étaient très proches des militants Reconquête !, il y avait même un accord pour ne pas trop se combattre, ne pas recouvrir les affiches des uns des autres.”

Pour ceux qui restent attachés à la droite traditionnelle, comme la sénatrice et présidente des Républicains du Morbihan Muriel Jourda, il ne reste guère que l’espoir : “On sera patients… je crois que le clivage gauche-droite n’est pas mort. Si l’on en termine avec cette absurdité qu’est la tripartition extrême gauche, centre, extrême droite, alors je ne désespère pas qu’on se refonde”.

* Les prénoms ont été modifiés.




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