*.*.*.

Pourquoi Donald Trump est pire que Marine Le Pen, par Anne Applebaum


Les élections européennes sont aux accros de la politique ce que la Coupe du monde est pour les amateurs de football. Il y a 27 pays avec 27 configurations politiques différentes et 27 résultats à analyser. Comme il ne s’agit pas d’élections nationales et qu’elles ne changent généralement pas le gouvernement en place, les électeurs les traitent souvent de manière expérimentale, en votant pour des partis qu’ils ne choisiraient pas pour diriger leur pays, ou en votant simplement pour protester contre le parti au pouvoir, comme le font les Américains lors des élections de mi-mandat. C’est ce qui les rend imprévisibles, de manière attrayante ou alarmante.

Depuis le Brexit, les Britanniques ne votent plus au Parlement européen, et ils ne s’en sont jamais beaucoup préoccupés de toute façon. Les Américains, eux, ont une vision assez floue des institutions de l’Union européenne. Néanmoins, les médias anglophones ont toujours eu besoin d’un raccourci pour résumer cette course de chevaux désordonnée, complexe et continentale. Cette semaine, ils en ont trouvé un : la montée de l’extrême droite. Le débat qui en a découlé ? L’Amérique pourrait emprunter la même direction en fin d’année.

L’extrême droite recule en Scandinavie ou en Pologne

Appliqués à la France, les titres alarmistes étaient assez justes : le parti anti-establishment et d’extrême droite de Marine Le Pen, le Rassemblement national (qui fait en réalité partie de l’establishment français depuis des décennies, bien qu’il n’ait jamais été au pouvoir), a remporté le scrutin avec un tiers des voix environ. Il s’agissait clairement d’un vote de protestation, visant Emmanuel Macron. Le président a réagi en conséquence, convoquant des élections législatives françaises anticipées. Les électeurs doivent décider s’ils veulent réellement laisser le RN diriger le pays. Si Macron perd son pari, Jordan Bardella pourrait devenir Premier ministre.

Mais presque partout ailleurs en Europe, les gros titres et les bandeaux des médias américains étaient erronés. En Pologne, le PiS, l’ancien parti au pouvoir, d’extrême droite, est arrivé en deuxième position pour la première fois en dix ans, battu par l’actuel parti au pouvoir, de centre droit (dont mon mari, Radek Sikorski, fait partie du gouvernement). En Hongrie, un tout nouveau parti insurrectionnel de centre droit a, contre toute attente, ravi des voix au parti autocratique au pouvoir de Viktor Orbán. En Slovaquie, aux Pays-Bas, et même en Italie et en France, le centre gauche a fait mieux que lors des élections précédentes. En Scandinavie et en Espagne, l’extrême droite a fait pire.

En Allemagne, l’histoire est plus compliquée. La coalition tripartite au pouvoir a obtenu de mauvais résultats, l’AfD, parti d’extrême droite miné par des scandales qui le relient à l’argent russe et à des sympathies nazies, a obtenu 16 % des voix, soit plus que ce que d’aucuns prévoyaient il y a quelques mois. Loin de moi l’idée de minimiser la menace de l’AfD, avec sa rhétorique toxique et ses liens financiers avec la Russie, ni la menace de son parti frère en Autriche, arrivé en tête de justesse. Mais les vrais vainqueurs en Allemagne sont les chrétiens-démocrates de centre droit, qui ne sont ni pronazis ni prorusses. Au contraire, ils affirment depuis des mois que le chancelier allemand Olaf Scholz devrait faire plus pour aider l’Ukraine, et non moins.

Trump plus déséquilibré et dangereux que jamais

Pour les Américains, le message de ces élections est alarmant et inattendu, mais pas à cause de ce qui se passe en Europe. Si vous jetez un coup d’œil sur le Vieux Continent, que ce soit sur Giorgia Meloni, Première ministre italienne dont le parti est issu du mouvement fasciste de Mussolini, ou sur le parti de Marine Le Pen, dont les racines plongent véritablement dans Vichy, ou encore sur Geert Wilders aux Pays-Bas, vous verrez des dirigeants d’extrême droite qui ont réussi précisément en semblant se rapprocher du centre, en essayant de paraître moins extrêmes et en embrassant les alliances existantes, telles que l’Union européenne et l’Otan. Ils parlent beaucoup d’immigration et d’inflation, mais les partis traditionnels font de même. Leurs objectifs sont peut-être secrètement plus radicaux – il se peut que Marine Le Pen ait l’intention de saper le système politique français si elle gagne, et je ne crois pas qu’elle ait coupé ses liens avec la Russie – mais ils réussissent à cacher ce radicalisme aux électeurs.

Donald Trump n’est pas comme ces responsables politiques. L’ancien président américain n’est pas en train de virer vers le centre, et il n’essaie pas de paraître moins conflictuel. Il ne cherche pas non plus à se rallier aux alliances internationales existantes. Au contraire, presque chaque jour, il semble plus extrême, plus déséquilibré et plus dangereux. Meloni n’a pas incité ses partisans à bloquer les résultats d’une élection. Le Pen ne parle pas de châtiment et de vengeance. Wilders a accepté de faire partie d’un gouvernement de coalition, ce qui signifie qu’il peut faire des compromis avec d’autres dirigeants politiques, et il a promis de mettre son hostilité notoire à l’égard des musulmans “en veilleuse”. Même Orban, qui est allé le plus loin dans la destruction des institutions de son pays et qui a réécrit la constitution hongroise à son profit, ne se vante pas ouvertement de vouloir être un autocrate. Trump, lui, s’en glorifie. Les gens qui l’entourent parlent ouvertement de leur volonté de détruire la démocratie américaine. Rien de tout cela ne semble lui nuire auprès des électeurs, qui semblent accueillir favorablement cet extrémisme radical et destructeur, ou du moins ne pas s’en préoccuper.

Les clichés des médias américains sur l’Europe sont ainsi faux. En réalité, l’extrême droite européenne progresse dans certains endroits, mais recule dans d’autres. Nous Américains ne sommes pas “en danger” de suivre les électeurs européens vers l’extrême droite, car nous les avons déjà largement dépassés. Si Trump l’emporte en novembre, c’est bien plus l’Amérique qui pourrait entraîner l’Europe dans sa radicalisation, et non l’inverse.

* Journaliste et historienne, Anne Applebaum est lauréate du prix Pulitzer et l’auteure notamment de Goulag : une histoire et Démocraties en déclin, traduits en français chez Grasset. Cet article est paru en version originale sur le site de The Atlantic. © 2024 The Atlantic. Distributed by Tribune Content Agency.




Source
Exit mobile version

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....