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Livres : pourquoi il faut absolument lire “Pleurer au supermarché”, de Michelle Zauner


Amélie Nothomb se serait-elle inspirée de Michelle Zauner ? L’an dernier, la baronne belge a publié un récit intitulé Psychopompe. Il n’a pas échappé aux amateurs de rock indépendant que Psychopomp était déjà le titre d’un album sorti en 2016 par Japanese Breakfast, le groupe de ladite Zauner. Si les derniers livres de la première tournent autour du décès de son père, toute l’œuvre de la seconde est hantée par la mort de sa mère. Son récit autobiographique Pleurer au supermarché creuse le même sillon que ses excellents disques.

Tout le monde se souvient du passage de Du côté de chez Swann où le Narrateur, homme fatigué de nature, rentre chez lui encore plus flagada que d’ordinaire. Sa mère lui sert une tasse de thé et une madeleine, aussi efficace que des champignons hallucinogènes : le rêveur se remémore le tilleul que lui faisait boire sa tante Léonie quand il était petit, et tout le Combray de sa jeunesse lui réapparaît comme par magie. Il y a quelque chose de cet ordre dans les premières pages du livre de Michelle Zauner. Née à Séoul, en 1989, d’un père américain et d’une mère sud-coréenne, elle a perdu cette dernière en 2014. Un jour, à Philadelphie, elle marche dans les rayons de chez H Mart, la chaîne de supermarchés asiatiques. Devant un réfrigérateur à banchans, se rappelant les œufs confits à la sauce soja que lui préparait sa mère, elle fond en larmes. Chez cette femme mutique, l’amour se transmettait par la cuisine. Les saveurs et les images se télescopent dans le cerveau de l’orpheline, cela dépasse les réminiscences de soupe au kimchi : “En cinq ans, le cancer m’a pris ma tante et ma mère. Alors, quand je vais chez H Mart, ce n’est pas pour les seiches ou les cébettes à 1 dollar les trois bottes ; j’y cherche mon enfance ; des preuves que la Coréenne en moi n’est pas morte avec elles.”

La suite est un récit d’initiation émouvant et enlevé. Il y est souvent question de gastronomie coréenne, de plats tels que le tteokguk (le bouillon de bœuf du Nouvel An) ou le doenjang-jjigae (un ragoût de légumes et de tofu) – quand on en est resté au bœuf bourguignon et à la blanquette de veau, on est dépaysé. Les portraits aussi sont épicés : “Obsédée par les apparences, ma mère passait des heures devant la chaîne de télé-achat, qu’elle appelait pour commander des après-shampooings purifiants, des dentifrices spécialisés, des gommages à l’huile de caviar, des sérums, des crèmes hydratantes, des lotions toniques et des crèmes antirides.” Auprès de ce sphinx, Michelle passe une enfance relativement paisible dans l’Oregon, à chanter avec elle en boucle Tell Him, de Barbra Streisand et Céline Dion. Les problèmes surviennent à d’adolescence. Streisand et Dion, ça va un temps. Au début des années 2000, le rock revient à la mode. Michelle flashe sur les Yeah Yeah Yeahs, dont la chanteuse charismatique, Karen O, a une mère sud-coréenne. Elle n’en démord pas : contre vents et marées, elle sera rockeuse. Des scènes terribles éclatent avec sa mère, qui n’aura pas le temps de voir sa fille monter le groupe Japanese Breakfast et connaître le succès avec Psychopomp, disque hommage à sa mère défunte qui permettra à Michelle de tourner dans le monde entier, et de donner un concert à Séoul…

Un fan nommé Barack Obama

Dans Pleurer au supermarché, il est aussi question du conjoint de Michelle, le musicien Peter Bradley, un guitariste qui a lu en intégralité A la recherche du temps perdu – un mari idéal. Ils travaillent ensemble. Depuis Psychopomp, elle a sorti deux albums encore meilleurs, Soft Sounds From Another Planet (2017) et Jubilee (2021). Pour les spécialistes, disons que cette pop contemplative oscille entre George Harrison et Blonde Redhead, Albert Hammond Jr. et Weyes Blood. Michelle Zauner elle-même cite Björk comme référence ultime, mais elle pèche par modestie : elle vaut nettement mieux que la pénible Islandaise. Elle n’a rien à voir non plus avec Yoko Ono.

Bien que pointu, Pleurer au supermarché a été un succès de librairie à sa sortie aux Etats-Unis, en 2021 : il s’en est vendu 1 million d’exemplaires. Barack Obama en avait parlé, disant que c’était un de ses livres préférés de l’année. Avec les soucis qui sont les siens actuellement, on doute qu’Emmanuel Macron évoque Pleurer au supermarché au cours de sa prochaine allocution. Passons-nous de son avis et recommandons ce livre en y ajoutant un dernier conseil : il prend tout son sens quand on le lit en écoutant simultanément les disques de la rockeuse écrivaine.

Pleurer au supermarché, par Michelle Zauner. Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Bourgeois. Christian Bourgois, 310 p., 22 €.




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