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Ce que Marine Le Pen pourrait apprendre de Giorgia Meloni, par Thibault Muzergues


Elle est la grande gagnante des élections européennes, sur tous les tableaux. Avec quasiment 29 % des voix, son parti, Fratelli d’Italia, sort vainqueur des élections italiennes, devant une gauche divisée et des partenaires affaiblis qui n’arrivent pas à atteindre les 10 %. Les europarlementaires de Fratelli d’Italia formeront la plus grande délégation du groupe parlementaire des Conservateurs et réformistes européens (CRE), qu’elle préside, et qui pourrait se retrouver le troisième plus important de l’hémicycle strasbourgeois, devant les libéraux d’Emmanuel Macron.

Enfin, et peut-être surtout, en consolidant son assise électorale à Rome, Giorgia Meloni renforce ses positions en Europe : face à une France et une Allemagne affaiblie, elle peut permettre à une Italie politiquement plus stable de s’imposer en leader dans un nouveau triumvirat européen, et peut prendre ses distances avec le radioactif Viktor Orban, tout en gardant les canaux de communication ouverts avec lui – c’est notamment grâce à elle que le leader illibéral hongrois a finalement cédé sur l’aide à l’Ukraine cet hiver.

Quelle est donc la recette de Meloni ? Gardons-nous de transférer nos repères hexagonaux sur nos voisins transalpins – la fameuse “union des droites” n’a rien de nouveau en Italie, elle a déjà été au pouvoir sous la houlette de Silvio Berlusconi dans les années 1990 et 2000, et la coalition de Giorgia Meloni aujourd’hui n’en est que le prolongement. Son leadership sur cette alliance ne s’est par ailleurs scellé que très tard, juste avant les élections législatives de 2022, grâce à la faiblesse de Forza Italia (aujourd’hui mené par Antonio Tajani, mais aussi et surtout par le fantôme de Berlusconi) et un Matteo Salvini en chute libre dans les sondages depuis la crise du Covid.

Cheffe de file du postpopulisme

Pour faire l’union des droites, Meloni a donc rempli le vide qui s’était installé dans son camp, mais elle n’a pu le faire qu’en se “centrisant”, en se fondant dans l’establishment. C’est en pondérant son propos et en faisant l’effort de la vraie modération, celle qui propose une certaine continuité dans l’action publique, sans renverser la table – en témoigne sa promesse, largement tenue jusqu’à présent, de suivre la politique économique de son prédécesseur, Mario Draghi, lui qui disait qu’elle avait été plus loyale dans l’opposition que certains membres de son gouvernement. Comme me l’avait dit un de ses proches, aujourd’hui ministre, pendant la campagne électorale : “Nous proposons de continuer le travail de Draghi en y donnant une inflexion plus à droite, dans une coalition de gouvernement qui a déjà fait ses preuves plusieurs fois sur les vingt dernières années – où est la révolution dans tout cela ?”

La leçon mélonienne est peut-être là justement : du changement dans la continuité qu’elle a promis aux Italiens. La présidente du Conseil italien est ainsi la cheffe de file d’un nouveau mouvement, le postpopulisme, qui est en train de redéfinir la politique italienne – et peut-être même européenne, en réimposant un clivage droite-gauche se substituant à celui qui s’était imposé entre populistes et élites durant la dernière décennie.

Bien sûr, la droite mélonienne a changé par rapport à celle de Berlusconi. Outre l’absence des “bunga bunga” (pas du tout dans le style de l’hôte du palais Chigi), la droite mélonienne reste libérale économiquement, mais protectionniste sur les questions de commerce international ; occidentaliste et atlantiste à l’international, mais conservatrice sur le plan sociétal – avec un discours anti-immigration illégale qui n’a par ailleurs pas empêché le gouvernement d’annoncer l’accueil de 452 000 travailleurs étrangers d’ici à 2025, dans le but de remplacer une immigration non contrôlée par une immigration de travail.

Confrontation voulue entre Macron et Le Pen ou Mélenchon

Malheureusement, on ne retrouve pas cette donne postpopuliste en France, où malgré les implosions et recompositions provoquées par la dissolution, le débat reste encore dominé par une confrontation voulue par le président Macron entre un establishment qu’il représente aujourd’hui plus que jamais et une rébellion populiste menée soit par le Rassemblement national de Marine Le Pen, soit par La France insoumise (ou les deux à la fois, en fonction du moment). Les réalignements commencent certes à poindre, avec un Nouveau Front populaire qui fait plus de place au Parti socialiste et une “Bardellamania” qui rend l’alliance lepéniste plus acceptable, sans pour autant ôter les sérieux doutes qui peuvent exister sur le fond : sur l’Ukraine comme sur l’économie, nous ne savons pas quel serait véritablement le programme d’un Rassemblement national qui accéderait aux affaires.

Quand on sait que le RN continue de refuser de se placer à la droite de l’échiquier politique français, on voit que cette leçon postpopuliste mélonienne d’enfourcher le clivage droite-gauche n’a pas été apprise. Et en fait, c’est peut-être la gauche qui, aujourd’hui, prend les devants, en proposant un programme de gouvernement certes irresponsable, mais fidèle à ce qui a fait historiquement cette famille politique.

Car, le vrai problème aujourd’hui, c’est qu’Emmanuel Macron, comme Marine Le Pen (et dans une certaine mesure aussi Jean-Luc Mélenchon) ont intérêt à faire perdurer le clivage populistes-élites, car c’est bien celui-là qui leur permet de continuer à exister politiquement. Retirez ces étiquettes à ces personnages, et ils auront du mal à exister, permettant ainsi peut-être à de nouveaux ténors, espérons-le plus responsables, de normaliser à nouveau la vie politique française en revenant à un clivage droite-gauche classique. Cela permettrait au macronisme de sauver deux fois la République du populisme : la première fois en 2017, en le battant aux élections, et la seconde, entre 2024 et 2027, en disparaissant.

Les Italiens reprochent souvent aux Français de ne pas leur rendre l’estime qu’ils ont pour eux. Or, en termes politiques, ils ont beaucoup à nous apprendre. Il est peut-être temps de tirer les leçons de l’expérience postpopuliste italienne.

*Thibault Muzergues est conseiller politique à l’International Republican Institute et l’auteur de Postpopulisme (Ed. de l’Observatoire).




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