Une rupture, mais quelle rupture ? Il est urgent d’attendre. Le mot est “bien trop sarkozyste”, précise l’un des amis d’Edouard Philippe. Et puis, comme ont l’habitude d’indiquer ses proches, “Edouard n’est pas un héritier” ! Lui-même le fait savoir, un soir de mai sur la chaîne LCI : le président de la République l’a certes choisi comme Premier ministre ; il lui en sera “toujours reconnaissant”. Mais il a commencé sa vie politique avant Emmanuel Macron, ne lui doit pas le début de sa carrière d’élu, ni sa réélection comme maire du Havre.
Voilà qui expliquerait cette petite voix dissonante, durant la campagne européenne. Lui qui jugeait “surprenant” un débat entre Marine Le Pen et le chef de l’Etat – débat dont l’idée avait été lancée par ce dernier. Lui qui préférait largement, au cœur de la crise néo-calédonienne, un accord entre loyalistes et indépendantistes sur la réforme du corps électoral plutôt que la convocation d’un congrès, brandie par Emmanuel Macron comme une menace. Les contempteurs de l’ex-Premier ministre entrevoient l’esquisse d’une sortie de bois ? Ses soutiens la promettent, après le 9 juin. Raté. Il demeurera maître du temps long, veut-il croire. Pas encore des horloges.
“Philippe, c’est l’indépendance dans l’interdépendance”
Mais Edouard Philippe fait un cauchemar : le 7 juillet prochain, le maire du Havre devient la grande victime collatérale de la défaite du bloc central ; son groupe parlementaire Horizons, qui comptait 29 députés avant la dissolution, sort amoindri… Non ! Contrecarrer le mauvais présage. Prendre ses distances par à-coups.
Un premier acte d’émancipation, au Journal officiel, mardi 12 juin : le parti de l’ancien Premier ministre s’extirpe de la bannière commune “Ensemble” qui regroupait aux dernières législatives de 2022 Renaissance, le Modem et Horizons. Les financements publics seront, après les élections, directement reversés à la formation politique.
“Ça n’est pas un gros mot que de dire qu’il faut, dans un parti qui vise à présenter un candidat en 2027, assurer son financement dans la durée”, assure Thomas Mesnier, porte-parole d’Horizons. Des tracts et affiches aux couleurs de la formation philippiste, et le portrait de leur champion. Emmanuel Macron disparaît. On rassure les soutiens d’Edouard Philippe, qui s’inquiétaient du déficit d’organisation de la démarche.
Deuxième acte : ses ouailles renégocient à la hausse les termes de la coalition de 2022. Discussions tendues, mais Horizons obtient “un peu plus de 80 circonscriptions” – le parti “ne souhaite pas communiquer sur les chiffres”, contre 58 à l’époque. Presque autant que le Modem, qui en briguera 85 – 16 de moins qu’en 2022. “Le parti n’est plus le même qu’à l’époque. Bon nombre d’élus ont rejoint nos rangs, des maires, notamment, c’est normal qu’on le fasse valoir dans nos négociations”, justifie un cadre de la formation.
“Chacun est responsable de ce qu’il fait. Le moment ne se prête pas à ce genre de calculs, ni à espérer prendre des espaces, ça me paraît assez évident”, souffle Marc Fesneau, négociateur des Bayrouistes. “Le moment se prêtait davantage à être centrifique que centripède, s’étonne le macroniste historique François Patriat. J’ai l’impression qu’ils font cavaliers seuls.” Hervé Marseille, sénateur et président de l’UDI, relativise : “Le vent souffle trop fort. Philippe, c’est l’indépendance dans l’interdépendance.”
Edouard Philippe connaît ces fines marges qui subsistent entre le réel, le possible et le souhaitable ; trois ans, un mois et dix-huit jours à Matignon valent pour lui cure de lucidité. Mais pour le patron d’Horizons, présidentiable revendiqué, l’héritage offre surtout son lot de contraintes. Le réel a changé. Emmanuel Macron, en brusquant le temps politique, a contraint Philippe à revoir son calendrier. Le souhaitable est alors une fourmilière d’injonctions contradictoires : balayer quelques prudences, comme lui intiment certains de ses soutiens, quitte à apparaître comme un diviseur ? La politique, l’art du possible.
“Il ne peut pas juste être le candidat des gens raisonnables”
Possible, pourtant, pour ses adversaires du bloc central de cultiver leur singularité. Certains ne s’embarrassent pas de gêne quand il s’agit de parler en leur nom. Parlez-en à François Bayrou : “Il manque un fédérateur, dit-il récemment au Figaro. À ma place, je serai du côté des fédérateurs […]. Chez nous, quand il y a un orage, la foudre tombe sur le point le plus haut.”
Ecoutez Bruno Le Maire, sur France Inter : “Ce que je constate, c’est qu’elle [NDLR : la dissolution] a créé dans notre pays de l’inquiétude, de l’incompréhension, parfois de la colère. Je suis là pour leur dire : il y a un espoir.” Prière d’imaginer lequel. Edouard Philippe, lui, revendique de passer d’une “majorité présidentielle” à une “majorité parlementaire” – allant de la droite conservatrice à la gauche social-démocrate, “moins connotée comme la majorité du président”, explicite l’un de ses soutiens. Prière de l’avoir compris.
“Ce n’est pas au regard du président qu’il se détermine : pas la peine de surjouer l’évidence, veut croire l’un de ses proches. Le temps est à l’écoute des Français, à la construction d’un projet.” Des doutes, en Philippie ? “Sa déclaration sur la coalition de la gauche sociale-démocrate et de la droite conservatrice, c’est du déjà-vu. C’est dangereux”, s’inquiète un parlementaire Horizons. La fine nuance de la coalition, plutôt que le débauchage, ne convainc pas toujours.
“Il ne peut pas juste être le candidat des gens raisonnables, il doit donner un espoir. S’il ne trouve pas les mots, il ne sera pas élu président de la République”, analyse l’un de ses interlocuteurs réguliers. Trente-six mois pour humer l’air du temps. Certains de ses soutiens pensaient l’avoir flairé. Un siège pour Edouard Philippe dans un Palais Bourbon bouillonnant pour ces trois prochaines années ? L’intéressé décline. Dans le chaudron probablement, ses potentiels rivaux : Gabriel Attal, ou Gérald Darmanin. L’avenir dira quel promontoire offre la vue la plus dégagée sur l’Elysée.
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