C’est une décision prise sous le coup d’une tragédie et qui pourrait avoir des répercussions sur la marche du Proche-Orient. Le 31 mai dernier, les autorités françaises annonçaient que les entreprises israéliennes se verraient refuser l’accès à Eurosatory, le grand salon de l’armement à Paris, du 17 au 21 juin.
Au fil des jours, cette décision a donné naissance à un véritable imbroglio juridique et diplomatique, débouchant sur un début de crise entre la France et Israël, alors que le Liban paraît sur le point de s’embraser. “Emmanuel Macron semble avoir décidé seul de cette interdiction et sa décision a créé un effet boule de neige immense, avec des conséquences non maîtrisées et potentiellement majeures pour la diplomatie française au Proche-Orient”, explique un proche du dossier. Si le salon de l’armement vient de fermer ses portes, ses conséquences sur la relation franco-israélienne risquent de se faire sentir encore longtemps.
74 entreprises israéliennes privées de salon de l’armement
Tout commence le 26 mai. Malgré les avertissements de ses alliés occidentaux et les demandes européennes d’un cessez-le-feu, l’armée israélienne bombarde le sud de la bande de Gaza et la périphérie de Rafah, où sont réfugiés 1,4 million de Palestiniens. Ce soir-là, un camp de déplacés prend feu après des tirs de missiles. Des dizaines de civils sont tués, dont des femmes et des enfants. Les images de l’horreur font rapidement le tour du monde.
A Paris, les autorités décident que le gouvernement de Benyamin Netanyahou a dépassé les bornes. Le 31 mai, a priori sur demande du président de la République, le ministère de la Défense demande à Coges Events, qui organise le salon de l’armement Eurosatory, d’interdire la venue de 74 entreprises israéliennes spécialisées dans la défense. L’organisateur s’exécute et les stands israéliens, prévus sur 2500 m², sont réattribués. Le ministère des Armées explique alors que “les conditions ne sont plus réunies pour recevoir les entreprises israéliennes sur le salon français de l’armement”.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là et va échapper aux autorités françaises, quand la justice décide de s’en mêler. Le 14 juin, saisi par des organisations propalestiniennes, le tribunal de Bobigny va plus loin et interdit la présence physique des Israéliens à Eurosatory, tout comme celle de ceux travaillant pour des intérêts israéliens. Coges se voit contraint d’annuler les badges de plus de 850 personnes. “Le coup réussi par ces organisations propalestiniennes est – littéralement – incroyable, admet une source israélienne. Cette interdiction physique a été terrible pour Israël et pour notre industrie de la défense, ce qui explique les réactions furieuses à Jérusalem.”
A Paris, on “assume” la décision d’interdire les entreprises israéliennes
Dans la foulée de la décision du tribunal de Bobigny, la foudre s’abat en effet sur les relations franco-israéliennes. Dans un communiqué inhabituel – tweeté en hébreu, en anglais et en français pour “s’assurer que le message passe” selon un diplomate -, le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant s’en prend à la France, qu’il accuse d’adopter “des politiques hostiles à l’égard d’Israël”. Le chef de l’armée israélienne affirme que son pays “ne participera pas au comité relatif à la sécurité frontalière nord proposée par la France”, proposé la veille par Emmanuel Macron pour résoudre le conflit avec le Hezbollah au Liban. L’initiative d’une formation trilatérale France-Israël-Etats-Unis n’aura pas survécu plus d’une journée.
A Paris, on se défend catégoriquement de toute hostilité envers Israël, rappelant seulement des “exigences” envers le partenaire israélien dans la conduite de la guerre à Gaza. “On comprend que, du point de vue de Gallant, il ne soit pas heureux de cette décision concernant Eurosatory, mais celle-ci est assumée”, indique un diplomate français, qui souligne toutefois “l’engagement permanent de la France pour la sécurité d’Israël et la solidarité face au terrorisme”. Et pour cause : Paris l’a prouvé le 13 avril, en participant à la défense de l’État hébreu face aux centaines de missiles et drones envoyés par l’Iran.
Un soutien militaire décisif qui n’a pas échappé à la diplomatie israélienne. Fait rarissime, le ministre des Affaires étrangères, Israel Katz, contredit publiquement son collègue Gallant, auteur selon lui “de propos incorrects et qui n’avaient pas lieu d’être”. “Israel Katz a décidé de calmer le jeu avec la France, d’autant plus qu’il revenait d’une visite réussie à Paris, avec des entretiens qui se sont bien déroulés malgré des désaccords à éclaircir, décrypte un diplomate israélien. La France reste un partenaire stratégique d’Israël sur les dossiers du Liban et de l’Iran.”
Lundi, le salon Eurosatory a donc ouvert ses portes à Villepinte sans présence israélienne ni collaborateurs d’entreprises israéliennes. Dès le lendemain, le 18 juin, deux décisions de justice ont renversé celles prises par le gouvernement français et par le tribunal de Bobigny : le tribunal de commerce de Paris et la Cour d’appel ont jugé illégale cette interdiction contre les employés d’entreprises israéliennes. “Ces décisions de justice sont arrivées trop tard pour le salon de cette année, tombé à l’eau pour les entreprises israéliennes, confirme un proche du dossier. Mais les décisions de la justice française pourraient faire jurisprudence sur les cas de boycott et au final se révéler une bonne chose pour Israël.”
L’affaire n’en restera pas là, malgré la fermeture des portes du salon de l’armement ce vendredi 21 juin. Il y aura des conséquences économiques, avec sans doute des millions d’euros de dommages et intérêts qui seront versés aux entreprises israéliennes privées de salon. Il y aura, aussi, des conséquences diplomatiques. Dans un entretien au Figaro, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a estimé que “le crédit accordé à la France par les Israéliens a été entamé par l’exclusion des exposants”.
Un sentiment partagé par Ron Tomer, chef d’entreprise israélien, qui juge que ce boycott a abîmé l’image de son pays sur la scène internationale. “Cette affaire a profondément endommagé les relations franco-israéliennes, affirmait-il sur les ondes de Kan Radio mardi, après les décisions de justice favorables aux entreprises exclues. C’est l’ensemble d’Israël qui a été meurtri, pas seulement le secteur de la défense.” A Jérusalem, un conseiller municipal d’extrême droite a demandé que les déchets ne soient plus ramassés devant le consulat général de France. Sa requête a été rejetée par la municipalité. Avec l’espoir d’un vent meilleur pour les relations franco-israéliennes ?
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