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Législatives au Royaume Uni : les atouts de Keir Starmer pour l’emporter

Souvent caricaturé comme un nanti des quartiers “tendance” du nord de Londres, le futur Premier ministre britannique est en réalité plutôt un de ces Working Class Hero que célèbre John Lennon dans la chanson éponyme (de son premier album post-Beatles). Fils d’un machiniste et d’une infirmière, Keir Starmer connaît une jeunesse difficile dans un village du sud de l’Angleterre au sein une fratrie de quatre enfants. Leur père, un taiseux, interdit par exemple la musique pop et bannit tout poste de télévision de sa modeste maison. Sa mère, elle, fait des séjours réguliers à l’hôpital. Atteinte de la maladie de Still, elle reçoit des soins quotidiens, subit des opérations multiples et l’amputation d’une jambe. Depuis, Starmer est un grand défenseur du système de santé publique.

Keir Starmer est du genre résilient

Dans sa famille, les fins de mois sont difficiles, les factures souvent impayées et le téléphone, régulièrement coupé. Seul membre de la famille à étudier à l’université (le droit, à Leeds puis Oxford), le jeune Keir – qui doit son prénom à ses parents militants qui honoraient ainsi Keir Hardie, l’un des fondateurs du Parti travailliste à la fin du XIXe siècle – a la pugnacité de ceux qui connaissent la valeur de l’effort. Celui qui est aujourd’hui à la tête du Labour (Parti travailliste) est en effet du genre résilient. Et combatif.

Ses camarades de chambrée de l’époque étudiante se souviennent qu’il était souvent le seul à se lever à 6 heures du matin pour s’installer à son bureau et prendre de l’avance sur ses cours. Devenu jeune avocat spécialisé dans les droits de l’homme, il décide de représenter gratuitement les contestataires arrêtés lors des manifestations de mars 1990 à Trafalgar Square contre la Poll Tax (un impôt forfaitaire jugé injuste) de Margaret Thatcher. Plus tard, entre 2008 et 2013, à la tête du Crown Prosecution Service, le ministère public, il ouvrira cependant les yeux sur la difficulté et l’importance du rôle de la police dans le maintien de l’ordre. Tel est donc le pedigree de l’Anglais “fils de prolo” qui, aux législatives du 4 juillet, s’apprête à faire revenir la gauche au pouvoir après quatorze ans dans l’opposition.

Il a réussi l’impossible

Les tabloïds ont beau le trouver ennuyeux, Keir Starmer a réussi l’impossible : faire renaître le Parti travailliste de ses cendres, bien mal en point après les années de son prédécesseur Jeremy Corbyn. Avec son outrance permanente, ce dernier, éternel militant trotskiste alliant anticapitalisme et antisémitisme, s’était mis à dos jusqu’à ses électeurs les plus fidèles. Keir Starmer, lui, affiche des convictions sociales-démocrates simples, claires et dignes. C’est néanmoins sous Corbyn que l’europhile Starmer s’est fait un nom lorsque, après le référendum de juin 2016, il est nommé Secrétaire du Brexit dans le cabinet fantôme (shadow cabinet) du Parti travailliste.

Pendant les sessions des questions au Parlement de Westminster, il brille lorsqu’il exige des négociateurs du Brexit qu’ils rendent public leur stratégie. Mais ce n’est pas assez pour relancer le Labour : en définitive, Corbyn-le-trotskyste agit comme un repoussoir sur l’électorat. Résultat, après le raz de marée conservateur en décembre 2019, Keir Starmer prend ses distances et annonce sa candidature à la direction du parti un mois plus tard. Il l’emporte en avril avec 56,2 % des voix. Aujourd’hui il est crédité d’avoir remis le parti au centre de la social-démocratie en combattant les excès du corbynisme qui laissait prospérer l’antisémitisme dans ses rangs. Starmer s’est montré compétent, modéré mais avec des convictions fortes illustrées par sa volonté de renationaliser les chemins de fer.

Il s’est entouré de deux quadragénaires : sa future ministre de l’Economie et chancelier de l’Echiquier (chargé du Trésor) Rachel Reeves ; son bras droit Angela Rayner, flamboyante rousse et ancienne syndicaliste au parler franc. Tous les trois font campagne dans leur Battle Bus rouge où le mot “Change” est écrit quinze fois ! Voilà trois ans, on disait que Keir Starmer ne pouvait pas gagner (Can’t win) ; aujourd’hui, qu’il ne peut pas perdre (Can’t lose).

Le Premier ministre conservateur britannique Rishi Sunak (G) et le leader travailliste Keir Starmer (D) en mai 2024

Les sondages le donnent vainqueur, et largement. C’est que les conservateurs (Tories) font eux aussi figure de repoussoir depuis le scandale des soirées arrosées à Downing Street sous Boris Johnson, en plein confinement Covid. La campagne électorale du Premier ministre sortant Rishi Sunak ressemble à un naufrage, en dépit d’une promesse de sérieux contenue dans le slogan “Clear Plan, Bold Action, Secure Future” (Un plan clair, une action audacieuse, un avenir sûr). En Irlande du Nord, dans les anciens chantiers navals de Belfast où fut construit le Titanic, un journaliste l’a accueilli par cette question : “Êtes-vous le capitaine d’un navire qui est en train de couler ?” Le lendemain, en visite chez un brasseur gallois, Rishi Sunak répond aux questions de la BBC sous un gros panneau bleu indiquant Exit (sortie). Chaque jour apporte sa gaffe qui nourrit l’hilarité générale. Ce n’est plus une campagne, c’est un chemin de croix. Au point que son propre camp se demande s’il ira jusqu’au bout.

“Mais que veulent les conservateurs ? Nul ne le sait”

Un sondage du 3 juin prédit en tout cas une large victoire du Labour avec 422 sièges, soit une majorité absolue de 194 sièges d’avance ! Du jamais vu dans l’histoire du Labour. “Bien plus qu’un raz de marée”, juge l’institut de sondage YouGov qui manque de superlatifs. Avec seulement 140 sièges estimés, les conservateurs réaliseraient leur plus mauvais score depuis 1906. Pire, le 14 juin, un sondage a annoncé que Reform UK, le mouvement d’extrême droite de Nigel Farage, pourrait les dépasser.

Mais comment le vénérable Parti conservateur, qui a gouverné pendant quatre-vingts années sur les 120 dernières, longtemps réputé pour son sérieux et son efficacité gestionnaire, est-il tombé si bas ? Selon l’historien Anthony Seldon, le cycle de quatorze années au pouvoir qui s’achève a été un moment de perte totale de repères. “Depuis 2010 et l’arrivée de David Cameron au pouvoir, nous avons eu droit à une salade folle de projets disparates jamais réellement mis en application”, analyse l’auteur d’une série de biographies sur les locataires du 10, Downing Street, depuis John Major jusqu’à Boris Johnson et de The Conservative Effect 2010-2024, à paraître en juillet. De la “Big Society” de David à Cameron au “managérialisme” de Rishi Sunak en passant par “la guerre contre les injustices” de Theresa May, “la remise à niveau” de Boris Johnson et “le choc de croissance” de Liz Truss, les conservateurs n’ont fait que zigzaguer.

L’historien s’interroge : “Sont-ils promarché ou interventionnistes ? Pour un Etat fort ou un Etat en retrait ? En faveur de l’immigration ou non ? Veulent-ils réformer les institutions ou les affaiblir ? Le Royaume-Uni doit-il peser dans un monde multilatéral ou faire cavalier seul comme au XIXe siècle ? Veulent-ils protéger l’environnement ou laisser le marché régner en maître ?” Nul ne le sait. Il faut dire que toutes ces tendances cohabitent au sein du parti et qu’aucun Premier ministre depuis 2010 ne s’est résolu à trancher dans le vif pour définir une ligne cohérente. “C’est simple, conclut Anthony Seldon, depuis 2017, ils ont cessé de penser la gouvernance ; ils ont viré au tribalisme”, en oubliant le pays. Au total, le parti s’est déchiré au grand jour, épuisant cinq Premiers ministres, sept ministres des Transports, dix ministres de l’Education et 12 ministres de la Culture et des Médias !

Bien sûr, certains conservateurs sont tentés de se réfugier derrière la pandémie de Covid et l’invasion de l’Ukraine pour plaider les circonstances atténuantes. “Mais, réplique du tac-au tac l’historien Seldon, Harold Macmillan dû affronter la crise de Suez en 1956 ; Thatcher, faire la guerre aux Malouines en 1982 et John Major, gérer la crise de la livre sterling lors du Black Wednesday en 1992.” Bref, l’échec des Tories est patent.

Le Brexit est le sujet tabou de la campagne

Dans ce curieux moment de l’histoire nationale, il y a aussi un grand absent. C’est le Brexit, qui a disparu des conversations et de la campagne. Sur le sujet, Starmer se fait discret, jouant l’apaisement afin de ne pas rouvrir les plaies douloureuses. “C’est comme dans Le Chien des Baskerville de Sherlock Holmes”, confie Gavin Esler, chancelier de l’Université du Kent et auteur de How Britain Ends – English Nationalism (2021). Le Brexit est le chien qui n’aboie pas mais qui révèle toute l’intrigue.” Les consignes au Labour sont strictes : on n’en parle pas. Lorsque, pendant des débats télévisés, des journalistes prononcent le mot, conservateurs et travaillistes regardent ailleurs et répondent à côté. Pendant quelques secondes, un ange passe…

La stratégie de Keir Starmer se résume peut-être à cela : ne pas sortir les cadavres des placards, afficher un budget bien ficelé, et surtout, rassurer. La déroute des conservateurs est telle que le Labour n’a même pas besoin de séduire ni d’accomplir un brillant numéro de pyrotechnie à la Tony Blair. Les grandes idées et l’Europe, ce sera (peut-être) pour un second mandat. Pour l’heure, les travaillistes, qui ont perdu les élections en 2010, 2015, 2017 et 2019, doivent juste avoir l’air sérieux, compétents, voire ennuyeux. En présentant son programme, le 13 juin, Keir Starmer a d’ailleurs déclaré : “Vous vous attendiez à des surprises ? Vous espériez que je sorte un lapin de mon chapeau ? Eh bien non, je ne suis pas candidat à la direction d’un cirque.”

Le changement, c’est maintenant !

Dans le programme travailliste, rien ne dépasse. Pas d’augmentation d’impôts, pas de baisse de la TVA, guère qu’un reserrage de boulons pour lutter contre l’évasion fiscale. Et juste une taxe sur les compagnies pétrolières qui devrait financer davantage de postes d’enseignants et de policiers. Côté immigration, s’il ne compte pas donner suite au projet de rapatriement des demandeurs d’asile au Rwanda, le Labour promet, comme les Tories, de réduire le flux de migrants.

Et quand une voix s’élève dans la foule pour lui reprocher la trop grande prudence de son programme, le réaliste Starmer coupe court : “Nous sommes là pour gouverner, pas pour protester.” De leur côté, les stratèges du Labour inondent les réseaux sociaux de vidéos. Elles sont courtes, sobres, efficaces. Toutes parlent de “changement”. Cela fait si longtemps que les travaillistes, aux portes du pouvoir, attendent ce moment… Ils savent que leur heure est venue. Et mentalement, ils se répètent : “Le changement, c’est maintenant !”




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