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Face à Fdesouche, la défaite culturelle de la “start-up nation” de Macron


Dans la dernière livraison, datée du 31 mai, on trouve pêle-mêle, sous les intitulés “De la suite dans les idées” et “Coups de jeunes”, des chiens traqueurs de fuite d’eau en Occitanie, une carte de paiement pour les SDF créée à Lille ou une chaise adaptée aux personnes peu mobiles imaginée à Besançon. Plus bas, il est question du bilan très positif de l’attractivité économique de la France et de “ces mesures qui pourraient vous concerner”, comme l’évolution de MaPrimeRénov’, le pass Sport et le périmètre JO. Légèrement décalé dans le climat actuel ? Bienvenue dans le monde pastel de Cocorico, la newsletter “condensé de bonnes nouvelles” diffusée par l’Elysée auprès de 100 000 abonnés. Ici, il n’est pas question d’enjeu électoral, de réforme des retraites ou de menace des extrêmes politiques, mais d’initiatives solidaires, d’innovation et de héros du quotidien. Créée en avril 2021 à la sortie du confinement, avec un premier numéro intitulé “Un train d’avance”, elle se veut une sélection d’informations positives repérées partout dans le pays, et de préférence ailleurs qu’à Paris, dans la presse locale ou les sites de France Bleu.

Autre recoin du Web, autre ambiance. A l’instar de Cocorico, Fdesouche se présente comme une revue de presse, mais le ton et l’orientation en sont très différents. La première se veut optimiste, le reflet de la France qui réussit chère au macronisme. La seconde met exclusivement en avant les “mauvaises nouvelles” et nourrit les passions tristes et les colères d’une France en quête d’autorité. Le 19 juin, sur le site, outre les informations sur le viol à caractère antisémite d’une jeune fille de 12 ans à Courbevoie, il était question du “meurtre d’un Franco-Marocain pour lequel un migrant clandestin sous OQTF a été interpellé”, d’une poste braquée en Suisse et dont “le coupable retrouvé en France est un migrant” ou encore d’une “agression à Rennes devant une boucherie afghane avec un homme entre la vie et la mort”. Le site prend soin de reprendre des articles issus de médias grand public et de ne pas relayer d’informations non vérifiées, mais il donne à voir un pays au bord du gouffre. L’objectif est clairement affiché sur une page du site : “Notre secret pour graver dans la tête des 5 millions de spectateurs du JT de TF1 que l’insécurité est une réalité factuelle et indiscutable : tous les jours, nous explorons les tréfonds de la presse quotidienne pour révéler à nos 100 000 visiteurs journaliers tous les drames de Crépol que France 2 veut cacher aux Français.”

Cocorico, Fdesouche. Deux mondes, deux visions du monde qui trouvent un écho singulier en cette période électorale. Bien sûr, l’Elysée dira que sa newsletter n’est qu’anecdotique dans son dispositif de communication. Que l’essentiel est ailleurs, dans les communiqués officiels, dans les prises de parole du chef de l’Etat, dans les “off” de ses conseillers. Mais le logo de Cocorico – une main qui brandit un petit drapeau bleu, blanc, rouge – figure sur chacune des pages du site de la présidence de la République, peu importe le dramatique de l’actualité. Comme s’il n’était pas question de renoncer à l’ambition dessinée par Emmanuel Macron en 2016 lors de la création d’En marche !, ni à l’élan qui l’a porté au pouvoir. Cocorico est une survivance de la “start-up nation”, des valeurs qui ont uni les premiers soutiens d’Emmanuel Macron et qui relient encore son socle plus réduit de fidèles : la positivité, l’optimisme, la croyance que la France va s’en sortir, que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, collectivement et individuellement. Presque dépolitisé au sens “ancien monde” du terme, cet électorat rêve d’efficacité et défend un volontarisme réformateur que rien ne peut arrêter.

“Start-up nation” contre “c’était mieux avant”

Fdesouche se place résolument du côté du “c’était mieux avant”. Avec un écho croissant. Près de 4,9 millions de visiteurs ont fréquenté le site au mois de mai, mais la marque a aussi près de 270 000 abonnés sur Facebook et autant sur X (ex-Twitter). En prétendant mettre en lumière des faits que les autres ont tendance à cacher, Fdesouche joue sur l’idée d’une exclusivité partagée avec ses seuls lecteurs. Même si c’est de moins en moins vrai. Des faits divers locaux qui, il y a quelques années, seraient restés confidentiels trouvent désormais une résonance nationale dans des médias comme Valeurs actuelles, CNews, mais aussi le JDD ou Europe 1. Considérés par Fdesouche comme “des médias accueillants et de transition”, ils donnent une visibilité à ces informations et obligent tous les supports, quelle que soit leur sensibilité, à les traiter.

L’influence de Fdesouche grandit parce que son contenu répond à l’humeur d’une partie non négligeable du pays. De récentes enquêtes d’opinion le montrent : en France plus encore qu’ailleurs, la méfiance, la lassitude et la morosité l’emportent, quelle que soit la réalité vécue. La fréquentation assidue des réseaux sociaux accentue encore l’impression d’un monde qui se délite de toutes parts : “Ils fonctionnent essentiellement au rejet, à l’anxiété. Cela devient presque une nécessité pour les gens d’aller chercher du contenu négatif, qu’ils trouvent aussi dans des séries ou des films dystopiques”, constate Philippe Moreau Chevrolet, communicant, fondateur de l’agence MCBG. L’effet d’accumulation fonctionne alors à plein. “Le site fait attention à relayer le moins de désinformation possible, mais il a une stratégie politique via la sélection des faits. C’est dans le cocktail qu’il donne à lire qu’il induit le visiteur en erreur sur la représentativité de ce qu’il partage, il y a une loupe déformante de la réalité, qui pointe du doigt certaines communautés”, ajoute Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’université Paris-Cité, spécialiste des cultures numériques.

Dans ce contexte, “l’actualité heureuse” portée par Cocorico peine à trouver son public. Dans un pays qui se sent déclassé, la newsletter élyséenne paraît loin des préoccupations, complètement hors de la dynamique des réseaux sociaux. Quand le macronisme demande aux citoyens de s’adapter à un monde qui change, une grande partie d’entre eux rêvent d’un monde immuable. Quand les soutiens d’Emmanuel Macron avancent de très conceptuels chiffres montrant une amélioration de la situation économique et sociale depuis 2017, eux répondent à coup de très visibles fermetures de services publics, de signes d’insécurité et de détérioration de leur environnement quotidien. Qu’importe que les deux coexistent, le ressenti l’emporte. La peinture d’une vie en rose est d’autant moins crédible qu’elle est promue par l’Elysée : “Dès lors que c’est la puissance publique qui diffuse de l’information positive, elle n’est pas crue. Ça passe pour de la propagande. Alors même que Fdesouche produit aussi de la propagande”, reprend Philippe Moreau Chevrolet.

Les péripéties politiques des dernières semaines, faites de dissolution, de législatives à marche forcée et d’alliances nouvelles, ont réactivé la bataille entre ces deux visions du monde. Au désavantage de la version optimiste. Difficile pour le macronisme de défendre l’idée que le meilleur est à venir alors qu’il vit le résultat des élections européennes comme une sévère défaite. A contrario, l’inquiétude grandissante dans la société profite d’abord aux acteurs qui, a minima, partagent les angoisses des plus fragiles ou, mieux encore, ont l’air de détenir des réponses pour les protéger. En octobre 2017, Emmanuel Macron twittait : “La société change : je vais vous armer pour trouver votre place dans ce changement, plutôt que de prétendre vous protéger contre lui.” Désormais, d’autres inversent la proposition. Et semblent mieux placés que lui pour chanter cocorico.




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