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Vins : la Provence voit la vie en rose et… vert


Malgré le formidable élan de l’agriculture biologique, la filière vin souffre. Six millions d’hectolitres sont partis en distillation l’année dernière et une centaine de milliers d’hectares vont être arrachés, soit près de 15 % de la surface totale. La faute au désamour qui frappe le sang de la vigne en France : moins 70 % en soixante ans – les rouges étant plus à la peine que les autres. Pour conjurer l’inexorable tendance, les initiatives se multiplient. Comme, pour recouvrer la faveur des palais féminins et des milléniaux, réduire le taux d’alcool, casser les codes de la consommation. Ou encore passer la production de Provence en biologique puisque 25% du vignoble s’est converti. De quoi redonner des couleurs à notre viticulture ? Notre guide.

En 1997, Correns devenait le “premier village bio de France”. Face au déclin économique de la viticulture locale, le maire de ce bourg médiéval de la rive droite de l’Argens, Michaël Latz, par ailleurs président de la coopérative, avait opéré un tournant vers l’agriculture biologique deux ans auparavant. Producteurs d’huile d’olive, de miel et maraîchers de ce morceau de la bien nommée Provence Verte mirent au ban les pesticides dans la foulée. Toujours pionnière, la cave s’est récemment convertie à la biodynamie.

Depuis, des rives de la Méditerranée aux Alpes, de très nombreux domaines provençaux sont cultivés dans le respect de la nature. La région est même leader en la matière. “Plus d’un quart des surfaces sont certifiées en bio [NDLR : 15 % au niveau national] et un tiers en Haute valeur environnementale, se réjouit Eric Pastorino, le président du Conseil interprofessionnel des vins de Provence. Mais notre objectif consiste à monter le cumul de ces deux labels à 100 % au sein de nos trois appellations.” Meilleurs élèves, 67 % des producteurs des coteaux-varois affichent le logo vert sur leurs étiquettes, pour 48 % en côtes-de-provence et 53 % en coteaux-d’aix.

Que de chemin parcouru depuis le coup d’éclat de Correns. Laurence Berlemont, cofondatrice du Cabinet d’agronomie provençale, compte parmi celles et ceux qui le tracent patiemment. “Lorsque j’ai débuté dans le métier, en 1996, quelques caves particulières s’intéressaient à l’agriculture biologique, comme les châteaux La Lieue et Margillière, à Brignoles, avec qui j’ai tout de suite travaillé. Mais, à l’instar des viticulteurs de Correns, ils passaient pour de doux illuminés ! La mention AB ne figurait pas sur l’étiquette, c’était “mal vu” ! Ils étaient simplement sensibilisés à la protection de l’environnement.” Ces pionniers ont essuyé les plâtres : “On manquait de recul, mais le climat, plus favorable qu’ailleurs, constituait un précieux allié”, se rappelle l’ingénieure agronome. L’été, en Provence, la conjugaison d’un régime chaud et sec avec le mistral crée des conditions peu favorables aux maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium).

Même les poids-lourds s’y mettent

L’essor du bio en Provence s’est par la suite emballé, dans les années 2000, avec l’arrivée de jeunes viticulteurs à la tête d’exploitations familiales et, surtout, de nombreux investisseurs – capitaines d’industrie et de la finance, stars de cinéma, etc. – subjugués par la conjonction d’Hélios et de Bacchus, mais sans expérience de la vigne. “Ces néovignerons disposaient pour la plupart de deux atouts, explique Laurence Berlemont. Des moyens financiers et la “culture du consultant” des néophytes. Cela nous a permis d’aller plus vite.” Aujourd’hui, le Cabinet d’agronomie provençale accompagne 80 propriétés dont 93 % sont certifiées AB.

Les unions de vignerons, pour leur part, ne sont pas en reste. A l’image d’Estandon, dans le Var, poids lourd du secteur en France (plus de 20 millions de bouteilles). Ce regroupement de coopératives se révèle le plus important vinificateur de vin bio dans la région, avec 30 % de la production labellisés AB en côtes-de-provence et 40 % dans les Indications géographiques protégées (IGP). “Et les conversions demeurent en progression”, observe Catherine Huguenin, la maître de chai, qui assemble tous les vins de la structure. Pour elle, dans les coteaux-varois, “la certification en bio deviendra vite un prérequis pour obtenir l’AOP”. Côté consommation, elle se réjouit, malgré un certain désamour général pour le bio, que les ventes n’aient pas baissé ni en grandes surfaces ni chez les cavistes. “On note juste un transfert sur les IGP, aux prix plus attractifs”, précise-t-elle.

Répondre à une demande sociétale

Avec la multiplication des acteurs, les motivations aussi ont évolué. A l’altruisme militant des pionniers a succédé une sorte de principe de réalité fondé sur la nécessité de répondre à une attente sociétale pour aller de l’avant. “En 2010, j’ai sauté le pas plus par certitude économique que par vertige métaphysique, déclare Olivier Nasles, le président du Comité national de l’agriculture biologique, sorte de parlement du bio à l’Institut national de l’origine et de la qualité. Avec son franc-parler, le vigneron d’Eguilles (Bouches-du-Rhône) et œnologue-conseil auprès d’une centaine de caves coopératives du Sud de la France, développe : “Evidemment que le bio est meilleur pour la santé et pour la planète, il n’y a pas de débat là-dessus. Mais si on se fait simplement plaisir et que l’activité économique ne se révèle pas rentable, cela ne marche pas. Nous devons créer de la valeur ajoutée en nous convertissant au bio.” Les coopératives l’ont bien compris, qui valorisent les jus bios de leurs adhérents de 10 à 20 % et les accompagnent durant la conversion.

Peut-être plus qu’ailleurs, aussi, la région est traversée par d’autres courants soucieux de la protection de l’environnement, comme la biodynamie, l’agroforesterie, la permaculture… Et le retour de la polyculture : amandiers, pistachiers et, bien sûr, oliviers repeuplent le paysage. Comme au Domaine de Leos, la propriété que Patrick Bruel a acquis, en 2006, dans le Luberon. Le bio constitue une évidence pour l’artiste, qui n’a pas hésité quand il s’est lancé dans la production d’huile d’olive, encore moins pour la conduite de son vignoble, son rêve de toujours. “Pour développer un écosystème vertueux, il faut avoir les moyens de s’attacher plus à l’environnement qu’aux rendements.” Il a ainsi maintenu de vastes espaces naturels et planter des espèces mellifères pour les abeilles.

“Mais le défi majeur, à présent, réside dans la gestion de l’eau – une réponse aux conséquences du réchauffement climatique, observe Laurence Berlemont. L’agriculture régénérative, notamment, y contribue : plus de matière organique permet de retenir l’eau dans les sols.” “Nous motivons nos adhérents sur le sujet”, abonde Catherine Huguenin. Après la Provence verte et rose, la bleue ?




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