Malgré le formidable élan de l’agriculture biologique, la filière vin souffre. Six millions d’hectolitres sont partis en distillation l’année dernière et une centaine de milliers d’hectares vont être arrachés, soit près de 15 % de la surface totale. La faute au désamour qui frappe le sang de la vigne en France : moins 70 % en soixante ans – les rouges étant plus à la peine que les autres. Pour conjurer l’inexorable tendance, les initiatives se multiplient. Comme, pour recouvrer la faveur des palais féminins et des milléniaux, réduire le taux d’alcool, casser les codes de la consommation. Zoom sur le millésime bordelais 2023. Notre guide.
Comme chaque année depuis quarante-trois ans, le vignoble de la Gironde a vibré, fin avril, au rythme de la Semaine des primeurs. Durant cette fashion week organisée pour l’essentiel par l’Union des grands crus de Bordeaux (UGCB), plusieurs milliers d’échantillons du millésime 2023 se sont glissés dans leurs plus beaux habits d’arômes pour défiler devant quelque 5 000 visiteurs. Tous ces professionnels – sommeliers, importateurs, cavistes, critiques, journalistes… – ont pu vérifier l’antienne connue que, en viticulture, les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Après l’exceptionnelle 2022, puissant et riche, le fruit de la dernière récolte a dû s’affirmer. Un vrai défi, plutôt bien relevé par ce millésime qui marque le retour à un certain classicisme : “Un profil plus océanique, reflétant la tradition bordelaise avec beaucoup de modernité”, résume Ronan Laborde, président de l’UGCB.
Une belle capacité de garde
Les réussites de ses jus frais et subtils se signalent par la finesse des tannins, la pureté des arômes, un fruité étincelant, une belle acidité, gage de bonne conservation, et un niveau d’alcool modéré. Autant de qualités, fidèles à l’identité des grands vins de Bordeaux, qui les rendra accessibles dans leur jeunesse, tout en étant doté d’une belle capacité de garde. Il convient toutefois d’apprécier ses mérites au cas par cas, tant la production de rouge sur les deux rives de la Garonne se révèle hétérogène. Les différences découlant principalement de la compréhension, des choix et de la réactivité des équipes en place, à la vigne comme au chai : un vrai millésime de vigneron. Dans le Libournais, où les merlots (majoritaires) ont souffert des attaques de mildiou, on peut vérifier combien les grands terroirs, mieux ventilés et mieux drainés, se révèlent toujours moins sensibles aux maladies cryptogamiques. Sur la rive gauche, en revanche, le cabernet-sauvignon, cépage plus tardif, domine. L’été indien lui a permis de donner de superbes vins racés, structurés, profonds et frais. Les appellations les plus septentrionales (saint-julien, pauillac, saint-estèphe) se montrant plus harmonieuses dans les réussites.
Plus homogènes, également, les vifs et purs blancs secs sont séduisants de fraîcheur et d’éclat. Leur remarquable sapidité et les belles compositions aromatiques qu’ils délivrent en font sans doute les meilleurs des dix dernières années. De même les liquoreux envoûtent par leur parfait équilibre de douceur et de fraîcheur.
Des baisses de prix significatives
Reste que quand le vin est goûté, il faut le vendre. L’année dernière, malgré la magnificence du 2022, le négoce bordelais – qui assure la commercialisation auprès du public en France et dans le monde -, avait boudé les hausses de prix, parfois astronomiques, imposées par les propriétés. La place de Bordeaux attendait cette fois un signal fort sur les mises en marché. Entendu, puisque dès le début de campagne, d’iconiques grands crus classés ont annoncé des baisses significatives, comme Lafite Rothschild (- 32 %), Cos d’Estournel (- 38 %), Haut-Brion (- 39 %), Léoville Las Cases (-40 %)… En moyenne, l’ajustement se situe autour de – 20 %, mais “touchée de plein fouet par le marasme économique ambiant, la campagne stagne pourtant”, confie un négociant de la place. Et ce ne sont pas les incertitudes politiques qui vont l’aider à décoller…
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