Chapitre 1 : Un harcèlement militaire de plus en plus inquiétant
Base aérienne de Hsinchu, sur la côte nord-ouest de Taïwan, face à la Chine. Dans ce lieu ultrasécurisé, les consignes imposées à L’Expresssont strictes. Interdiction de photographier de l’extérieur les dizaines de hangars camouflés – en cas de guerre, Pékin pourrait chercher à les frapper pour anéantir les appareils au sol. Un Mirage 2000-5 se positionne sur une piste : le vacarme assourdissant de son moteur déchire l’air. En combinaison kaki, les traits tirés, le lieutenant-colonel Nick, 34 ans, entre dans la “ready room”, le local où les pilotes attendent l’ordre de décoller. La plupart regardent distraitement une chaîne de sport.
Soudain, l’alarme retentit, stridente : un jeune pilote bondit et se précipite vers son avion de chasse, dans le hangar attenant. Entre l’alerte et le décollage, il ne doit pas s’écouler plus de six minutes. L’exercice d’entraînement est réussi. Mais la tension est palpable en cette fin du mois de mai, au sein de la “second wing”, l’une des sept bases aériennes de Taïwan, située non loin du siège du leader mondial des semi-conducteurs, TSMC, l’entreprise la plus stratégique du pays. Quelques jours plus tôt, l’armée chinoise a organisé des manœuvres d’encerclement autour de l’île. Lancées en “représailles” au discours d’inauguration du nouveau président taïwanais, Lai Ching-te (qui se fait aussi appeler William Lai), elles ont mobilisé 111 avions et une armada de navires.
Les journées sont de plus en plus éprouvantes, car outre les patrouilles de routine et les entraînements, les missions imprévues se multiplient, dans un ciel où l’ennemi peut surgir à tout moment. “Il y a dix ans, je décollais en urgence une fois par mois, maintenant, c’est trois à cinq fois, précise Nick, dans le hangar où stationne “son” Mirage 2000. Le plus stressant, c’est quand je suis d’astreinte dans la “ready room”, la nuit, en train de dormir ou de me reposer, et qu’il faut partir immédiatement”. L’an dernier, comme en 2022, plus de 1 700 avions chinois ont pénétré dans la zone d’identification de défense aérienne taïwanaise (Adiz), une augmentation de 76 % en deux ans.
Ces incursions incessantes mettent à rude épreuve les nerfs et usent un matériel parfois ancien – les Mirage 2000-5 sont en service depuis 1997. Leur mission ? Aller à la rencontre de l’intrus et identifier le danger. “S’il ne fait rien de suspect, je maintiens ma course et me contente de le suivre sur mon radar. S’il s’approche vraiment, alors je vais confirmer visuellement sa présence et le surveiller. Je me place en position de surplomb par rapport à lui, au-dessus de 2000 mètres, pour éviter les accidents”, décrit le pilote, en mimant la scène avec ses mains. La base se charge de communiquer avec l’appareil adverse. “C’est un métier très dur : nous sommes tous les jours confrontés à des décisions de vie ou de mort. Et certaines missions empiètent sur la vie familiale”, souffle ce père d’un jeune garçon. Lui évacue la pression en jouant au foot, mais certains soldats craquent et rendent leur uniforme.
L’obsession de Xi Jinping
Epuiser progressivement les Taïwanais, les décourager, leur faire comprendre qu’il ne sert à rien de résister face à la plus grande armée du monde, telle est l’obsessionde Xi Jinping. Le président chinois s’est juré de récupérer l’île, qu’il considère comme l’une de ses provinces, au besoin par la force. Pas question de reporter ce problème “de génération en génération”, a-t-il averti. Et qu’importe si la République populaire de Chine n’a jamais administré ce territoire, qui mène de facto une politique autonome depuis des décennies… Cette idée fixe plonge ses racines dans l’histoire : c’est à Taïwan que les troupes nationalistes de Tchang Kaï-chek, vaincues par les communistes de Mao Zedong, se sont réfugiées en 1949, emportant dans leurs bagagesla République de Chine fondée en 1912 par Sun Yat-sen, dans l’espoir de repartir à l’assaut du continent. Les raisons sont aussi politiques – Taïwan, vibrante démocratie sinophone, représente un insolent contre-modèle au régime autoritaire communiste. Economiques : l’île fabrique 90 % des puces les plus avancées de la planète. Mais surtout géopolitiques : la Chine voit en effet son accès à l’océan Pacifique entravé par la “première chaîne d’îles” (Philippines, Corée du Sud, Japon, Taïwan), des pays qui ont tous des liens militaires avec le grand rival américain. S’emparer de Taïwan permettrait à Pékin de percer une brèche dans cette “barrière” naturelle.
Que ce soit dans les airs ou sur les eaux, la Chine a accru ces dernières années la pression à des niveaux sans précédent sur l’ex-Formose, tout en restant dans une “zone grise”, en deçà du seuil de la guerre. Il n’est désormais plus rare que des avions chinois franchissent la “ligne médiane” qui sépare en deux le détroit de Taïwan (large de 130 à 180 kilomètres). Les navires de garde-côtes chinois, accompagnés de bateaux de guerre, sont aussi de plus en plus nombreux à pénétrer dans les “eaux restreintes” (à moins de six kilomètres des côtes) d’îles taïwanaises très proches de la Chine, comme Kinmen, d’où l’on aperçoit les tours de la ville de Xiamen, juste en face. En février, des officiers chinois sont même montés à bord d’un bateau de croisière taïwanais, en excursion autour de Kinmen, pour un contrôle, comme s’ils opéraient dans leur juridiction. “Les forces chinoises essayent d’imposer l’idée que le détroit de Taïwan leur appartient. Ils déploient tout un éventail de tactiques que nous n’avions jamais vues avant. Nous n’avons pas de remède miracle, il nous faut en permanence nous adapter”, glisse dans des locaux du ministère de la Défense, à Taipei, le major général Sun Li-Fang, porte-parole de l’armée, coupe en brosse de rigueur.
Le régime communiste, qui souhaitait l’arrivée au pouvoir du Kuomintang (KMT), plus favorable a un dialogue avec lui, n’a jamais digéré l’élection de Tsai Ing-wen (2016-2024), du Parti démocrate progressiste, traditionnellement indépendantiste. Même si la présidente s’est bien gardée de proclamer formellement l’indépendance, geste qui reviendrait à déclarer la guerre à Pékin. Ce harcèlement permanent pourrait encore s’accentuer sous le mandat de son successeur. Issu du même parti, William Lai, qualifié par Pékin de “dangereux séparatiste” a pris de front son puissant voisin dès son discours d’investiture, le 19 mai, en laissant entendre que la Chine et Taïwan étaient deux Etats distincts. Sacrilège ! Le nouveau président semble bien conscient du danger : “La montée en puissance de la Chine est notre plus grand défi”, a-t-il insisté récemment devant les élèves de l’Académie militaire, ajoutant que “l’annexion” et “l’élimination” de Taïwan étaient devenues une cause nationale à Pékin, qui menace à présent de peine de mort les “séparatistes obstinés”.
La Chine prendra-t-elle pour autant le risque de provoquer une troisième guerre mondiale avec les Etats-Unis en attaquant Taïwan ? L’amiral Philip Davidson, à l’époque commandant des forces américaines dans la région Asie-Pacifique, avait estimé en 2021 que Pékin pourrait lancer une invasion d’ici à 2027. Selon son successeur, Xi Jinping aurait demandé à ses troupes d’être prêtes pour un assaut à cet horizon. Depuis son arrivée au pouvoir, le leader communiste déploie des moyens considérables pour moderniser ses armées et leur donner les capacités de s’emparer de l’île de 23,5 millions d’habitants. Les exercices militaires chinois des 23 et 24 mai “ressemblaient à une répétition” d’invasion, a commenté l’amiral Samuel Paparo, nouveau commandement des forces américaines dans la région.
Ce scénario – celui d’une grande puissance autoritaire agressant un petit voisin démocratique – est devenu bien plus réel dans l’esprit de certains Taïwanais depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, le 24 février 2022. Pour nombre de spécialistes, la probabilité d’une invasion a augmenté, même si elle peut encore être évitée. L’année 2027 pourrait être particulièrement tendue. “Xi Jinping sera probablement reconduit pour un quatrième mandat. Une nouvelle victoire de William Lai aux élections de janvier 2028 signifierait l’échec complet de sa politique vis-à-vis de Taïwan et l’exposerait à une forte contestation au sein de son régime. S’il sent que ce mouvement est inéluctable, il pourrait décider d’attaquer”, anticipe Lai I-chung, président de la Prospect foundation, un centre de réflexion à Taipei. Pour d’autres experts, les années 2030 seront les plus dangereuses, à mesure que l’on se rapprochera du centenaire de la création de la République de Chine populaire, en 2049. Le risque serait immense pour l’assaillant, mais Xi Jinping a démontré qu’il n’avait pas peur d’en prendre, en envoyant plus de 1 million de musulmans dans des camps de rééducation dans la province du Xinjiang ou en mettant drastiquement au pas Hongkong, malgré les dégâts pour l’image et l’économie de la Chine.
Chapitre 2 : Un débarquement à très haut risque
Le rendez-vous a été donné à l’Institut de défense et de recherche stratégique, à quelques centaines de mètres du palais présidentiel – deux bâtiments construits par les Japonais pendant l’occupation (1895-1945). La zone comporte des abris souterrains pour protéger le président et les membres du gouvernement en cas de bombardement chinois. Passé les contrôles, on pénètre dans l’enceinte de ce centre de réflexion militaire, ancien quartier général des forces nippones pendant la Seconde Guerre mondiale. Le chercheur Yisuo Tzeng est spécialiste des “war games”. Son rôle n’est pas de définir les scénarios les plus probables, mais d’imaginer les pires. Et le pire, selon lui, serait un blocus de l’île par la Chine, destiné à la faire capituler. Ce scénario appuierait en effet sur les faiblesses de Taïwan – très dépendante de ses importations, notamment énergétiques – tout en jouant sur l’effet de masse de la Chine (qui possède la plus grande flotte au monde). Taïwan se prépare en faisant des réserves de matériaux critiques, de médicaments et de carburant dans le but de tenir au moins trois mois. “En cas d’encerclement total, et en l’absence de déclenchement d’une guerre, il serait difficile pour Taipei de réagir”, prévient Yisuo Tzeng. Mais la Chine, qui ferait certainement face à des sanctions occidentales, ne s’en sortirait pas indemne.”
Pour d’autres observateurs, la menace la plus sérieuse serait une invasion amphibie “surprise”. Elle serait précédée d’une vaste cyberattaque visant à paralyser les services de l’Etat et d’un torrent de désinformation pour répandre la panique et la défiance envers le gouvernement. Puis une nuée de missiles ciblerait les infrastructures stratégiques, les radars de la défense aérienne, et les postes de commandement. La prise de Taïwan serait toutefois d’une complexité inouïe – beaucoup plus que le débarquement allié sur les côtes normandes, le 6 juin 1944 – considéré comme l’opération militaire la plus périlleuse de tous les temps. Elle nécessiterait une coordination sophistiquée entre les forces navales, aériennes et terrestres chinoises, alors qu’elles n’ont pas combattu depuis 1979 (contre le Vietnam). Et énormément d’hommes.
Car Taïwan a une chance : c’est une île protégée par des falaises rocheuses. Pour la conquérir, la flotte chinoise devra d’abord traverser le détroit aux eaux agitées, s’exposant aux missiles antinavires, aux drones, et aux mines navales taïwanais. Ensuite, les lieux de débarquements possibles, peu nombreux, seraient farouchement défendus : une douzaine de plages très étroites, souvent entourées d’eaux peu profondes, ce qui obligerait les navires de débarquement à rester à distance des côtes, compliquant le déploiement des armes.
La crainte du combat en zone urbaine
Imaginons que les Chinois parviennent à poser le pied sur l’île : le plus dur resterait à faire. Les soldats de l’Armée populaire de libération (APL) devraient progresser dans un décor montagneux – dont les tunnels auront probablement été condamnés par les Taïwanais – jusqu’à la capitale, Taïpei. Il leur faudra en chemin affronter une guérilla, avant d’enchaîner avec du combat urbain, dans une zone à très forte densité humaine (plus de 9 millions d’habitants).
“Notre principal objectif serait de survivre à la première vague de frappes, puis de tenir avant l’arrivée de l’aide américaine. A mon avis, deux semaines suffiraient”, évalue Arthur Ding, professeur à l’université nationale Chengchi, à Taïpei. D’après le Taiwan Relations Act, voté en 1979, les Etats-Unis sont tenus d’aider l’île à se défendre, mais Washington maintient une “ambiguïté stratégique” sur une intervention armée. Joe Biden a certes affirmé à plusieurs reprises que l’Amérique viendrait au secours de l’île. Mais nul ne sait quelle serait réellement la réaction américaine en cas d’agression chinoise. Surtout si Donald Trump revient à la Maison-Blanche l’an prochain…
En théorie, les Etats-Unis ne peuvent laisser Taïwan basculer dans le giron chinois. Un renoncement menacerait leur présence dans la région – où ils exercent leur domination depuis 1945 – , mais aussi leurs alliances locales, et sans doute leur rang de première puissance mondiale. Sans compter qu’ils perdraient l’accès aux semi-conducteurs taïwanais les plus performants, cruciaux dans des secteurs stratégiques comme la défense ou la tech de nouvelle génération. “Les Américains attendraient probablement un moment avant d’intervenir, avance Arthur Ding. Ils laisseraient les deux parties se combattre. Si des missiles frappent Shanghai ou Pékin, l’économie chinoise en serait très affectée : ce serait dans l’intérêt de Washington…”
D’autres voix sont plus sceptiques. “La vraie leçon de la guerre en Ukraine, c’est que les Etats-Unis ne sont pas venus : ils se sont contentés d’envoyer des armes”, grince Alexander Huang, directeur des affaires internationales du KMT. “Tout dépendra des circonstances, mais la Chine dispose d’armes nucléaires et de formidables capacités conventionnelles dans la région. Il est fort probable que les Etats-Unis soient dissuadés d’intervenir, renchérit Peter Harris, professeur à l’université d’Etat du Colorado. Il serait alors extrêmement difficile pour l’Amérique et ses alliés de réapprovisionner Taïwan une fois que la guerre aurait commencé.” Taïwan doit donc aussi se préparer à ne compter que sur ses propres forces.
Chapitre 3 : Taïwan est-il prêt ?
Max fait partie des derniers Taïwanais à effectuer un service militaire de quatre mois, et il n’en gardera pas un souvenir impérissable. Face au risque accru de guerre, le gouvernement précédent a en effet décidé de changer de braquet : les dépenses militaires sont passées de 2 % à 2,5 % du PIB, et la durée du service militaire a été allongée à un an. “Les deux derniers mois étaient consacrés à la logistique : j’ai oublié ce que j’avais appris au début en matière de maniement des armes”, confie le jeune homme de 27 ans, dans le sud de Taïwan, près de la caserne de Kaohsiung.
La guerre en Ukraine a été un choc pour cet étudiant d’origine Hakka (ces habitants du sud de la Chine arrivés à Taïwan au XIXe siècle) par son père et aborigène par sa mère. Contrairement à ses amis, qui préfèrent ne pas y penser, il se dit inquiet. “Je pense qu’une attaque est de plus en plus possible. Xi Jinping et Poutine se ressemblent : ce sont des empereurs qui veulent s’approprier les territoires des autres.” Il se montre même défaitiste. “Porter le service militaire à un an peut être utile, mais ça ne va pas forcément nous aider à gagner : nous ne sommes pas assez nombreux et notre pays est très petit”, soupire-t-il. Serait-il prêt à se battre ? “Je me mobiliserai, mais si ma vie était en danger, je ne suis pas sûr de continuer à résister. J’aime mon pays, mais je préfère ma vie”, résume-t-il dans une grimace comique.
@lexpress Notre journaliste, Cyrille Pluyette, a pu entrer dans la base militaire aérienne de Hsinchu au nord-ouest de Taïwan, quelques jours après des manoeuvres militaires chinoises visant à encercler l’île. Il raconte. Taiwan chine reportage sinformersurtiktok apprendreavectiktok
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La formation des réservistes laisse aussi à désirer. Car si le nombre officiel dépasse les 1,6 million de personnes, très peu sont correctement préparées. “Notre force de réservistes manque d’entraînement, d’hommes, de détermination, et d’équipement. Si l’on ne la réforme pas, elle se transformera en chair à canon en temps de guerre”, prévient le chercheur Jyh-Shyang Sheu, chercheur à l’INDSR. Convaincues par le déroulement de la guerre en Ukraine qu’il est possible de résister face à une puissance autocratique en grande supériorité numérique, les autorités taïwanaises ont promis de s’atteler à ce projet.
Impressionnées par l’exemple donné par Kiev, elles louent désormais les vertus de la défense asymétrique, ou la “stratégie du porc-épic”. L’idée est de dissuader la Chine d’attaquer, par peur des dégâts qu’elle pourrait subir. Mais pour l’ancien chef d’état-major de l’armée taïwanaise (2017-2019), l’amiral Lee Hsi-min, le gouvernement, qui dispose d’un budget limité, ne fait pas un choix suffisamment clair. Plutôt que de s’obstiner à acheter des équipements conventionnels très coûteux – avions de chasse, bateaux de guerre… – qui pourraient détruits très rapidement, Taïpei devrait consacrer, dit-il, bien plus d’efforts à des armes plus mobiles, moins chères et moins faciles à éliminer par l’ennemi, comme des missiles Javelin ou Stinger.
Quitte à conserver le strict minimum d’armes conventionnelles pour repousser les navires et les avions de guerre chinois qui pullulent actuellement en “zone grise”. Et ce, même si la commande de 66 chasseurs F-16 aux Etats-Unis (la livraison a pris du retard, en raison des appareils promis à l’Ukraine) a le mérite de soutenir le moral des Taïwanais… Le verdict de l’amiral Lee est sans appel : “Le fait est que nous ne pouvons pas rivaliser avec l’APL, d’où la nécessité de repenser la stratégie militaire taïwanaise, a-t-il déclaré l’an dernier au Japan Times. Surtout si l’on considère les capacités offensives croissantes de l’armée chinoise et le rythme rapide auquel elle s’est modernisée.”
Peter Harris, coauteur de Deterrence Gap : Avoiding War in the Taiwan Strait (US Army War College), partage le constat que le pays n’est pas prêt : “A l’heure actuelle, Taïwan ne dispose pas des capacités nécessaires pour stopper une invasion. Son armée est sous-financée, trop petite et mal préparée. Ses stocks ne sont pas suffisants pour mener une longue guerre et sa stratégie militaire repose trop sur l’idée d’être secouru par une intervention américaine.” Selon lui, il y a urgence : “Taïwan a besoin de plus de missiles antinavires, de plus de mines navales, de plus de drones et de forces terrestres mobiles.”
Signe d’une prise de conscience, l’ex-Formose a accéléré sa production de missiles : elle ambitionne d’en fabriquer plus de 1 000 cette année. Et le nouveau président, William Lai, veut faire de Taïwan un hub régional de fabrication de drones. En attendant, le Pentagone vient d’approuver, pour un total de plus de 360 millions de dollars, la livraison à Taipei de drones aériens et de 700 drones kamikazes déjà utilisés par l’armée ukrainienne. En cas de conflit, les Etats-Unis comptent par ailleurs saturer le détroit de Taïwan avec des drones aériens et navals. L’objectif est d’en faire “un paysage infernal sans pilote”, a indiqué l’amiral Samuel Paparo au Washington Post.
Mais la dissuasion, in fine, repose sur l’évaluation que fera la Chine de la résistance taïwanaise et de l’intervention américaine. “Tant que la Chine se dit qu’elle ne peut pas terminer une guerre en moins de deux ans, elle peut hésiter. Mais si elle pense qu’elle peut l’emporter en trois ou six mois, la tentation de passer à l’action sera plus forte”, calcule Mathieu Duchâtel, directeur des études internationales à l’Institut Montaigne.
Pour éviter ce scénario, accumuler des armes ne sera pas suffisant : Taïwan doit aussi dépoussiérer sa culture militaire. “L’armée est encore très autocratique : les généraux qui ont 60 ans aujourd’hui étaient déjà dans l’armée au moment de la dictature (1949-1987). Coupés du monde, ils n’ont pas été confrontés aux meilleures pratiques”, critique Enoch Wu, un ancien des forces spéciales, qui a monté l’ONG Forward alliance, pour former les civils, mais aussi des pompiers et des policiers à des situations d’urgence. Or “la guerre en Ukraine prouve que toute armée qui n’encourage pas la prise d’initiative sur le terrainne survit pas”. D’aorès lui, il faudra au moins dix ans pour changer les mentalités en faisant accéder aux plus hautes fonctions des officiers issus de la nouvelle génération. En définitive, l’élément déterminant sera “l’esprit de résistance de la population, comme en Ukraine”, affirme Enoch Wu, dont l’ambition est aussi, à travers ses stages, de “créer un esprit d’unité”. Dans un commissariat de quartier, à New Taipei City, en banlieue de la capitale, des agents apprennent à poser un garrot ou à colmater une blessure, dans une ambiance bon enfant. “Si une guerre est déclenchée, la ligne de front sera partout. Plus il y aura de monde pour gérer les crises et les blessés, plus ce sera utile”, juge Hongti Lin, un policier de 28 ans qui a participé à la formation.
En réalité, c’est toute la société qui doit se mettre en ordre de bataille. Aujourd’hui, la jeunesse donne parfois l’impression de “planer”. Certains sont conscients du risque de guerre, d’autres pas du tout. Les manœuvres militaires chinoises, fin mai, n’avaient ainsi pas l’air de bouleverser grand monde dans la capitale taïwanaise. “Je n’ai pas peur qu’ils attaquent. La Chine est un tigre de papier qui a beaucoup de problèmes économiques internes à gérer et n’a pas combattu depuis longtemps. Ils se servent de ces exercices militaires pour montrer à leur population qu’ils font quelque chose ! Le régime communiste ne nous gouvernera jamais “, sourit Terry, un désigner de Taipei d’une trentaine d’années.
Comme en Ukraine, l’attitude du pourrait s’avérer cruciale. C’est parce que Volodymyr Zelensky n’a pas fui et s’est imposé comme résistant en chef que tout un peuple a tenu tête à l’occupant russe. C’est dire le poids immense qui pèse sur les épaules du nouveau dirigeant, William Lai.
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