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Les “drôles de dames” de Keir Starmer, le futur Premier ministre britannique


“Premier leader travailliste réellement workingclass depuis plusieurs générations, Keir Starmer est un homme ordinaire, dans le meilleur sens du terme.” Ce commentaire, signé Tom Baldwin, son biographe, est essentiel pour comprendre la personnalité du probable futur Premier ministre britannique. Selon des résultats partiels, son parti a déjà sécurisé plus de 340 sièges, soit plus que les 326 sièges nécessaires pour obtenir la majorité absolue à la Chambre des Communes et pouvoir former seul le futur gouvernement britannique, lors de ces élections législatives organisées jeudi 4 juillet au Royaume-Uni.

Avec Keir Starmer, le Royaume-Uni tourne non seulement la page de quatorze ans de conservatisme, mais se débarrasse aussi d’une série de Premiers ministres éduqués dans des public schools comme Eton, où les frais de scolarité se montent à 60 000 euros par an et dont les élèves, à l’instar d’un David Cameron ou d’un Boris Johnson, considèrent la politique comme un jeu sans conséquence.

“Starmer n’a que mépris pour cette légèreté de décadents, assène Baldwin. Pour lui, intégrité veut dire quelque chose.” Elle viendrait, poursuit-il, du football “qui fut un refuge lors de son enfance difficile” et dont le nouveau chef du gouvernement a retenu la rigueur des règles et l’esprit d’équipe. Et la sienne, il l’a constituée durant ces quatre dernières années passées dans l’opposition, après avoir totalement renouvelé le Parti travailliste et sa culture.

Exit Corbyn

Il faut dire qu’à son arrivée en avril 2020, en pleine pandémie de Covid, le Labour est en ruines. Largement battu aux élections générales de 2010, 2015 et 2017, le parti historique de la gauche, fondé en 1900, avait fini par effrayer son électorat traditionnel du nord de l’Angleterre. En décembre 2019, celui-ci vote pour les conservateurs de Boris Johnson, consacrant sa victoire. La raison principale de ce basculement historique se nomme Jeremy Corbyn, l’insurgé permanent, le trotskyste qui désire l’insurrection plutôt que le pouvoir. A la tête du parti entre 2015 et 2020, il y fait régner la terreur contre “les mous”, autrement dit les sociaux-démocrates, et contre les juifs du parti. Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Dès son élection, Keir Starmer diligente une enquête indépendante, dont les conclusions sont sans appel. Une culture violente et antisémite, perpétuée par le leader, s’est installée dans le parti. La sanction arrive vite : Corbyn et ses acolytes sont expulsés. Starmer, qui n’a pas été procureur général pour rien, change même les statuts du parti et réduit nettement le pouvoir des membres et des militants. Il a peut-être l’air “ennuyeux”, comme le répètent à l’envi les conservateurs et tabloïds du pays, il n’en a pas moins une poigne de fer.

La parité des salaires comme cheval de bataille

En quatre ans, Starmer regagne le cœur des électeurs travaillistes en montrant sérieux et compétence, notamment lors des questions hebdomadaires au gouvernement. Pour l’épauler, il choisit deux femmes, quadragénaires. “Starmer et ses drôles de dames”, titrent les tabloïds. A sa droite, l’économiste Rachel Reeves ; à sa gauche, la rousse Angela Rayner, mère célibataire à 16 ans, dont la gouaille assénée avec l’accent de Manchester détonne au Palais de Westminster.

Rachel Reeves, qui sera probablement la première Chancelière de l’échiquier de l’histoire du pays, autrement dit sa ministre de l’Economie et des finances, a un plan. Elle a fait de la parité des salaires son cheval de bataille. Pour y parvenir, il faut, selon elle, féminiser l’économie. Et cela commence par l’accès aux crèches dans un pays où seuls les plus démunis y ont droit. Quand on connaît le manque de main-d’œuvre outre-Manche, en raison, notamment, de la baisse du nombre d’immigrés après le Brexit, permettre aux femmes d’exercer une profession est l’une des clefs du programme de croissance économique des travaillistes.

De même, Reeves compte adapter le service de santé aux femmes. Celles-ci sont en effet plus nombreuses à souffrir de pathologies de longue durée que les hommes. Elles sont aussi plus nombreuses à s’occuper de parents âgés et malades, d’où la nécessité de leur attribuer les aides sociales. Pour Rachel Reeves, les économistes – souvent des hommes – ont du mal à penser l’économie au-delà de l’orthodoxie gestionnaire qui relègue ces questions, cruciales pour les femmes, à plus tard. Pour contrer cette mentalité, voire ce réflexe pavlovien, Reeves a prévu de nommer une femme à la tête de chaque service économique de l’Etat. Elle promet également que chaque politique publique sera d’abord évaluée selon son impact sur les femmes.

Amis proches

Le tandem Starmer-Reeves est déterminant. Lui au 10 Downing Street, elle au 11. Leur bonne relation est cruciale pour assurer la stabilité du gouvernement et attirer les investisseurs étrangers, dont les milliards devraient lui permettre de ne pas augmenter les impôts. “Ce sera bon pour le pays d’avoir à sa tête un Premier ministre et un Chancelier qui non seulement sont des amis proches, mais partagent surtout un projet commun”, a déclaré Starmer le 28 juin dernier, avant d’ajouter : “avec ce qui se passe en France, et bientôt sans doute aux Etats-Unis, les investisseurs étrangers recherchent la stabilité que nous offrons enfin au Royaume-Uni.”

A Angela Rayner, qui a eu durant ces années d’opposition le rôle de numéro deux dans le “cabinet fantôme” (au Royaume-Uni, les députés d’opposition ont pour coutume de former un cabinet alternatif), Keir Starmer devrait confier le ministère du Logement – rôle d’autant plus prééminent que l’une des premières mesures des Travaillistes au pouvoir sera de lancer un “blitz de constructions tous azimuts”, avec l’obligation pour les autorités locales de créer un nombre fixe de logements sociaux par mois. Le Labour compte également revoir le Plan local d’urbanisme de chaque commune afin d’élargir les zones constructibles et, donc, réduire une fraction de la fameuse campagne anglaise, la “Green Belt”.

Pour les Travaillistes, libérer ne serait-ce que 1 % de ces terres pourrait contribuer à la construction de 738 000 nouveaux logements. Dossier brûlant s’il en est, les jeunes Britanniques ne peuvent aujourd’hui acquérir leur premier logement sans l’aide de leurs familles, d’où leur surnom, la Generation Rent (génération condamnée à louer). Ce jeudi, lors des élections générales, cette situation a d’ailleurs pesé lourdement dans le vote anti-Tory. Aujourd’hui, Starmer promet de créer 1,5 million de logements à des prix abordables en cinq ans. Le seul à avoir réussi cette prouesse fut Harold Wilson à la fin des années 1960. Angela Rayner sera le visage de cet engagement.

Pragmatique… et audacieux ?

Autant dire que Starmer ne manque pas d’ambition. En revanche, il ne faut pas lui demander de définir le “starmerisme”. “L’idéologie, ce n’est pas pour lui, estime son biographe, Tom Baldwin. S’il s’est engagé relativement tard en politique, à la cinquantaine, c’est justement pour améliorer la vie des gens de façon concrète et pratique, pas pour leur vendre du vent.”

En revanche, ce pragmatique pourrait devenir audacieux. “Le travailliste classique commence par une grande vision, puis la réalité l’oblige à faire des compromis, poursuit-il. Starmer opère en sens inverse. Il commence par la réalité et devient radical si les circonstances l’imposent.” Starmer, révolutionnaire malgré lui ? L’avenir le dira. En attendant, celui qui fut souvent sous-estimé dans sa vie garde les pieds sur terre. Un “homme ordinaire”‘, en somme.




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