Les investissements “coup de cœur” ne répondent pas aux mêmes ressorts que les placements traditionnels. “C’est la même chose dans l’immobilier de prestige : le plaisir est devenu un élément très important depuis trois à quatre ans et cela se traduit par des critères de choix spécifiques”, analyse Nicolas Orlowski, le PDG du groupe Artcurial, qui a acquis en 2017 John Taylor, un réseau spécialisé dans l’immobilier d’exception. Les acquéreurs disposant de plusieurs millions d’euros pour acheter une demeure à Saint-Germain-des-Prés, Deauville, Courchevel ou sur la Riviera sont en quête de biens en parfait état immédiatement disponibles, constatent les agents immobiliers. Les plus fortunés d’entre eux sont, en outre, peu touchés par la remontée des taux d’intérêt, qui limitent les capacités d’emprunt des acheteurs traditionnels.
Cette spécificité a permis au segment de l’immobilier de luxe de bien résister au premier semestre 2024. “Le marché a beaucoup souffert en 2023, avec des baisses d’activité de l’ordre de 20 à 25 % à Paris, mais, depuis le début de l’année, il était bien reparti, ce qui nous rendait optimistes pour le second semestre, jusqu’à ce que les élections ne mettent un coup d’arrêt”, constate Richard Tzipine, le directeur général de Barnes. Tous les acteurs ne définissent pas le luxe au même niveau. Selon une étude récente de Belles Demeures, il y a eu 9 000 transactions de plus de 1,2 million d’euros en 2023 et 870 ventes d’exception à plus de 3,2 millions d’euros. Sur ce dernier périmètre, le site spécialisé estime que les prix ont progressé de 1,7 % en moyenne en France sur un an au 1er juin, contre – 2,5 % pour le marché traditionnel.
Une succession de micro-marchés
Reste que ce marché est loin d’être homogène : certaines destinations sont en baisse, quand d’autres sont stables voire en hausse. “On ne peut pas parler d’un marché global, plutôt d’une succession de micro-marchés, estime Nicolas Orlowski. Ce qui est compliqué, c’est que là où il y a de l’offre, il n’y a pas de demande, et là où il y a de la demande, il n’y a pas d’offre !” Même constat chez Barnes, où certaines propriétés localisées sur le littoral breton, situées dans un massif protégé ou bénéficiant d’une vue privilégiée, se vendent en quelques heures. Selon Belles Demeures, c’est toutefois dans les Alpes que la progression des prix a été la plus forte sur un an, avec une hausse de 8,1 % en moyenne, suivie par la Provence (+ 7,2 %).
Au sein d’une même zone, des différences significatives peuvent aussi surgir. C’est particulièrement le cas dans les grandes villes, dont Paris. Selon Daniel Féau, directeur général du groupe éponyme, “la baisse des prix intervenue dans la capitale sur l’année 2023 ainsi qu’au premier trimestre 2024 a permis au marché de retrouver une fluidité proche de la normale.” Mais, dans le détail, les grands appartements familiaux, principalement recherchés par des ménages français aisés, peinent à trouver preneurs alors que les pied-à-terre prisés par les acquéreurs internationaux s’arrachent. Selon Barnes, le marché parisien a ainsi vu ses prix baisser de 4 %, tous arrondissements confondus, sur un an. Une situation qui affecte aussi les belles maisons franciliennes. “Après avoir longtemps bénéficié d’un dynamisme remarquable, parfois plus important que celui de la capitale, les biens immobiliers d’exception en Ile-de-France sont à la peine”, pointe l’étude de Belles Demeures.
Reports de projets depuis la dissolution
Autre signe de tension sur le marché : chez John Taylor, on note une explosion des abandons de projet en cours de route. “En un an, le taux de casse a été multiplié par plus de 2 dans la moitié des destinations pour lesquelles nous opérons”, constate Nicolas Orlowski. Pas sûr que le climat politique arrange les choses à court terme. Les investisseurs étrangers, notamment américains, préfèrent reporter leurs projets depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. “Depuis sept ans, la France connaît une stabilité réglementaire et fiscale qui a attiré beaucoup de capitaux étrangers, mais aujourd’hui tout est à l’arrêt”, confirme Julien Magitteri, directeur général de Barnes Family Office by Côme. Le mois de septembre, post-Jeux olympiques et élections, devrait être décisif pour savoir dans quel sens le vent va tourner.
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