L’équation complexe entre les besoins des entreprises et les compétences des candidats est évidemment loin d’être résolue. L’hypothèse la plus vraisemblable est que les recruteurs et les candidats ne se comprennent plus parce qu’ils appartiennent à des groupes français qui eux-mêmes ne se comprennent plus. Les matrices sociale, économique et culturelle qui font l’arrière-plan des attitudes et des comportements ont changé. De nouveaux rapports au travail se construisent et s’improvisent. L’employabilité et la confiance en l’avenir en sont les ingrédients.
Après trente ans de crise économique et de chômage de masse, l’employabilité externe est la clé de voute du rapport au travail. Être “sous” le marché promet des difficultés. Être “dans” le marché permet d’avoir un emploi et de le garder. Et, surtout, être “au-dessus” du marché permet de dicter ses préférences de tarif, de temps de travail ou de lieu de résidence. Chacun s’interroge aussi sur son destin personnel, sur le sens de son histoire passée et sur l’avenir de son récit de vie. Mais tandis que certains sont convaincus que demain ne pourra que leur reprendre ce qu’ils ont gagné hier, d’autres sont certains de leur capacité à tirer leur épingle du jeu, quel que soit le jeu. La confiance en l’avenir est la seconde dimension qui structure le rapport au travail. A employabilité équivalente, on ne fait pas les mêmes choix selon que l’on se voit prospérer, stagner ou être déclassé dans les prochaines années.
Le croisement de l’employabilité et de la confiance en l’avenir dessine trois groupes de Français au travail. Les moins employables et les moins optimistes (12,6 %)* sont désengagés : leur âge, leur qualification et leur employabilité ne leur laissent guère imaginer des scénarii d’accès à l’emploi durable. A l’autre bout du spectre apparait le groupe des actifs très employables et très optimistes (13 %). La plupart a quitté le salariat : consultants auto-entrepreneurs, créateurs de start-ups ou multi-investisseurs, leur confiance en leurs compétences les fait délaisser la sécurité du salariat pour rechercher d’autres aventures plus en phase avec l’époque.
Au milieu du tableau se trouve le cœur de la population active : correctement employables, mais oscillant entre pessimisme et optimisme, ces individus constituent 45,9 % des actifs. Parmi eux, les pessimistes et les optimistes se distinguent par leur âge. Dépasser 39 ans, même chez des individus très diplômés, objectivement très employables, c’est perdre en attractivité pour un employeur potentiel. Et cette crainte, paradoxalement, provoque des comportements de retrait et d’auto-élimination qui déconcertent les entreprises.
Cette nouvelle grille de lecture impose avant tout des pratiques de recrutement renouvelées. Les gisements de candidats ne manquent pas. Mais seule une minorité d’actifs est aujourd’hui atteignable par les solutions traditionnelles que sont les annonces ou même l’approche directe. L’employabilité et la confiance désignent les deux leviers par lesquels agir. Il faut, en premier lieu évaluer objectivement des compétences, y compris pour révéler à certains les ressources qu’ils pourraient douter posséder. Mais il faut aussi mettre la focale sur l’engagement et la confiance, c’est-à-dire sur la qualité du lien entre un candidat et une entreprise.
* Jean Pralong est enseignant-chercheur spécialiste des questions de gestion des ressources humaines à l’EM Normandie. Samuel Tual est président d’Actual group.
**Baromètre sur le rapport des Français au travail publié par Actual group et l’EM Normandie (avril 2024)
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