Il y a d’abord eu un moment en suspension, dimanche soir, lorsque les uns et les autres ont compris que le résultat des élections législatives était très différent des prédictions des derniers jours. Très vite, pourtant, alors que s’affinent et se confirment les projections, les premières questions pointent : quelle coalition ? Avec qui ? Quel Premier ministre ? A gauche, on promet de présenter un candidat d’ici à la fin de la semaine et on revendique Matignon. La question du “pour quoi faire ?” est vite balayée, comme secondaire. Au Nouveau Front populaire, on répète que ce sera “le programme” et “rien que le programme” ; à l’extrême droite, le fond est oublié tant l’accession au pouvoir est désormais improbable ; en Macronie, on temporise, pas mécontents tout de même de voir que toute la politique menée depuis 2017 n’a pas été jetée aux oubliettes de ce scrutin anticipé par la volonté de leur chef. Dans les états-majors comme dans les médias, on se concentre sur les rivalités d’hommes, les alliances de partis, les équilibres des forces. Loin, très loin de ce qui ressort des préoccupations d’une majorité de Français, de droite comme de gauche, qui veulent que leurs dirigeants s’occupent des problèmes de leur quotidien plutôt que de leurs destins propres.
Dans les prochains jours, pour ne pas dire les prochaines semaines, les nouveaux parlementaires vont se concentrer sur des enjeux qui échappent à leurs concitoyens. Le 18 juillet, ils se retrouveront à l’Assemblée nationale pour élire un ou une président(e) du Palais Bourbon, le lendemain, les vice-présidents et le surlendemain encore, les présidents de commissions. Auparavant, il leur aura fallu choisir leur groupe de rattachement, un choix stratégique pour les équilibres entre forces politiques, ardemment commenté par les médias, mais dont l’intérêt risque de n’être que très peu perçu par le “peuple”. Autre donnée : alors qu’en 1997, il avait fallu quatre jours pour former un gouvernement autour de Lionel Jospin après la dissolution décidée par Jacques Chirac, la configuration de 2024 laisse présager de longues semaines de tractations que les Français ne pourront qu’observer sans mot dire.
Le soir du 9 juin, pourtant, en annonçant sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron l’affirme : son geste est guidé par la confiance “en la capacité du peuple français à faire le choix le plus juste pour lui-même et pour les générations futures”. Il répète sa volonté d’être attentif au peuple lors de sa conférence de presse du 12 juin : “nos compatriotes ont exprimé leur inquiétude et le sentiment de ne pas être écoutés”. Et une fois encore, lors de son bref discours à l’Elysée, le 21 juin, le soir de la Fête de la musique : “dans une démocratie, ce sont les citoyens qui choisissent”. Mais au matin du 8 juillet, qu’ont-ils exprimé ces citoyens qui se sont déplacés en nombre aux urnes, assurant une participation plus élevée (66,6 %) que lors des scrutins précédents du même type ? Ceux qui se sont retrouvés dans une configuration de front républicain savent contre qui ils ont voté. Mais ont-ils voté pour ? Quelle conclusion et quelle légitimité tirer de ce scrutin ? Sur les retraites, l’assurance chômage et bien d’autres sujets, qu’attendent-ils d’un futur gouvernement ?
Autant à gauche et au centre, les électeurs ont pu comprendre que, dans l’entre-deux tours, la tactique politique l’emporte sur le fond pour empêcher le Rassemblement national d’obtenir une majorité absolue, désormais leurs attentes sont bien plus précises. Quant aux électeurs du Rassemblement national qui ont exprimé un vote de conviction, plus que de défense, ils attendent des réponses à leurs inquiétudes, qu’on leur montre que le pouvoir d’achat, l’accès aux soins, le travail sont au cœur de la réflexion politique, qu’on ne balaie pas leurs sentiments de colère, de tristesse et d’inquiétude d’un revers de la main. Malgré sa “défaite” proclamée, le RN a rassemblé sur ses candidats 8,7 millions de bulletins qu’il est dangereux d’ignorer dans les mois qui viennent, sauf à alimenter encore leur ressentiment.
Depuis plus de quinze ans, les scrutins se succèdent et les déceptions s’enchaînent. En 2007, Nicolas Sarkozy n’est pas allé au bout de son ambition de répondre à la France de droite populaire. En 2012, François Hollande a déçu l’électorat de gauche qui avait cru en ses promesses d’un monde plus égalitaire. En 2017, encore, Emmanuel Macron avait suscité un nouvel espoir chez une frange plus urbaine et aisée de la population, vite fracassé sur ses contradictions. Aucun des trois n’est parvenu à convaincre. Certes, cette fois, personne n’avait placé beaucoup d’espoir dans ces élections, marquées par des alliances nouées à la va-vite au premier tour et un front républicain au second. Mais en cédant très vite aux petites manœuvres, les responsables politiques mettent plus que jamais en lumière le décalage entre les Français et eux. “Il y a plus de candidats pour être Premier ministre que de votants”, lance comme une boutade un député Renaissance battu. Une boutade aux allures d’avertissement.
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