Le plafond plie mais ne rompt pas. Le Rassemblement national en était pourtant certain : après cinquante-deux années d’existence, dont une bonne cinquantaine aux marges de la vie politique, il avait enfin réussi à trancher ce satané cordon sanitaire. Son avenir semblait tout tracé : arrivé en tête aux élections européennes avec plus de 30 % des suffrages, le parti d’extrême droite avait transformé l’essai, le 30 juin, en première place dans plus de 90 % des circonscriptions. Le 1er juillet au matin, Jordan Bardella est serein. Il ajuste son costume et se projette déjà à Matignon. La carte des résultats est quasi entièrement bleu marine, l’ensemble de la classe politique alerte sur l’éventualité plus probable que jamais de voir le parti de Marine Le Pen accéder au pouvoir. Une partie de la droite même, portée par Eric Ciotti, a décidé de franchir le Rubicon, brisant le tabou de l’alliance. Le Rassemblement national marche sur l’eau.
Et, dans les premiers jours de campagne, rien ne semble avoir de prise sur sa dynamique électorale. Ni les approximations programmatiques de Jordan Bardella, ni les contrepieds successifs des représentants lepénistes. Mais dans les derniers jours, le vernis se craquelle. La vitrine polie du parti à la flamme est entachée par des révélations successives sur les profils de ses candidats. Complotisme, racisme, antisémitisme, incompétence. Revoilà les failles historiques du RN révélées au grand jour. Et avec elles, la résurrection soudaine du barrage républicain, et les désistements, en cascade, des candidats de droite, de gauche et du centre dans les triangulaires.
La tradition a la vie dure, et le cordon sanitaire, pourtant usé jusqu’à la corde, résiste. Résultat : le RN emprunte le toboggan, et passe d’une possible majorité absolue à la troisième place au soir du second tour, derrière l’alliance de la gauche et celle du bloc central. Et revoici Jordan Bardella forcé d’endosser le costume de l’opposant marginalisé et de dénoncer une “alliance du déshonneur”, lui qui rêvait quelques jours plus tôt de cohabitation.
Le 8 juillet, au matin, le bilan pour le RN est revu à la baisse : 126 députés, élus sous la seule étiquette RN, et 17 élus sous la double étiquette LR-RN. Un total, donc, de 143 élus. C’est toujours 54 de plus qu’il y a deux ans, au moment des élections législatives de 2022. C’est bien moins que ce que les lepénistes espéraient au soir du premier tour. C’est la preuve, surtout, que le plafond de verre résiste toujours.
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