Ne dites pas à Emmanuel Macron qu’il a raté son pari de la dissolution. “Personne ne l’a emporté”, écrit le chef de l’Etat dans sa lettre aux Français publiée mercredi 10 juillet dans la presse quotidienne régionale. Traduisons-le : tout le monde a perdu, personne n’a gagné. Comme c’est plus facile de faire ce constat que d’écrire : j’ai perdu. D’ailleurs, soulignent les proches du président, “c’est le Premier ministre qui a dit tous les quatre matins qu’il était le chef de la campagne”. Gabriel Attal ne manque pas une occasion de dire que ce n’est pas lui qui a dissous ? Emmanuel Macron ne manquera pas une occasion de dire que ce n’est pas lui qui a échoué… Puisqu’on vous dit que le président est en surplomb et pas qu’Emmanuel Macron a du plomb dans l’aile.
“Tu casses, tu répares”, avait prévenu Gabriel Attal dans sa déclaration de politique générale. “Je casse, tu répares”, semble penser, dire et écrire Emmanuel Macron. Dimanche 7 juillet à l’Elysée, second tour des législatives, ambiance de défaite ? Ambiance de conquête au contraire ! C’est donc le moment d’en profiter. Non pas pour reconstruire mais pour laisser les autres s’entre-déchirer. Avant de sauter dans l’avion direction le sommet de l’Otan, le voici qui dépose sur le guéridon des oppositions et des Français une missive. Quelques lignes anodines ? “Il provoque une crise de régime”, tempête un ami. Energie retrouvée.
Le soir du second tour, le chef de l’Etat a bien failli croire – une minute, pas plus – les froussards qui lui disaient qu’il ne pourrait pas refuser le Premier ministre du Nouveau Front populaire. “Il faut une prise de parole rapide pour ne pas subir celle du NFP”, ont plaidé ceux qui, à l’Elysée l’entouraient. Il n’avait pas songé à écrire noir sur blanc “les conclusions à tirer” du scrutin. Pas envisagé de rappeler le b.a.-ba : “Je suis à la fois protecteur de l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions et du respect de votre choix.” Pas réfléchi que dans la vie, dans la sienne, il suffit de provoquer une dissolution, des législatives anticipées, et de conclure : “Je déciderai de la nomination du Premier ministre”, pour que leurs résultats soient ainsi balayés. Parfois, le pouvoir fait oublier les évidences !
Et même l’évidence électorale. “Il y a une indécence qui consiste à dire que nous avons résisté alors que l’écrasante majorité des Français a souhaité que le président perde” : ce n’est pas un responsable de gauche qui l’avance, c’est l’un des principaux ministres du gouvernement Attal. Si la première étape de “la nouvelle culture politique française” que le président appelle de ses vœux passe par la reconnaissance de l’échec électoral, c’est raté.
“Un changement total de logique”
Emmanuel Macron n’a pas respecté l’article 12 de la Constitution avant de procéder à la dissolution, que va-t-il faire de l’article 8 qui stipule que “le président de la République nomme le Premier ministre” ? Quand il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale, le choix du chef de l’Etat est entièrement libre. Quand une majorité absolue opposée au président existe chez les députés, il est entièrement contraint. Et cette fois, comment agir ?
“C’est à la lumière de ces principes [autour desquels il appelle les forces républicaines à se rassembler] que je déciderai de la nomination du Premier ministre”, précise-t-il dans sa lettre aux Français. Traduisons-le, cette fois grâce à l’aide d’un de ses conseillers : “Il y a trois minorités pour le moment, il nommera un Premier ministre quand on aura une majorité.”
Ce n’est pas demain la veille. Emmanuel Macron dit vouloir laisser du temps au temps, selon la fameuse formule mitterrandienne – en 1986, après des législatives perdues, François Mitterrand fit en réalité tout l’inverse : à peine 24 heures après les élections, il intervint à la télévision pour annoncer qu’il nommerait un chef du gouvernement issu de la nouvelle majorité. Aujourd’hui, Emmanuel Macron est obligé de se plier à une nouvelle interprétation du fameux article 8. “Le Premier ministre sera chef de la majorité qui émergera, explique l’Elysée. Ce sera donc une co-construction même si la nomination est le fait du président. Cela implique un changement total de logique : il s’agit de raisonner en termes de barycentre plutôt que de force majoritaire.”
70 heures depuis la fin du scrutin, et cinquante nuances, au moins, de tergiversations. Il n’a peut-être pas perdu, mais il ne sait plus où il habite. Depuis dimanche soir, Emmanuel Macron reste fidèle à la ligne définie le 9 juin à 21 heures, au moment de l’annonce de la dissolution : surtout ne rien avoir anticipé. Les ministres n’en reviennent toujours pas d’avoir entendu le président leur demander, une heure après avoir appuyé sur le bouton renvoyant les députés devant les électeurs : “Vous avez 48 heures pour me donner des idées pour la plateforme législative.”
“Apportez-moi un plateau de charcuterie avant que je vous mange vous !”
L’improvisation a ses limites. Alors mardi soir, avant de décoller pour Washington, Emmanuel Macron a ré-atterri. Retour au classique. Cette fois, il a accordé plus d’une minute trente téléphonique à Gérard Larcher. Un rendez-vous institutionnel, enfin – peut-être les deux hommes ont-ils même savouré ensemble un verre de Givry. Il faut dire que le chef de l’Etat a tant à se faire pardonner depuis que le président du Sénat a lu dans la presse que l’homme d’affaires Bernard Arnault avait été averti avant lui de la dissolution… Et que dire de son entrevue avec le jeune et aimable Julien Denormandie que le locataire de l’Elysée a cru pertinent de lui envoyer durant l’entre-deux-tours – “émissaire institutionnel”, précise-t-on au Palais pour donner un peu d’épaisseur à ce choix – pour l’amadouer et envisager de construire la suite ensemble ? L’ancien ministre macroniste serait sorti de là un peu sonné, constatant : “C’est difficile de l’attraper…” Belle sincérité. Un ancien membre des Républicains, qui connaît bien le patron LR des sénateurs, essuie une larme en imaginant ce dernier s’exclamer devant l’affable Denormandie : “Apportez-moi un plateau de charcuterie avant que je vous mange vous !”
Oui, c’est évident, Emmanuel Macron n’est jamais mieux servi que par lui-même. Face à cet interlocuteur madré, il dévoile, cette fois, le plan qu’il a en tête : prendre son temps. Accepter après le conseil des ministres du vendredi 12 juillet la démission de Gabriel Attal, conserver jusqu’à la fin des Jeux olympiques un gouvernement chargé d’expédier des affaires courantes, puis nommer à la fin de l’été un Premier ministre. Parce que le président sait que la création d’une coalition, alliance programmatique, plateforme, appelez-la comme vous voulez, passera par le rapatriement de députés de droite, il rassure Larcher : sa volonté n’est pas de se laisser tordre le bras par la gauche, il entend bien trouver pour Matignon une espèce de Jean Castex, un Premier ministre inattendu, peut-être issu de la société civile et capable de piloter un gouvernement proposant des textes pouvant être votés par une partie de l’hémicycle.
“Un an, c’est trop court”
Gérard Larcher pourrait-il être froissé que son nom ne soit pas évoqué ? Moins que jamais à en croire ce ministre de droite qui se remémore sa dernière conversation avec le sénateur, un mois avant les élections européennes. A la question de son envie d’entrer à Matignon, il avait rétorqué : “Un an, c’est trop court.” Certitude de la fugacité de la mission. Certitude de l’immobilisme présidentiel ?
Xavier Bertrand n’est pas le deuxième personnage de l’Etat, celui qui remplace le président en cas de mandat interrompu, il n’a donc pas ces problèmes de riche. Lorsqu’il avait échangé avec Gérard Larcher fin avril, il lui avait expliqué être sur une autre “trajectoire” que celle de Matignon. Tout a changé. “Il apparaît même à la télévision avec une cravate repassée”, s’amuse un ministre. Michel Barnier n’a pas davantage ces problèmes, qui n’exerce plus de mandat. Alors depuis quelques jours, il multiplie, lui aussi, les échanges et il accélère encore au fur et à mesure que la gauche s’apprête à sortir un nom pour Matignon. En lien constant avec Gérard Larcher, il discute avec Bruno Le Maire, François Bayrou, Valérie Pécresse, Jean-François Copé, Renaud Muselier, Aurélien Pradié. Que le prochain Premier ministre n’ait pas appartenu à la majorité présidentielle d’hier serait logique, reconnaissent certains proches d’Emmanuel Macron. Ce qui laisse François Bayrou à ses rêves de bâtisseur de ponts – mais seulement à ses rêves. Que cent leurres s’évanouissent.
Les Jeux olympiques approchent, ce grand rendez-vous que la France a donné au monde et dont Emmanuel Macron vantait chaque jour ou presque l’avènement. Il n’y aura pas de véritable Premier ministre ? Un macroniste de la première heure vient de relire Victor Hugo en pensant au président : “Il allait la tête haute et à travers toute broussaille jusqu’au bout de la chose absurde.”
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