Des “concerts Coca-Cola”. Des porteurs de la flamme Coca-Cola. Un Coca-Cola food court, des fontaines de Coca, des “villages Coca”, des publicités Coca, des athlètes soutenus par Coca, du Coca pour les sportifs et les officiels… Premier partenaire des JO, loin devant les autres mécènes, la multinationale américaine va repeindre Paris à ses couleurs cet été, comme l’ont fait toutes les autres villes olympiques avant la capitale française. Entre Coca-Cola et les Jeux, l’histoire d’amour dure depuis 1928. L’entreprise créée par le pharmacien John Pemberton cherchait alors à se faire connaître en Europe : elle livra mille caisses de son soda aux athlètes et aux spectateurs. Par la suite, le soutien de Coca-Cola à l’événement le plus médiatisé de la planète ne s’est plus jamais démenti.
Une question d’image et de visibilité : les JO sont un incomparable “accélérateur de business”, comme le rappelait récemment Claire Revenu, la directrice générale Paris 2024 de Coca-Cola. La firme assure aussi vouloir “porter la magie des Jeux au plus grand nombre”, ou encore profiter de l’événement parisien pour “montrer qu’une économie circulaire des emballages est possible”. Mais l’intérêt du groupe d’Atlanta pour le sport ne se limite pas aux JO. Il sponsorise également une liste toujours plus longue de compétitions, dans toutes les disciplines : football, rugby, tennis, judo, voile, tennis… “C’est une constante dans la communication de Coca, une sorte de message subliminal visant à mettre l’accent sur le sport comme le moyen de compenser les risques liés à la consommation de leurs produits contenant des grandes quantités de sucre et de lutter contre l’épidémie d’obésité”, décode le Pr Serge Hercberg, ancien président du Programme national nutrition santé.
L’objectif est limpide : faire de la prise de poids une responsabilité individuelle. Si vous êtes gros, c’est que vous ne bougez pas assez. “De multiples travaux de chercheurs et documents internes à la firme ont démontré que cette promotion de l’activité physique représente une stratégie délibérée pour minimiser le rôle de l’alimentation en général, et de la malbouffe et des sodas en particulier, dans le surpoids”, rappelle Mélissa Mialon, professeure junior Inserm à l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes. Un message en réalité assez pernicieux car, contrairement à une idée reçue, l’activité physique en général et le sport en particulier ne font pas maigrir. Ou, en tout cas, pas beaucoup.
Marcher 30 minutes fait perdre 150 calories
“Nous avons mené une large revue de la littérature scientifique, abondante sur cette question : il est désormais bien démontré que l’activité physique a un effet sur le poids, mais que celui-ci reste limité, de l’ordre de deux à trois kilos en moyenne, même s’il existe une forte variabilité interindividuelle”, résume le Pr Jean-Michel Oppert, chef du service de nutrition de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), à Paris. Première explication, le volume d’activité nécessaire pour causer un déficit calorique suffisant s’avère très important. “En marchant trente minutes, on perd 150 calories environ, quand un adulte de 70 kilos en dépense déjà 1500 pour son métabolisme de base (NDLR : le fonctionnement de son organisme), auquel il faut rajouter 20 à 30 % pour l’activité physique du quotidien. Quelque 150 calories, c’est donc très peu, et dans la vraie vie, la plupart d’entre nous ne peuvent pas consacrer plusieurs heures par jour au sport”, poursuit le Pr Oppert.
Ensuite, de puissants mécanismes de compensation se mettent en œuvre. Après plusieurs millénaires de nourriture peu abondante, voire de disette, le corps humain a évolué pour défendre ses réserves. “On ne comprend encore pas tout dans le détail, mais on sait qu’en vidant le sucre stocké dans les muscles, des signaux de stress énergétique sont envoyés au cerveau. Ces hormones vont y stimuler la sensation de faim”, indique Cédric Moro, directeur de recherche Inserm à l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires de Toulouse.
Non content d’augmenter les apports, notre corps pourrait déclencher un deuxième mécanisme d’adaptation, en réduisant ses dépenses. Longtemps, les spécialistes ont cru que plus on se montrait actif, plus on développait ses muscles, et plus la dépense énergétique augmentait, y compris au repos. Mais l’utilisation d’une technologie de pointe, l’eau doublement marquée, est venue récemment bouleverser ces représentations. En faisant ingérer à des individus de l’eau enrichie de deux isotopes non radioactifs, puis en suivant son élimination par les urines, il est possible de déterminer la quantité de gaz carbonique produite, elle-même l’exact reflet de notre consommation d’énergie. Des travaux menés par un consortium international de chercheurs suggèrent que, loin du modèle “additif” longtemps de mise, notre organisme réduirait son métabolisme de base quand il est bousculé par de l’activité physique en quantité importante.
Pour perdre du poids, un “rééquilibrage alimentaire” reste la clef
Ces résultats, récents, restent très discutés au sein de la communauté scientifique. Mais ils pourraient contribuer à expliquer pourquoi l’aiguille de la balance bouge peu, même quand on passe des heures à suer à la salle de sport. Pour mincir, un “rééquilibrage alimentaire”, autrement dit le maintien d’une alimentation équilibrée, sans privation mais sans excès, dans la durée, reste la clef. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que l’activité physique ne sert à rien. “Le sport contribue à ne pas prendre de poids et il aide aussi à ne pas regrossir. C’est très important car on sait qu’il est difficile de maintenir une perte de poids dans la durée”, constate Audrey Bergouignan, directrice de recherche CNRS à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien à Strasbourg. Le sport et l’activité physique au sens large sont également indispensables pour rester en bonne santé, et prévenir les infarctus, les AVC, le diabète voire les cancers.
Pour autant, bouger ne permet pas de compenser les conséquences néfastes pour notre organisme d’un apport excessif de sucre. Au-delà de la prise de poids, le sucre a des effets propres sur la santé : syndrome métabolique, dyslipidémie, athérosclérose, qui font le lit des maladies cardiovasculaires et du diabète. “Des centaines d’études épidémiologiques le documentent, indépendamment d’autres variables dont l’activité physique”, souligne Serge Hercberg. Et c’est encore plus vrai pour les sodas. “Ces calories liquides ne déclenchent pas les mécanismes habituels de la satiété, donc on a tendance à en avaler beaucoup, et à ne pas manger moins pour autant”, souligne Cédric Moro. Seule exception, les athlètes, justement. “Ils consomment énormément de sucre sans connaître ces problèmes de santé, mais ce constat n’est absolument pas applicable aux niveaux d’activité physique que l’on retrouve dans la population générale”, insiste Audrey Bergouignan.
Faut-il alors se reporter sur des boissons “light”, où des édulcorants remplacent le sucre ? Différentes études basées sur la cohorte française Nutrinet-Santé ont montré une association entre la consommation de certains de ces faux sucres et un risque accru de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de cancers. L’Organisation mondiale de la santé a par ailleurs classé l’aspartame comme “peut-être cancérogène pour l’homme”. Pour autant, les nutritionnistes ne vont pas jusqu’à demander l’interdiction des sodas. Ils souhaiteraient juste en limiter la consommation – et donc la promotion. Le Haut Conseil de la santé publique recommande depuis déjà plusieurs années d’encadrer la publicité pour les produits trop gras et trop sucrés. Et notamment d’empêcher les opérations de sponsoring ou de parrainage d’événements. Un avis qui, visiblement, ne pèse pas bien lourd face aux millions d’euros de Coca-Cola.
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