C’est l’un des producteurs de batteries les plus prometteurs en Europe. Las. Depuis plusieurs mois, le suédois Northvolt enchaîne les déconvenues. Retards de livraison et problèmes de qualité ont conduit le constructeur automobile allemand BMW à annuler la grosse commande qu’il avait passée auprès du jeune fabricant européen. Pire, le quotidien Dagens Nyheter a fait état de plus d’une vingtaine d’accidents graves en cinq ans dans l’usine de Northvolt située au nord-est de la Suède. Acculé, son PDG, Peter Carlsson, a admis avoir “été un peu trop agressif dans ses projets d’expansion”.
Peu avant, ACC, la coentreprise entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, avait décidé de mettre en pause ses projets d’usines en Allemagne et en Italie. La montée en puissance de l’industrie des batteries sur le Vieux Continent est loin d’être un fleuve tranquille. Mais les difficultés actuelles ne devraient pas empêcher les acteurs européens de capter une partie d’un marché jusqu’à présent ultra-dominé par l’Asie et la Chine, estime Christophe Pillot, le directeur d’Avicenne Energy, un cabinet de consulting qui organise chaque année un grand raout dédié aux batteries à Lyon… Sous réserve que l’Europe poursuive les mesures de soutien et de protection de cette industrie naissante.
L’Express : Northvolt rencontre de nombreuses difficultés. Le fabricant suédois de batteries a renoncé à une nouvelle usine, perdu une commande de BMW… Le franco-allemand ACC a mis en pause ses projets en Allemagne et en Italie. Comment expliquez-vous les difficultés que traversent ces représentants de l’industrie européenne des batteries ?
Christophe Pillot : Les difficultés de Northvolt et d’ACC ne sont, à mon avis, pas de même nature. Pour le premier, les nouvelles sont effectivement mauvaises puisque le groupe ne parvient pas à produire des batteries qui correspondent à ce qu’ils ont promis à leurs clients, d’où l’arrêt du contrat de BMW qui atteignait près de 2 milliards d’euros. Un autre élément à prendre en compte dans le cas de Northvolt tient à l’attractivité des Etats-Unis. Avec les subventions promises dans le cadre de l’IRA, il devient plus intéressant pour des groupes comme Northvolt d’investir aux Etats-Unis qu’en Europe. C’est ce qui explique qu’un autre groupe scandinave, Freyr, ait quitté la région.
Le coup de frein chez ACC tient en revanche au fait que la plupart des fabricants de batteries sont partis sur la technologie NMC [nickel, manganèse et cobalt, NDLR] alors que les groupes automobiles réclament aujourd’hui des batteries LFP [lithium, fer, phosphate, NDLR]. Comme d’autres, le groupe se demande aujourd’hui s’il est en mesure de produire cette nouvelle technologie dans ses futurs sites en Allemagne et en Italie.
Les fabricants chinois dominent la technologie LFP. Les acteurs européens peuvent-ils faire évoluer leurs productions ?
Il n’est pas si compliqué de produire des batteries LPF à la place des versions NMC. Pour les fabricants européens, le vrai problème est celui de l’approvisionnement, dans la mesure où ils ont sécurisé tous leurs besoins pour des batteries NMC et doivent basculer sur le LFP. Sachant qu’il semble difficile de localiser une chaîne d’approvisionnement de matériaux pour batteries LFP en Europe, dans la mesure où les composants utilisés dans de telles batteries sont vendus à des prix défiant toute concurrence.
Nous avons fait des calculs : la production de cathodes pour batteries LFP restera 30 % plus élevée en Europe qu’en Chine, même avec tous les avantages possibles. Non seulement, il faudrait financer le Capex, c’est-à-dire les dépenses d’investissement, mais aussi l’Opex, les dépenses d’exploitation, de ces sites de production. C’est possible, mais il faudrait que les pays européens trouvent une position commune. Or, certains pays comme l’Allemagne conservent de forts intérêts en Chine.
Le ralentissement des ventes de voitures électriques est-il de nature à compliquer les ambitions des fabricants européens de batteries ?
Il est vrai que Northvolt et les autres fabricants souffrent de la moindre croissance des ventes. Le temps des primo-adoptants, les fameux “early adopters”, est passé. Les constructeurs automobiles sont aujourd’hui tenus de proposer des prix acceptables, comparables aux modèles thermiques, surtout pour leur clientèle particulière. Cela étant, la voiture électrique reste un marché extrêmement porteur : nous continuons à estimer qu’il va croître de près de 30 % par an sur les dix prochaines années, ce qui reste énorme. La Chine, qui a dix ans d’avance sur l’Europe, illustre bien le fait qu’il est possible de trouver des moyens de favoriser l’adoption des véhicules électriques autrement que par des subventions, qui ont décru dans certains pays européens, comme en Allemagne. Cela peut passer par l’octroi de files spéciales pour les voitures électriques, le parking gratuit, etc.
Certains fabricants européens semblent peiner à monter en cadence. Est-ce lié à leur entrée récente sur cette activité ?
Beaucoup d’usines, comme ACC, rencontrent des problèmes de rebuts : c’était attendu. Il est très dur de monter en cadence dans l’industrie des batteries, et personne n’y échappe. Même les Coréens et les Chinois qui s’installent en Europe affichent de forts taux de rebuts à leurs débuts. C’est une industrie où la précision doit être extrême. Les réglages des machines prennent du temps. Mais à terme, les usines européennes ne devraient pas dépasser des taux de rebuts de l’ordre de 5 %.
Le renoncement, comme l’a fait Northvolt, à construire de nouvelles usines peut-il être le signe que l’industrie européenne des batteries était surdimensionnée par rapport aux besoins du marché ?
Pas du tout. On recense à peu près 1 700 gigawattheures de projets de production de batteries à travers l’Europe, en incluant les initiatives de fabricants européens et d’acteurs étrangers, notamment asiatiques. Ils n’aboutiront pas du tout : il faut avoir la technologie, l’argent et des relations privilégiées avec au moins un client, ce qui ne sera pas le cas de tous les acteurs engagés. Nous estimons donc que d’ici à 2030, l’Europe devrait disposer d’une capacité autour de 1 000 gigawattheures, et d’une production réelle qui atteindra environ 700 gigawattheures. Or, c’est moins que ce que le marché demandera à cette échéance.
Ce contexte est-il de nature à accroître la dépendance de l’Europe aux fabricants de batteries asiatiques, contrairement à ses ambitions ?
Les acteurs européens devraient tout de même prendre une part de marché significative. On ne peut imaginer être plus dépendants de l’Asie qu’on ne l’est aujourd’hui. Nous dépendons de la région pour nous approvisionner en matières premières, pour les matériaux utilisés dans les batteries et pour les machines que nous installons dans les usines européennes ! Tout l’objectif de l’Europe consiste à l’être de moins en moins. Et aussi de créer des emplois sur le territoire, d’où le fait que les gouvernements acceptent de financer les projets de certains acteurs asiatiques.
L’Europe reste-elle donc capable de bâtir une industrie de la batterie sur son territoire ?
C’est en tout cas ce qu’elle doit chercher à faire en construisant des capacités sur l’ensemble de la chaîne de valeur. A défaut de disposer de gisements de matières premières, l’Europe peut au moins imaginer réaliser leur raffinage [activité sur laquelle la Chine reste ultradominante, NDLR]. Cela étant, il faut se rendre à l’évidence : nous avons dix ans de retard sur la Chine et elle avance plus vite que nous. Si nous sommes capables de faire émerger une chaîne de valeur dans la batterie, le combat n’est pas gagné d’avance et il nécessitera un soutien public véritable. C’est important : la voiture électrique reste, à mon avis, la meilleure voie pour réduire les émissions de CO2 de l’automobile.
Plusieurs accidents mortels ont eu lieu récemment dans les usines de Northvolt et du fabricant coréen Aricell. La montée en cadence, notamment en Europe, se fait-elle au détriment de la sécurité des salariés ?
L’industrie des batteries est dangereuse, cela ne fait aucun doute. C’est pourquoi il ne faut pas négliger les questions de sécurité, ni dans les usines, ni pour le consommateur final. Toute la chaîne est concernée, que ce soit la production, le transport et le stockage des batteries, leur recyclage… Il reste du travail à faire pour améliorer les conditions dans les sites. En matière de sécurité, l’Europe peut et doit faire la différence avec d’autres pays producteurs, comme la Chine.
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