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Des bagarres de rue à l’Assemblée : Raphaël Arnault, la mue politique d’un antifasciste fiché S


Ces derniers temps, Raphaël Arnault est un homme difficile à attraper. “Je dois vous avouer que dernièrement je n’ai accepté que des entretiens en direct”, admet-il. Au bout du fil, on entend le bruit de fond d’un voyage en train. Arnault rentre à Avignon. “Je suis devenu méfiant, poursuit-il. Vous devinez bien pourquoi…” Pas par timidité : le nouveau député Nouveau Front populaire de la 1re circonscription du Vaucluse est tout sauf une personnalité effacée. Depuis plusieurs années, il est devenu le visage de La Jeune Garde, collectif antifasciste qu’il a cofondé à Lyon, en 2018. Avec sa silhouette efflanquée, ses tatouages et sa maîtrise des harangues par mégaphone, Arnault est une figure familière des manifestations de la capitale des Gaules.

Depuis le 7 juillet, le jeune homme est le “député fiché S”. Pendant la campagne législative, Arnault a appris qu’il était inscrit dans ce fichier des services de renseignement, qui réunit des personnes soupçonnées de terrorisme, mais aussi des militants politiques radicaux. Ce fichage policier n’implique aucune accusation pénale, mais il rendait plus difficile son accès à certains lieux protégés… comme l’Assemblée nationale, où deux commandants de police effectuent des enquêtes administratives sur chaque personne invitée à se rendre au Palais Bourbon, avec toute latitude pour leur refuser l’accès aux lieux. Une mesure de prudence que son élection efface : en tant que parlementaire, Raphaël Arnault doit pouvoir accéder aux locaux comme il le souhaite. Ses nominations en commission ne dépendront d’ailleurs aucunement de son CV sécuritaire. “Il peut siéger où il le souhaite en commission, assure Olivier Renaudie, professeur de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne. Mais il pourrait être politiquement délicat de le voir siéger au sein de la commission défense et renseignement.”

En 2018, 30 000 individus étaient fichés S, dont 3 000 à l’ultragauche, comme lui. On les soupçonne d’un penchant pour les actions violentes. “Comme je l’ai déjà dit, je n’étais pas au courant, et je n’ai pas vocation à le savoir”, coupe-t-il. Une pointe d’agacement perce. Depuis un mois, Arnault se contorsionne pour afficher une posture calme et aimable. L’ex-bagarreur de rue serait en voie de devenir un pacifique notable. A son entrée à l’Assemblée nationale, le 9 juillet, il avait troqué jean et tee-shirt pour un costume beige et une chemise à col mao. Un look d’enfant sage pour celui qui veut désormais incarner le côté cool de l’antifascisme. “Je ne suis pas un violent, assure-t-il. On utilise cette histoire de fiche S pour me nuire.” En février 2022, le tribunal correctionnel de Lyon l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violences en réunion. Un homme soupçonné d’être un militant d’extrême droite a été agressé dans une rue lyonnaise. Le nouveau député a fait appel et reste présumé innocent.

Télérama, Attac et les Guignols

Arnault se raconte volontiers en commençant par l’enfance, avant les années “Jeune Garde”. S’il y a eu un avant, pourquoi n’y aurait-il pas un après ? Il grandit à Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse, au sein d’une famille “pas militante”, mais de gauche. Une grand-mère “soixante-huitarde et féministe”, des parents cadres, “issus d’un milieu populaire, élevés par les études”. On y lit Télérama et on y regarde Les Guignols de l’info. En bref, une famille avec “un capital culturel fort”, résume-t-il, invoquant la notion de Pierre Bourdieu découverte au lycée, pendant son cursus de sciences économiques et sociales.

A l’époque, le futur antifasciste ne l’est pas encore tout à fait. Quelques formations à l’ONG anticapitaliste Attac, beaucoup de recherches sur Internet. Et puis ces manifestations contre la réforme des retraites en 2010, avec sa mère – il dit “avec maman”. L’extrême droite parade et fait monter la frustration du jeune Lyonnais. “C’était un premier déclic : des types faisaient des saluts nazis et fonçaient sur le cortège syndical”, raconte-t-il.

La transformation du jeune militant de gauche en castagneur en chef est en route. Deuxième déclic : quand de plus en plus de ses camarades “sont séduits par l’antisémitisme de Soral et Dieudonné”, il côtoie les jeunesses communistes et s’identifie à Clément Méric, militant antifasciste tué en 2013 à Paris par un groupe de skinheads. A partir de 2014, il intègre Lyon II et fait le tour des librairies anarchistes lyonnaises. Il assiste à des conférences données par des soldats antifas yézidis de retour du front face à l’Etat islamique. “En étant opposés à Daech, les Kurdes menaient un combat contre un suprémacisme construit autour de l’islam. J’ai vu comment un processus révolutionnaire pouvait se mettre en place en le combattant, s’enflamme-t-il. S’ils pouvaient le faire dans des conditions terribles, là-bas, nous le pouvions aussi à Lyon.”

Les manifestations contre la loi Travail, en 2016, auxquelles il participera aux côtés des militants du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), finiront de le convaincre de la “nécessité” d’une action. “Des militants d’extrême droite nous ont attaqués. Nous étions plus nombreux qu’eux, mais avions été complètement incapables de répondre, raconte-t-il. C’est à ce moment-là que nous avons compris qu’il fallait nous organiser.” Troisième “déclic” de ce récit rôdé.

“Ils répliquent violemment”

En janvier 2018, il fonde donc La Jeune Garde avec d’autres militants, baptisée en référence aux groupes antifascistes des années 1930. Ils entendent notamment lutter contre le Bastion Social, un groupe identitaire occupant des locaux dans le quartier du Vieux-Lyon. A l’inverse des mouvements antifas déjà présents, très proches des mouvances autonome et libertaire, La Jeune Garde assure vouloir renouer avec un antifascisme “classique” – un positionnement qui entraîne des rivalités dans le petit monde des antifas. “Leur antifascisme ressemble à celui de l’entre-deux-guerres, très lié au mouvement ouvrier et au Parti communiste”, salue le sociologue Ugo Palheta, qui a animé une conférence à leurs côtés. Arnault expliquera d’ailleurs par la suite être “marxiste matérialiste”, prolongement du marxisme historique. Il le revendique encore, mais assure avant tout être “pragmatique”. “Je ne suis pas dogmatique, insiste-t-il. Il faut s’adapter à la société actuelle.” Sans doute une des clés du personnage.

Les membres de La Jeune Garde ne tardent pas à servir, avec d’autres, de service d’ordre très musclé dans les manifestations. En tant que porte-parole, Raphaël Arnault est alors une figure omniprésente de ces événements. “Il est connu sur le terrain. Je l’ai croisé et salué lors de manifestations et je l’ai appelé à la prudence, relate Rémi Zinck, maire écologiste du IVe arrondissement de Lyon. Il va quand même au contact.” En dépit de sa volonté d’afficher un antifascisme respectable, La Jeune Garde est régulièrement accusée de violences. Et Arnault ? Réponse embarrassée de Zinck : “L’extrême droite est violente physiquement donc… La Jeune Garde réplique”. Le militant est habitué à partir au quart de tour : en octobre 2023, en marge d’un hommage à l’enseignant assassiné à Arras Dominique Bernard, il assure la militante identitaire Mila que Alice Cordier, directrice du collectif féministe d’extrême droite Némésis, risque “une balle dans la tête” si elle essaye de défendre la cause kurde.

“Lutter contre l’antisémitisme”

Il doit pourtant maîtriser son langage pour remplir le but qu’il s’est fixé : polir l’image de l’antifascisme. Une fois La Jeune Garde créée, il enchaîne les médias proches de la gauche radicale : un long direct avec le vidéaste Usul ou encore une table ronde chez Streetpress, en compagnie des militants Anasse Kazib, de Révolution permanente, et Taha Bouhafs, alors proche de La France insoumise (LFI). Mais il tente aussi de rayonner au-delà. En octobre 2021, il participe à l’émission Touche pas à mon poste, dans laquelle il débat contre Juliette Briens, une militante identitaire.

“Il est passé de ‘l’extrême droite c’est mal’, à ‘il faut déconstruire son discours’, pour finir par ‘agissons politiquement contre elle'”, observe Aline Guitard, adjointe au maire du IVe arrondissement de Lyon et ex-responsable du PCF Rhône. Raphaël Arnault franchit le cap du débat politique en 2022 quand il se présente aux législatives dans la 2e circonscription du Rhône. A l’époque, déjà, il fait équipe avec sa colistière Mathilde Millat, adhérente au NPA. Ils s’opposent à Hubert Julien-Laferrière, écologiste investi par la Nupes passé par LREM, et récoltent 6,81 % des suffrages.

Depuis 2022, Arnault se rapproche du mouvement de celui qui incarne selon lui “l’espoir à gauche”, Jean-Luc Mélenchon. En octobre 2023, il participe à un colloque sur l’extrême droite à l’Institut La Boétie, le cercle de réflexion de LFI. La Jeune Garde s’affiche, aussi, en compagnie de Rima Hassan, future eurodéputée connue pour ses positions polémiques sur le conflit israélo-palestinien. Le 27 juin, huit membres de sa branche parisienne ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire pour “violences en réunion ayant entraîné une incapacité supérieure à huit jours dans un moyen de transport collectif de voyageurs en raison de la race, de l’ethnie, de la nation ou de la religion” en marge d’un meeting de la politicienne, un mois plutôt. L’enquête est toujours en cours. La Jeune Garde nie tout antisémitisme. Arnault, de son côté, attend que “l’affaire se dégonfle” et appelle “à lutter contre l’antisémitisme, présent dans notre société, y compris à gauche, ainsi que contre l’islamophobie”. “J’ai été tenu à l’écart de cette histoire, dit-il. J’étais en campagne.”

“Enorme machine” de campagne

A Avignon, où il ne disposait d’aucune attache avant d’être candidat en juin 2024, la mécanique Arnault impressionne. “Raphaël Arnault est arrivé avec une énorme machine : des mailings à n’en plus finir, des militants de LFI et de la Jeune Garde venus des quatre coins de la France pour tracter et faire du porte-à-porte. On ne pouvait pas lutter”, soupire Philippe Pascal, candidat dissident de LFI, regrettant par ailleurs “l’agressivité” de certains à l’égard de sa propre équipe.

Arrivé troisième au premier tour, il a pourtant immédiatement soutenu Arnault. “Il fallait battre le RN, explique-t-il. C’est un type intelligent. Quand on est intelligent, on ne reste pas sur la radicalité de ses jeunes années.” A l’Assemblée, le néodéputé promet pour l’instant de ne pas faire d’éclats. Assistant d’éducation à la ville, il entend siéger au sein de la commission éducation et culture. “Elle touche aux questions de jeunesse, de sport et de médias qu’il faut porter face aux députés du RN”, explique-t-il. Après la rue et les urnes, l’antifascisme… à l’Assemblée nationale.




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