Son accueil était à la hauteur de la frayeur ressentie par ses partisans deux jours plus tôt lorsqu’il est passé à quelques centimètres de la mort. Arrivé en fanfare, pansement sur l’oreille, à la convention républicaine à Milwaukee lundi soir, c’est un Donald Trump combatif et le poing levé qui a été accueilli sous les longues acclamations du public. Le même geste que celui exécuté samedi, le visage ensanglanté, quelques secondes après avoir échappé à une tentative d’assassinat lors de son meeting à Butler en Pennsylvanie, et dont l’image, aussitôt passée à la postérité, a fait le tour du monde.
En dépit de l’onde de choc provoquée par cette attaque inqualifiable, ce symbole, trop beau pour ne pas être exploité, a très vite été mis à profit par les partisans du milliardaire pour alimenter une campagne construite depuis des mois sur le thème de la victimisation et de la persécution politique de Trump. “Ils ont essayé de le mettre en faillite. Ils ont essayé de le calomnier. Ils ont essayé de l’emprisonner. Maintenant, ils ont essayé de le tuer, mais si Dieu le protège, ils n’y parviendront jamais”, a psalmodié, sans préciser davantage à qui ce “ils” faisait référence, son ancien secrétaire au Logement, Ben Carson, sur X, moins de deux heures après l’attaque.
Le storytelling du martyr
Habitué de longue date à se présenter comme la victime d’un “harcèlement” aussi bien politique, médiatique que judiciaire, Donald Trump n’a eu de cesse ces derniers mois d’alimenter un storytelling le décrivant dans une lutte perpétuelle contre les complots et autres coups bas d’un système cherchant à l’évincer à tout prix de la course à la Maison-Blanche. “Ils ont lancé des chasses aux sorcières les unes après les autres pour tenter d’arrêter notre mouvement et de contrecarrer la volonté du peuple américain”, avait-il déclaré aux prémices de sa campagne, en juin 2023, en marge de ses ennuis judiciaires, avant d’ajouter à l’intention de ses supporters : “En fin de compte, ce n’est pas à moi qu’ils s’en prennent. Ils s’en prennent à vous – et je ne fais que leur barrer la route”.
“Cette tentative d’assassinat est terrible, mais il faut admettre que Trump pourrait en tirer parti, constate Françoise Coste, auteure de Reagan (Perrin) et historienne spécialiste du Parti républicain. Elle lui offre l’occasion de nourrir la rhétorique qu’il défend depuis des années, selon laquelle il est l’ennemi du système et de l’establishment.” Donald Trump n’a pas perdu de temps. Réagissant lundi 15 juillet à l’annulation de l’ensemble de la procédure fédérale contre lui pour rétention de documents classifiés, le milliardaire a immédiatement appelé au rejet de “TOUTES les chasses aux sorcières”, à savoir les trois autres procédures pénales à son encontre. “Le ministère de la Justice démocrate a coordonné TOUTES ces attaques politiques, qui sont une conspiration pour interférer électoralement contre l’adversaire politique de Joe Biden, MOI”, a-t-il ajouté.
Posture messianique
Deux jours plus tôt, juste après l’attaque, de nombreux responsables républicains s’étaient empressés d’accuser les démocrates d’avoir préparé le terrain à cette tentative d’assassinat à travers leurs critiques contre l’ex-président. “Le postulat central de la campagne Biden est que le président Donald Trump est un fasciste autoritaire qu’il faut arrêter à tout prix. Cette rhétorique a conduit directement à la tentative d’assassinat du président Trump”, avait dénoncé, le jour même, le sénateur de l’Ohio J.D. Vance, choisi lundi pour être son vice-président en cas de victoire.
D’autres n’ont pas hésité à souffler sur les braises du complotisme – même si à ce stade, l’enquête n’a pas démontré que Thomas Crooks, l’auteur des coups de feu, était un fervent partisan de Joe Biden. “Je me pose beaucoup de questions sur la façon dont ce jeune homme de 20 ans a presque réussi à assassiner le président Trump tout seul. Cela laisse présager quelque chose de beaucoup plus sinistre et de plus grand”, a dénoncé sur X la représentante de Géorgie, Marjorie Taylor Greene, accusant les démocrates de “fantasmer à voix haute sur l’assassinat de Trump depuis des années”.
Profitant de sa nouvelle aura de miraculé, le candidat à la Maison-Blanche esquisse en tout cas déjà une posture quasi-messianique, après avoir déclaré au lendemain de l’attaque que “c’est Dieu seul qui a empêché l’impensable de se produire.” Une rhétorique largement partagée dans son entourage. La veille, sa belle-fille Lara Trump avait publié sur X une image de Jésus, les mains posées sur les épaules du milliardaire. “Cela alimente son récit providentialiste destiné à séduire les évangéliques, pointe Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin, spécialiste de la politique américaine. C’est toujours bon à prendre, même s’ils sont déjà largement acquis à sa cause.” Pourrait-il en profiter pour durcir encore son programme ? “Il aurait plus intérêt à se crédibiliser et à jouer l’apaisement afin de séduire davantage l’électorat se trouvant au centre de l’échiquier politique. Faire le boutefeu ne parlera qu’à sa base, qui lui est déjà acquise”, reprend Lauric Henneton.
Dans un cas comme dans l’autre, toute la difficulté est maintenant pour ses adversaires démocrates de parvenir à concilier la poursuite de la campagne et la dénonciation de l’attentat contre Trump. “Après avoir condamné la violence et adressé leur soutien à Donald Trump, il va leur être difficile d’embrayer en disant qu’il s’agit d’un futur dictateur et qu’il ne faut surtout pas voter pour lui, souligne Françoise Coste. Il y a une contraction entre ces deux discours qui sont, de facto, difficilement conciliables.” Lors d’une interview lundi à la chaîne NBC, Joe Biden n’a ainsi eu d’autre choix que de faire son mea-culpa, en reconnaissant avoir fait une “erreur” lorsqu’il avait appelé à “cibler” son adversaire, le 8 juillet, durant un dîner avec des donateurs. En réchappant à l’attaque, Donald Trump a peut-être trouvé son meilleur totem d’immunité.
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