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Le climat aura-t-il la peau de nos règles budgétaires ? Les prévisions des économistes

C’est ce que l’on appelle un dialogue de sourds. Invitée sur un plateau télé juste avant les élections législatives pour clarifier la position d’un Nouveau Front populaire prêt à bafouer les règles budgétaires européennes, Marine Tondelier botte en touche… à trois reprises. Au lieu de répondre clairement à la question “Allez-vous remettre en cause les traités ?”, la secrétaire nationale des Ecologistes esquive, préférant évoquer le mauvais bilan d’Emmanuel Macron en matière de finances publiques, ou encore le combat que la gauche entend mener contre la pauvreté ou pour le climat. Pas question de faire peur aux Français ou de renvoyer l’image d’un programme peu crédible. Les pays de la zone euro viennent à peine de réviser – à la marge – les fameuses contraintes du pacte de stabilité, après des mois de négociations difficiles. Par ailleurs, la Cour des comptes s’alarme de l’état des finances publiques françaises.

Mais les élections étant passées, la tête d’affiche des Verts fera sans doute preuve, désormais, de moins de pudeur. Car dans le monde des économistes, la question de nouvelles règles budgétaires se pose avec de plus en plus d’insistance. Non en raison du programme dispendieux de la gauche, mais à cause du réchauffement de la planète, qui pourrait obliger l’ensemble des pays européens à demander des marges de manœuvre financières supplémentaires. C’est en tout cas l’idée principale d’un rapport publié par l’ONG Finance Watch ce mardi 16 juillet. Thierry Philipponnat, son chef économiste, précise : “Nous entrons dans un monde où les déficits et les dettes publiques seront plus importants qu’avant. Or, le monde économique et politique n’est pas prêt.”

Un discours de gauche ? L’expert, qui a passé près de dix ans dans les hautes sphères de l’Autorité des marchés financiers (AMF), n’a pas vraiment le profil d’un militant écolo. “L’impact économique du changement climatique est totalement sous-évalué”, poursuit-il, dans une analyse qui se veut en dehors des courants politiques. D’un côté, les climatologues s’attendent à un réchauffement de la planète de 3 degrés d’ici à la fin du siècle. Cela signifie que des pans entiers de notre société vont se retrouver en difficulté en raison des inondations, de la chaleur, des effets de la transition sur l’emploi, sans parler des menaces sur le commerce, des conflits armés et des vagues de migration. Pourtant, les études émanant des économistes évoquent un impact d’un ou deux points de PIB à échéance de cinquante ans. Pas vraiment de quoi faire peur aux décideurs.

Des coûts largement sous-estimés

“Certaines déclarations sont même exagérément trompeuses. Selon William Nordhaus, Prix ‘Nobel’ d’économie en 2018, une augmentation de la température comprise entre 2,7 et 3,5 degrés correspondrait à un niveau d’adaptation optimal pour l’économie mondiale !” déplore Thierry Philipponnat. Il n’y aurait donc pas grand-chose à craindre. Et l’humanité pourrait s’adapter à ce réchauffement, moyennant des investissements modestes. Ces travaux sont aujourd’hui fortement contestés. Dans un rapport récent, l’Agence européenne pour l’environnement liste 33 risques différents pour l’économie, tous liés au changement climatique. Un seul d’entre eux – la hausse du niveau des océans – pourrait coûter 1 000 milliards d’euros par an à l’Europe, soit 6 % du PIB de la zone !

“En France, le rapport Pisani-Mahfouz chiffre les besoins d’investissement à 66 milliards d’euros par an, mais c’est une estimation basse, complète Clara Leonard, directrice générale et cofondatrice de l’Institut Avant-garde. Ces travaux ne prennent pas en compte tous les coûts liés au changement climatique : protection de l’environnement, facture laissée par la multiplication des événements météorologiques extrêmes, coût de la recherche et de l’innovation pour essayer de trouver des solutions technologiques, aide financière pour les perdants de la transition.”

Selon les données les plus précises à ce jour, les besoins pour l’adaptation au changement climatique et son atténuation au sein de l’UE atteindraient un montant annuel compris entre 800 et 1 600 milliards d’euros, soit entre 5 et 10 % du PIB du Vieux Continent. Une facture gigantesque. Le hic ? Le secteur privé ne pourra en prendre qu’une partie limitée à sa charge, de nombreux projets liés à la transition n’étant pas rentables. Construire des digues pour protéger une ville de la montée des eaux ou connecter un stade au réseau électrique national afin d’éviter d’utiliser des groupes électrogènes sont des mesures utiles d’un point de vue climatique, mais elles coûtent cher et ne génèrent aucun chiffre d’affaires. “Selon nos estimations, le secteur privé prendrait en charge 30 % environ des investissements nécessaires”, rapporte Thierry Philipponnat. Et encore, il faudrait pour cela que l’UE bénéficie d’un marché de capitaux unique permettant aux entreprises innovantes de lever plus de fonds, comme aux Etats-Unis. Or, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies.

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Déroger aux fameux critères de Maastricht ?

“Arrêtons de nous raconter la jolie histoire sur les capitaux privés qui vont prendre en charge le financement de la transition”, conclut le chef économiste de Finance Watch. Auteur d’un rapport récent sur l’avenir du marché unique, l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta tire lui aussi la sonnette d’alarme : “Les investissements que l’on a à faire ne sont pas uniquement dirigés par des considérations financières.” Sous-entendu, le secteur public devra payer l’essentiel de la note, alors qu’il est déjà lourdement endetté. Comment faire ?

Pour financer ses mesures phares, le Nouveau Front populaire envisage déjà de déroger aux fameux critères de Maastricht sur la dette et le déficit. Cette option est également examinée par certains économistes, à la différence près qu’ils regardent plus loin qu’un mandat électoral. “Les règles actuelles sont très contraignantes, reconnaît Jérôme Creel, directeur du département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Si un pays veut faire des investissements dans la transition écologique, il va falloir qu’il coupe encore plus dans d’autres types de dépenses. Cela peut être la santé, l’éducation, le social. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’une bonne chose, surtout dans une période où l’activité économique reste assez faible.” Il faudrait donc sortir une partie des dépenses des limites à respecter. “On pourrait dire, par exemple, qu’on préserve 40 % des dépenses vertes car elles œuvrent en faveur du bien commun. Idem pour celles liées à la défense européenne.”

Bien sûr, tout cela est plus facile à dire qu’à faire, reconnaît l’expert. Les pays européens devraient s’entendre sur la liste des investissements stratégiques et convaincre les plus frugaux d’entre eux de participer au système. “Pour l’instant ce n’est pas envisageable. On vient à peine de confirmer les limites actuelles – 3 % du PIB pour le déficit et 60 % pour la dette. Mais je suis convaincu qu’à un moment il faudra rouvrir ces discussions, parce que tout le monde sera coincé”, estime Thierry Philipponnat.

“Il faut des garde-fous”

Nombre d’économistes libéraux alertent sur les risques d’une telle stratégie. “Il faut garder des contraintes budgétaires, avertit Christian Gollier, directeur général de l’Ecole d’économie de Toulouse. Avant l’union monétaire, un programme comme celui du Nouveau Front populaire aurait entraîné un déficit de la balance des paiements et conduit à une dévaluation de la monnaie. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Au sein de la zone euro, l’irresponsabilité financière d’un Etat est partagée avec les pays voisins. On l’a vu avec la crise de la dette grecque. L’ensemble des Etats portent ensemble les conséquences économiques. Il faut donc des garde-fous.”

A la révision des seuils de dette et de déficit, l’auteur du Climat après la fin du mois (PUF, 2019) préfère donc l’idée d’un fonds écolo porté au niveau de l’Union : “C’est plus transparent que d’essayer de distinguer dans les budgets ce qui est vert de ce qui ne l’est pas.” Le problème ? Là encore, il faudrait passer par une révision des traités. Car, dans la situation actuelle, l’Europe ne peut pas afficher de déficit, et ses ressources propres se limitent à 1,4 % du PIB. Un seuil très insuffisant au regard des montants à financer pour la transition climatique.

L’Europe sait se mobiliser, elle l’a prouvé. Après le début de la pandémie, elle a décidé d’un plan de relance d’un montant inédit de 800 milliards d’euros. Pourquoi ne serait-il pas possible de mettre en place un mécanisme permanent pour faire face au réchauffement planétaire ? Une fois de plus, la difficulté est politique. “Cette voie nécessiterait une cohésion plus forte au sein de l’Union. Aux Etats-Unis, les 50 Etats ont donné depuis longtemps la responsabilité d’une bonne partie des décisions économiques au niveau fédéral. En Europe, nous sommes encore très loin de ce degré de solidarité. Les pays acceptent difficilement un droit de regard sur leurs propres décisions”, déplore Christian Gollier.

Un rôle possible pour les banques centrales

La Banque centrale européenne peut-elle venir à la rescousse et participer au financement de la transition ? C’est l’une des pistes évoquées dans le rapport de Finance Watch. “La monétisation de la dette publique – autrement dit, le financement partiel ou total des déficits publics par les banques centrales – est interdite par le traité de Maastricht. Toutefois, ce n’est pas une idée de gauchiste. Elle a été mise en œuvre massivement au Royaume-Uni, de la fin du XIXe siècle au mitan du XXe siècle, et aux Etats-Unis à partir de l’ère Greenspan” (le président de la Réserve fédérale américaine de 1987 à 2006), avance Thierry Philipponnat.

Reste une question, cruciale : ce recours massif aux banques centrales n’est-il pas susceptible de créer de l’inflation ? Sur ce point, les avis divergent. “Certains nous disent que cela dépend des conditions économiques. Les leçons de nos deux mille ans d’histoire me paraissent pourtant claires, explique Christian Gollier. Le surplus de liquidités finit toujours par faire monter les prix, ce qui s’apparente alors à un impôt déguisé pour les citoyens.” Spécialiste de la dette et ancienne du Trésor, Clara Leonard pointe une autre piste : “On pourrait imaginer des taux d’intérêt avantageux pour les banques qui se refinancent à la Banque centrale et investissent ensuite dans des projets verts.”

Le patron de l’Ecole d’économie de Toulouse plaide davantage pour le développement d’un “signal prix”, incarné par la montée en puissance du marché du carbone. “Donner un tarif – élevé – à la tonne de CO2 incite les agents économiques à investir dans la décarbonation. Ce qui, in fine, réduit sensiblement la note qui reste à payer pour les Etats”, précise Christian Gollier. Les recettes tirées de ce mécanisme peuvent notamment financer des mesures d’aide pour les personnes ou les secteurs souffrant de la transition. “Beaucoup d’options sont sur la table. Notre rapport n’a pas la prétention de les balayer toutes”, reconnaît Thierry Philipponnat. Chacune d’elles a ses avantages et ses inconvénients, ses partisans et ses détracteurs. De quoi alimenter pour des mois, voire des années le débat. Si tant est que les termes en soient bien posés par les responsables politiques.




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