Ce n’était pas la candidate du cœur. Mais la raison l’a emporté. Son nom symbolise une ère révolue, mais elle a résisté à la vague dégagiste déclenchée lors des législatives. Yaël-Braun Pivet a été réélue ce jeudi 18 juillet présidente de l’Assemblée nationale face au communiste André Chassaigne, au terme du troisième tour de scrutin. Avec 220 suffrages contre 207, la députée des Yvelines rempile in extremis pour un nouveau mandat. Sa reconduction est un soulagement pour l’Elysée. Voilà Emmanuel Macron libre de disserter sur l’illégitimité de la gauche à réclamer Matignon. Libre, aussi, d’ériger ce succès en acte fondateur d’une bien hypothétique coalition.
Gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge. Le 16 juillet, Yaël Braun Pivet songe-t-elle à cette maxime? Face à elle, les députés Ensemble pour la République (EPR), survivants de la dissolution de l’Assemblée nationale. “Je suis contente d’avoir la confiance du groupe”, lance-t-elle à ses pairs. L’élue est seule en piste, aucun collègue n’ose l’affronter lors d’une primaire interne. Mais elle le sait, nul enthousiasme n’embarque la salle. “Zéro engouement”, “rien n’a changé”, “elle est maladroite dans son insistance”… Tant de cadres de l’ex-majorité se répandent en critiques acerbes contre YBP, soupçonnée de s’accrocher à son poste. Elle n’en a cure. Elle a commencé sa campagne dès le soir du second tour, à coups de SMS et d’appels aux prétendants. Sa course est minutieuse. Tiens, quels députés élus sous la bannière LR sont parmi les non-inscrits ? Elle se renseigne, aucune voix ne doit manquer.
Même celle de Gabriel Attal. Les acteurs de la pièce en sont convaincus : depuis le débit de la semaine, le Premier ministre démissionnaire semble tout faire pour que Yaël Braun-Pivet n’accède pas au perchoir. Par crainte de voir une rivale pour 2027 s’installer à Lassay ? Lundi à l’Elysée, il s’interroge sur la nécessité d’organiser une primaire avec les partenaires de l’ex-majorité. “C’était pour lui et quelques autres un moyen de la dégager, constate un dirigeant. Je suis fatigué de leurs bêtises, ils sont sans relâche !” De fait, à cette manœuvre en succède vite une autre. Le Premier ministre suggère à Marc Fesneau, ancien ministre chargé des Relations avec le Parlement, désormais chargé de l’Agriculture, de se préparer à être candidat au deuxième ou au troisième tour. Le centriste renâcle, il n’a pas envie d’être “l’arbitre de leurs turpitudes”.
Le tango entre la droite et l’ex-majorité
Une bête blessée, Yaël Braun-Pivet ? Les ambitieux rôdent. La députée Naïma Moutchou se lance, vantant sa capacité à parler à l’ensemble de l’hémicycle. La députée La droite républicaine (LDR) Annie Genevard caresse un temps l’idée de s’offrir le perchoir. Elle est respectée par ses pairs, sa compétence est reconnue. Elle a, enfin, l’avantage de ne pas être macroniste. Mardi, elle croise son homologue Sacha Houlié dans les couloirs de France Inter. “Des députés EPR voteront pour toi dès le premier tour”, lui lance l’ex-président de la Commission des lois, désormais non-inscrit. D’autres marcheurs, peu friands de la candidature de Yaël Braun-Pivet, échangent avec elle.
L’hypothèse Genevard circule, mais s’éteint à petit feu. La Droite Républicaine (LDR) est trop faible pour s’arroger un tel poste. Laurent Wauquiez n’en doute pas. Le patron de la droite n’a jamais eu le sentiment que l’ex-majorité était prête à lâcher le perchoir en signe d’ouverture. L’homme ne déplore pas cette intransigeance. S’en réjouit, plutôt. “Si c’est Braun-Pivet, c’est Braun-Pivet”, confie-t-il à un ministre. On l’a connu plus combatif.” Wauquiez ne voulait pas de Genevard, mais il veut un accord avec nous”, note un participant aux conciliabules. Il négocie alors le désistement de son camp au deuxième tour contre des postes clés dans la nouvelle Assemblée. Voilà la droite et l’ex-majorité embarquées dans un nouveau tango. Décidément, ces deux-là sont inséparables. La première est trop faible pour prendre le perchoir, la seconde a besoin de ses voix. “Si on ne s’accorde pas, vous n’avez pas la présidence”, lâche en début de semaine Laurent Wauquiez à un acteur du deal. “Et toi tu n’as rien !”, lui répond-on. Clinique.
L’ex-ministre de Nicolas Sarkozy s’engage dans des tractations avec Gabriel Attal, Laurent Marcangeli et Marc Fesneau. Le chef de gouvernement est son principal interlocuteur. Le mercredi 18 juillet, il rassemble ses troupes à l’Assemblée. Puis quitte la salle quelques minutes, téléphone à l’oreille. On ne laisse pas sur répondeur un Premier ministre, même démissionnaire. Devant les siens, il sourit de l’accord en gestation. “Ils ne peuvent rien nous refuser”, explique-t-il en substance. A-t-il vraiment tort ? La corbeille macroniste est dense : un poste de questeur, deux vice-présidences, la tête de la commission des finances et deux postes de secrétaires sont promis à LDR. Mais qu’on se le dise : cet échange de bons procédés n’est pas l’acte fondateur d’une coalition avec la Macronie, hypothèse rejetée par Laurent Wauquiez “On n’entend pas se noyer dans le bloc central”, assure-t-il devant ses troupes. A un cadre de l’ex-majorité, le candidat putatif pour 2027 tient le même discours. “Parlons de la présidence et de la gouvernance de l’Assemblée. Pas du reste.”
L’Elysée érige ce scrutin en acte fondateur d’une coalition
Le macronisme, même chancelant, reste radioactif. Ce jeudi, l’Assemblée nationale lui offre un sursis. Aux deux premiers tours de scrutin, à la majorité absolue, Yaël Braun-Pivet fait le quasi-plein chez les siens. Peu de déperdition chez les élus macronistes ou du MoDem, qui n’a pas présenté de candidat. Le pragmatisme l’emporte sur l’agacement. Le besoin d’unité et la volonté de mettre la gauche en échec étouffent bien des critiques. “Les gens rouspètent, mais c’est notre candidate et la meilleure dans ce contexte”, défend le député Ensemble pour la République (EPR) Pieyre-Alexandre Anglade. L’ex-président du groupe Renaissance Sylvain Maillard confirme : “il faut montrer que le bloc central a la majorité relative la plus importante.”
Alors, va pour Yaël Braun-Pivet. La prétendante profite des désistements de Naïma Moutchou et Philippe Juvin dans les deux premiers tours. Au troisième, à la majorité relative, elle se retrouve en duel face au communiste André Chassaigne. Le RN reste dans son couloir de nage, en marge du vote. Avec 13 voix d’avance, la balle est passée près. Mais Yaël Braun-Pivet est debout. Son carburant : la crainte de la gauche. Du communiste Chassaigne, élu respecté, beaucoup de députés ont retenu l’appartenance au Nouveau Front populaire. Un épouvantail. “L’étiquette pèse”, note un ministre démissionnaire. “Sa personnalité ne suffira pas à surmonter à la fois le NFP et le communisme”, ajoute un cadre EPR.
Le patron du PS Olivier Faure considérait en privé qu’une défaite au Perchoir compliquerait encore davantage l’aspiration de la gauche à prendre Matignon. Cette requête, parasitée par la guerre entre socialistes et Insoumis, a du plomb dans l’aile. L’Elysée érige ce scrutin en acte fondateur d’une coalition. Emmanuel Macron a tout loisir de dépeindre l’accord noué entre la droite et le bloc central en prémisse d’une coopération plus large. L’Assemblée d’abord, le gouvernement après ? On en est loin. Laurent Wauquiez prend un soin méticuleux à décorréler les deux sujets, lui qui se contente de proposer un modeste pacte législatif aux macronistes. Le bloc central a remporté une bataille. Le problème de l’ingouvernabilité du pays reste entier.
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