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Tentative d’assassinat de Trump : “Les Etats-Unis ne sont pas à l’aube d’une guerre civile…”


L’Amérique est-elle au bord du précipice ? Depuis la tentative d’assassinat de Donald Trump lors d’un meeting de campagne à Butler, en Pennsylvanie, le 13 juillet, les Etats-Unis assistent, ébahis, à une montée presque inédite de la violence en politique. Dans un sondage quasi prémonitoire réalisé entre le 20 et 24 juin 2024 par un think-tank de l’université de Chicago, environ 10 % des adultes américains – 26 millions de personnes – seraient prêts à soutenir un recours à la force pour empêcher Donald Trump de devenir président. Et ils sont 7 % – soit 18 millions de personnes – à être d’accord pour soutenir l’usage de la violence, cette fois pour rétablir Donald Trump à la Maison-Blanche. De plus en plus divisés, de plus en plus violents, la politique américaine et ses plus fervents partisans s’engagent dans une spirale aux conséquences difficiles à évaluer. Pour y voir plus clair, L’Express a interrogé William Howell, professeur de sciences politiques à l’Université de Chicago et coauteur de Présidents, populisme, et la crise de la démocratie (Ed. University of Chicago Press).

L’Express : Après la tentative d’assassinat de Donald Trump, les Etats-Unis sont-ils plus divisés que jamais ?

William Howell : Un moment comme celui de samedi dernier présente une opportunité : celle, pour un pays, de prendre un instant, de ‘baisser la température’ et de se réunir autour de l’opportunité qui se présente. La manière dont le pays prendra ce moment n’est pas claire pour moi. Il est certain que la campagne actuelle est un vecteur de division qui ne fait qu’augmenter à mesure que le jour de l’élection se rapproche. Nous sommes confrontés à deux candidats, qui représentent deux choix très clairs et différents pour le futur. Ces deux clans s’affrontent clairement, avec un manque de confiance et une colère particulièrement notable au sein des dirigeants de ces deux partis. Cela peut-être contre-intuitif, mais je pense que le grand public est beaucoup plus modéré que la majorité de nos politiciens. Mais aujourd’hui, rien ne dit que l’existence de ce centre va perdurer. Nous nous trouvons dans une période très troublée de la politique américaine.

Donald Trump rassemble autour de lui des militants extrêmement convaincus… Certains membres du parti républicain voient désormais en Trump une “figure quasi religieuse…”

Vous évoquez les plus convaincus ! Les personnes que vous trouvez aux rassemblements politiques de Trump ne sont pas les plus modérées, et font partie de sa base. Pour eux, Trump ne peut pas se tromper. Il n’a aucun défaut. Ils ont intégré la partie la plus agressive de sa rhétorique, ses positions les plus extrêmes et ne symbolisent pas la majorité de ce que pensent les citoyens américains. Cela se voit dans les différents sondages sur les politiques publiques : quand on demande aux gens à combien le salaire minimum devrait s’élever, ils répondent généralement entre 11 et 13 dollars de l’heure. Cette réponse est une moyenne, qui se retrouve dans tout le spectre politique. Vous ne trouverez pas de variation drastique entre républicains et démocrates. Ces similitudes se retrouvent dans un bon nombre de sujets. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de positions extrêmes. Ces dernières sont bien dans l’espace public, mais occupent une place démesurée dans les médias, alors qu’elles ne représentent pas l’opinion publique du pays.

Ce serait donc le fait des médias ?

Il serait très réducteur de penser cela. Prenons l’exemple des meetings. Un meeting n’est pas simplement un effort pour rassembler des soutiens de Donald Trump et célébrer sa candidature. Il s’agit également d’un événement destiné à la télévision, un spectacle. L’équipe de campagne a passé beaucoup de temps à construire l’imagerie, la scénographie, à créer un narratif médiatique convaincant pour que le public consomme les médias liés à cet événement. Qu’ils s’en souviennent et qu’ils adhèrent à une histoire : en l’occurrence, l’unité et l’enthousiasme qu’entraînerait la candidature de Trump. Ce récit n’est pas conditionné par les réseaux sociaux, par la désinformation ou par les médias. Il prend sa source directement au sein de l’équipe de campagne. C’est un narratif politique aussi vieux que les campagnes présidentielles existent : cela s’appelle façonner l’opinion publique. Oui, les changements médiatiques actuels, l’avènement des réseaux sociaux, d’une chaine conservatrice, Fox News, totalement ralliée à Trump, ont contribué à ce climat délétère. Mais il serait mal avisé d’expliquer la raison des fractures qui traversent notre politique uniquement en pointant les médias. Des forces beaucoup plus profondes labourent notre débat public.

Comment expliquez-vous la division si profonde qui semble exister entre les élites – très polarisées – et la majorité du public – plutôt centriste et modérée ?

Voilà l’une des énigmes centrales de la politique américaine. Hélas, la bonne réponse n’est pas unique et de nombreux politologues essaient, aujourd’hui, d’en comprendre les raisons. Selon moi, l’une d’elles trouve naissance dans un grand déséquilibre au cœur de notre politique actuelle. Plus le débat public se fracture, plus l’entrée en politique devient coûteuse. Je ne parle pas seulement d’argent, mais aussi de questions morales : qui a envie de faire subir un environnement politique pareil à sa famille ? Qui a envie d’être scruté par les médias au quotidien, d’être soumis au vitriol perpétuel ? Le prix à l’entrée devient de plus en plus lourd, et la récompense ténue : la puissance publique étant paralysée par les fractures partisanes, il est toujours plus complexe d’obtenir des résultats. Finalement, vous vous présentez en prenant beaucoup de risques pour peu de résultats. Dans ce contexte, qui peut s’engager sur cette voie ? Il me semble que les personnes les plus modérées, celles qui sont les plus enclines à trouver des solutions pragmatiques, sont conduites à renoncer en raison de ce coût à l’entrée. En revanche, celles qui sont plus extrémistes, qui souhaitent davantage avoir une tribune que résoudre nos problèmes, sont plus enclines à se présenter. Le serpent se mord la queue et la polarisation s’accentue.

Peut-on dans ce cas parler d’une crise de la démocratie représentative ?

Les positions que prennent nos leaders actuels sont en décalage avec les opinions des Américains les plus modérés. La campagne présidentielle actuelle et la tentative d’assassinat sur Donald Trump vont encore détourner le débat des problèmes qui sont pourtant au cœur de la présidentielle américaine. L’identité du prochain président aura pourtant une grande importance. D’une part, elle peut conduire à un monde où les impôts et les réglementations seront baissés, où la présence policière sera augmentée, et où de nombreux Américains sans papiers seront déportés. C’est le programme de Donald Trump. D’autre part, elle peut conduire à une poursuite de la politique de Joe Biden, qui a une approche très différente de ces questions. Pourtant, ces sujets ne sont pas débattus. Les questions qui nous préoccupent tournent autour de l’âge de Joe Biden ou si, oui ou non, Dieu a choisi Donald Trump pour être notre prochain président, puisqu’il a miraculeusement survécu à sa tentative d’assassinat. Nous ne parlons pas des visions du pays. Nous ne parlons pas de notre futur. Je suis très inquiet de constater que la santé de notre démocratie – pourtant préoccupante – et les défis auxquels nous allons faire face dans les années qui viennent ne sont pas abordés.

Cet examen de conscience pourrait-il passer par un changement dans la Constitution ?

Il est très difficile de changer la Constitution aux Etats-Unis. De nombreuses discussions ont lieu dans tout le pays sur la nécessité de modifier les règles de vote dans les Etats, de développer, d’introduire des changements dans le processus législatif. J’ignore sur quoi ces discussions vont déboucher. Mais je pense qu’il faudra repenser le fonctionnement des partis, de nos institutions politiques et de nos élections si nous voulons obtenir un espace plus sain et plus durable à l’avenir.

Trump a appelé à l’unité après sa tentative d’assassinat. Pensez-vous que cette déclaration puisse apaiser la polarisation de la classe politique américaine ?

Nous verrons. Mais je ne pense pas qu’il y ait un appétit démesuré dans son parti pour favoriser le centre. Regardez la nomination de son colistier, le sénateur J.D. Vance. C’est l’un des témoignages les plus éclatants du projet politique de Trump par rapport à sa base. Il n’a pas choisi quelqu’un de centriste. Il a opté pour un vice-président ultra-conservateur, populiste, avec une position très ferme sur l’immigration et sur la guerre en Ukraine. En dehors de ses déclarations après les événements de samedi, rien n’indique que Trump compte changer sa manière d’aborder la politique.

Le spectre de la guerre civile resurgit avec les événements de samedi. Pensez-vous que les Etats-Unis soient proches d’un basculement de cette ampleur ?

Non. Les Etats-Unis ne sont pas à l’aube d’une guerre civile. Une enquête a lieu en ce moment pour savoir ce qu’il s’est vraiment produit ce 13 juillet. Mais il faut être raisonnable : cela ne signifie pas que les Américains sont prêts à prendre les armes et à se battre les uns contre les autres. Cela étant dit, nous devrions nous préoccuper de la hausse de la violence politique qui a lieu à la marge de notre débat public. Nous assistons à une recomposition de notre spectre politique, qu’il va falloir questionner. Etre un républicain aujourd’hui n’a pas le même sens qu’être un républicain en 2014, il y a de cela seulement dix ans ! Il y a également un échec persistant de notre classe politique qui ne parvient pas à répondre aux demandes du public américain, quel que soit le parti. Ces problèmes sont profonds et ne se résoudront pas par l’arrivée d’un homme providentiel, d’un héros, quel qu’il soit.

Le risque de guerre civile a récemment été évoqué en France par le président lui-même, en pleines élections législatives. Comment expliquer que ce concept surgisse dans les deux vieilles démocraties que sont la France et les Etats-Unis ?

Je ne vois encore une fois pas de guerre civile arriver en France ou aux Etats-Unis. Cela étant dit, nos deux pays sont travaillés par de profondes divisions. En France, lors des dernières législatives, votre centre a tenu, au prix d’un effort considérable. Cela ne signifie pas pour autant que la possibilité de l’extrême droite, de la radicalité, s’éloigne. Aux Etats-Unis, nous faisons face à la hausse des inégalités entre les riches et les pauvres, au sentiment d’exclusion et de déclassement associés à la mondialisation, aux changements technologiques, à la question migratoire. Tout cela interroge les populations et leurs institutions. Ce dernier point est crucial : nous devons nous interroger sur leur viabilité. A mes yeux, la politique américaine actuelle ne peut pas s’inscrire dans la durée. Ce n’est pas soutenable.




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