Un point de non-retour est atteint. Samedi 20 juillet, la police anti-émeute du Bangladesh a violemment réprimé le mouvement de contestation étudiant, tirant à balles réelles sur des manifestants dans la capitale Dacca, a constaté un journaliste de l’AFP.
Initié début juillet contre une réforme des règles de recrutement dans la fonction publique, le développement du mouvement en manifestations quasi quotidiennes a fait au moins 115 morts cette semaine, selon un décompte de l’AFP de sources policières et hospitalières. Une violence inédite pour ce pays de 170 millions d’habitants, où le durcissement de la répression pousse les manifestants à réclamer la fin du pouvoir autocratique de la Première ministre Sheikh Hasina.
Un système de quotas à l’origine des troubles
“A bas la dictatrice”, ont scandé cette semaine les manifestants lors de plusieurs défilés à Dacca, une mégalopole tentaculaire de 20 millions d’habitants. Ce samedi, ils étaient encore des milliers à s’être rassemblés dans le quartier de Rampura, à Dacca, notamment pour protester contre le couvre-feu imposé la veille par le gouvernement. L’armée a également été largement déployée samedi dans les villes du pays, face à l’échec de la police à maîtriser les troubles. Des foules en colère ont mis le feu jeudi à plusieurs bâtiments gouvernementaux.
Si des dizaines de milliers de jeunes Bangladais réclament aujourd’hui la fin du mandat de la Première ministre Sheikh Hasina, ce n’était pourtant pas leur revendication au départ. Début juillet, les étudiants ont d’abord réclamé la fin d’un système de quotas, qui réserve plus de la moitié des emplois du secteur public, très recherchés, à des groupes spécifiques proches du pouvoir.
En place depuis 1992, ce système avait été réduit après un premier mouvement étudiant, en 2018. Mais en juin dernier, la Haute Cour est revenue sur cette décision, ordonnant de réintroduire un quota réservant 30 % des postes de fonctionnaires aux enfants des combattants pour l’indépendance contre le Pakistan en 1971. Une décision prise comme un affront par les jeunes Bangladais : confrontés à une crise aiguë de l’emploi dans un pays qui peine à fournir du travail à ses habitants, ceux-ci voient dans ces quotas des outils pour récompenser les soutiens du parti au pouvoir, la Ligue Awami.
Montée en tension après insultes et répression
La contestation prend depuis une dizaine de jours un tournant. Mercredi 10 juillet, la Cour suprême du Bangladesh annonce suspendre temporairement ce système de quotas dans la fonction publique. Une réponse jugée insuffisante pour les manifestants qui réclament une abolition définitive du système. Des milliers d’étudiants érigent des barricades aux principaux carrefours de Dacca et bloquent les principales autoroutes reliant la capitale à d’autres villes, selon la police.
Le lendemain, la police du Bangladesh use de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc pour disperser des étudiants. Des affrontements éclatent entre groupes d’étudiants pro et anti quotas en début de semaine, et la répression policière s’accroît. Jeudi, le gouvernement annonce couper l’internet mobile, tandis que les forces de l’ordre interdisent tout rassemblement dans la capitale depuis vendredi. Au total, l’AFP dénombre 115 morts, ce samedi 20 juillet, dont plus de la moitié par des tirs de la police.
Pour Pierre Prakash, directeur pour l’Asie de l’ONG International Crisis Group, le gouvernement lui-même a provoqué la crise. “Plutôt que d’essayer de répondre aux griefs des manifestants, les actions du gouvernement ont aggravé la situation”, déclare-t-il à l’AFP. La semaine précédente, la Première ministre du Bangladesh avait notamment attisé les tensions en comparant les manifestants aux Bangladais qui avaient collaboré avec le Pakistan. Une insulte toujours très virulente plus d’un demi-siècle après le conflit.
Une remise en question du pouvoir autocratique
“Se moquer d’eux était une insulte à leur dignité”, affirme également à l’AFP Ali Riaz, professeur de politique à l’université américaine de l’Illinois. Selon cet expert, cela signifie aussi que les manifestants “n’ont aucune importance pour un régime qui n’a pas de comptes à rendre”.
Au-delà du système de quotas, la Première ministre Sheikh Hasina fait en effet face à une remise en cause plus large de ses vingt années de pouvoir autocratique, dont quinze ans d’affilée après avoir remporté un nouveau mandat en janvier. Son gouvernement est notamment soupçonné d’utiliser abusivement les institutions de l’Etat pour asseoir son emprise et éradiquer la dissidence, notamment par l’assassinat extrajudiciaire de militants de l’opposition.
En l’absence d’élections véritablement concurrentielles depuis plus de quinze ans, “les Bangladais mécontents n’ont guère d’autre choix que les manifestations de rue pour faire entendre leur voix”, analyse Ali Riaz. Face à un mouvement et une répression qui gagne en intensité, ces manifestations sont “peut-être le défi le plus sérieux lancé au régime de la Ligue Awami depuis son arrivée au pouvoir”, avance ainsi Pierre Prakash, qui s’inquiète d’une “situation dangereuse” pour le pays.
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