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Cancer, diabète, Alzheimer… Pourquoi le sport fait-il autant de bien ?


Il n’est pas rare, en science, de fonctionner à l’aveugle. D’utiliser une formule, une équation, des théorèmes sans en maîtriser toutes les subtilités. C’est le cas de la physique quantique, ou de l’intelligence artificielle par exemple. Les principes de ces deux disciplines sont utilisés partout dans le monde, et en même temps, les zones d’ombre restent nombreuses.

Le sport a pendant longtemps été coiffé de ce mystère. Depuis plus d’un siècle, l’activité physique est recommandée à tour de bras en France, de cabinets médicaux en conversations de comptoir. À juste titre : ses effets sur la santé, contre le diabète, Alzheimer, le cancer et de nombreuses autres pathologies, ne sont plus à démontrer. Sans que l’on sache, pourquoi, précisément, il était bénéfique. Jusqu’à très récemment.

Depuis une vingtaine d’années – hier, à l’échelle de la recherche -, les découvertes sur la machinerie interne qui s’active durant l’effort s’accumulent. Au-delà de son effet mécanique, sur la circulation du sang par exemple, la pratique sportive entraîne une série de réactions moléculaires jusqu’ici méconnues, et que les scientifiques commencent à peine à décrypter.

Une petite révolution : “Au-delà d’élargir nos connaissances, ces recherches dont la plupart sont toujours en cours pourraient déboucher sur de nouvelles manières de traiter les maladies”, s’enthousiasme Cédric Moro, directeur de recherche à l’Inserm et auteur d’une expertise collective remise en 2019 au ministère des Sports sur l’intérêt thérapeutique de l’activité physique.

Le début d’une nouvelle ère

Durant l’activité physique, les taux de certaines protéines, dont les cytokines, varient grandement. Des changements connus depuis les années 1990, mais dont l’origine n’a été décelée qu’une décennie plus tard. Des biologistes de l’université de Copenhague montrent que le muscle lui-même participe à ces modifications. Publiée dans la revue à comité de lecture The Physiological Society, en 2000, la découverte bouscule les paradigmes de l’époque.

Pendant très longtemps, les scientifiques ont considéré les muscles comme des tissus passifs, utiles au mouvement, et pour soutenir les os, rien de plus. L’étude de Copenhague met en évidence qu’ils produisent directement certaines molécules, dont une en particulier, appelée Interleukine-VI”. “On avait une vision passive, inerte des muscles. On a alors compris que nous nous étions complètement trompés”, poursuit Cédric Moro. Le début d’une nouvelle ère.

Dès lors, les scientifiques se rendent compte que le muscle peut se transformer en une glande pourvoyeuse d’hormones, le temps de quelques pompes. Petit à petit, les biologistes réalisent que d’autres organes fonctionnent ainsi, à leur grande surprise. Le cœur, le foie, les tissus gras ou encore les neurones sont aussi capables de sécrétions semblables, spécifiques à l’exercice physique. En 2016, les chercheurs canadiens donnent le nom “exerkines” à ces molécules. Un second jalon est posé.

Les “exerkines”, entre sport et jouvance

Depuis les années 2000, plus de 200 “exerkines” ont ainsi été identifiés. Un chiffre en constante hausse. Beaucoup reste à découvrir sur leurs effets exacts. Mais il est désormais clair que ces substances, qui permettent à certaines cellules, notamment du système immunitaire, de “communiquer”, jouent un rôle important dans les bénéfices du sport. C’est notamment la conclusion d’une revue de littérature publiée en 2022 dans la prestigieuse revue scientifique Nature.

En présence de ces molécules, les cellules équipées des bons récepteurs se mettent en mode “sport”. Comme dans les voitures, où des réglages permettent de rendre les amortisseurs plus fermes et le moteur plus vif. Avec les “cardiokines”, le cœur devient plus souple, plus puissant. Les “adipokines”, elles, aident à contrôler l’inflammation ou les dommages causés par l’effort. D’autres “exerkines” modulent la réaction immunitaire, et ainsi de suite. De quoi permettre au corps d’endurer un effort qui met l’organisme à rude épreuve.

Beaucoup de ces changements ne sont que temporaires, transitoires. Les molécules libérées peuvent disparaître en moins d’un jour. Mais de la même manière que l’on prend du muscle lorsqu’on fait des efforts, leur intervention permet au passage de se préparer à la prochaine activité. “Tout laisse à penser que ces molécules, et les transformations déclenchées, finissent par armer, développer le corps”, commente le Pr Jacques Hugon, neurologue, spécialiste d’Alzheimer.

Un mode sport, qui permet des améliorations de long terme

Une “surcompensation” bénéfique pour la santé. C’est ce qu’a montré, en 2020, une équipe de l’université de Californie, aux Etats-Unis. Celle-ci a transféré du sang de souris sportives à des congénères oisives. Sans faire de sport, ces dernières ont alors vu leurs capacités cérébrales s’améliorer. L’étude, publiée dans Science, est importante : elle prouve qu’il est possible, en théorie, de bénéficier des améliorations liées à l’activité physique juste en recevant certaines “exerkines”. De quoi laisser penser qu’il serait possible de mettre le sport en gélule, du moins, chez l’animal.

Dans l’organisme, les “exerkines” réagissent entre elles, se transforment. Autant d’interactions qui rendent particulièrement difficile l’interprétation de leurs effets. Mais plus pour longtemps. En mai 2024, un consortium de scientifiques américains, le Motrpac, a réussi l’exploit de produire une première cartographie des échanges moléculaires qui interviennent durant le sport, chez la souris. Ces expériences, dévoilées dans Nature, retracent de bout en bout quelques-uns des chemins empruntés par le corps pour répondre à l’activité chez cet animal. Une avancée majeure, alors que la plupart de ces chaînes d’actions sont encore inconnues chez l’homme.

La plupart, mais pas toutes. Quelques-unes de ces séries d’interactions commencent à livrer leurs secrets. Comme celles causées par GDF-15, un “facteur de croissance”, une autre famille de sécrétion. En 2020, le Français Cédric Moro a montré, avec son équipe de l’Institut des maladies métaboliques de Toulouse, que la molécule aidait à la lipolyse, la dégradation des graisses. Qui elle-même est associée à une meilleure réaction à l’insuline. Ce qui explique en partie pourquoi le sport est bon pour les diabétiques, qui souffrent précisément d’une résistance à cette hormone.

Mettre le sport en gélule ?

Les chercheurs s’intéressent aussi de plus en plus à l’irisine. Une molécule découverte en 2012 et qui, sur les souris, présente d’extraordinaires effets. Produite par les muscles lors de l’effort, elle passe ensuite dans le cerveau. Là, en plus d’être utile à son fonctionnement, elle contribue à empêcher l’accumulation de la beta-amyloïde, un peptide impliqué dans les dysfonctionnements générés par la maladie d’Alzheimer. Rehausser son taux pourrait constituer “une nouvelle stratégie thérapeutique”, conclut une étude dans Nature medicine en 2019.

De nombreux laboratoires y voient, à terme, la possibilité de synthétiser l’effet d’une randonnée ou d’un 200 mètres nage-libre. Ces développements pourraient au moins déboucher sur des pilules capables d’optimiser certaines réactions physiologiques. Mais l’issue est incertaine : “Que va faire le corps de ces produits s’il n’est pas dans les conditions de l’exercice physique ? Il pourrait simplement les éliminer, comme des déchets”, nuance François Carré, cardiologue et spécialiste du sport, professeur émérite à l’Université de Rennes.

D’autant qu’une pilule ne pourra pas remplacer les nombreux effets mécaniques du sport, très utiles contre le cancer, entre autres : “Les tumeurs sont mal connectées au réseau sanguin, ce qui fait que les cellules immunitaires et les traitements n’arrivent pas toujours jusqu’à elles. L’activité physique, en faisant battre le cœur plus fort, permet de mieux les alimenter, et d’améliorer l’efficacité des traitements”, décrit Manon Gouez, chercheuse au centre Léon Bérard à Lyon et signatrice d’une étude sur le sujet parue en février 2024 dans Frontiers Immunology.

“S’arrêter de bouger, c’est se priver de nos capacités naturelles”

Qu’ils débouchent sur de futurs médicaments ou non, ces travaux ont déjà permis de faire tomber de nombreux stéréotypes. A commencer par ceux autour de l’acide lactique. Une “exerkine” également. Peut-être la plus connue de toutes. Un temps honni des sportifs, considérée comme un déchet, une toxine, cette molécule revient petit à petit en grâce. “Contrairement à ce qu’on pensait, il ne faut pas du tout l’éliminer. Elle aussi déclenche toute une série d’adaptations”, poursuit François Carré.

Le spécialiste insiste sur un point : “Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on est programmé pour bouger. Tout ceci repose sur des gènes qui ne sont stimulés que si on bouge. S’arrêter, c’est se priver d’une partie de notre fonctionnement et de nos capacités de restauration, de protection et d’amélioration de l’organisme”, explique l’expert. Lui n’aime pas dire que le sport fait du bien. Tout porte à croire qu’au contraire, c’est plutôt ne rien faire qui est dangereux.




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