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JO Paris 2024, Yannick Borel en argent : l’hippogriffe de l’épée a fait frémir le Grand Palais


8 000 personnes font silence. Seul le bruit des fers qui se croisent fend l’air. Oxygène de plus en plus irrespirable. Glissement strident des tennis sur le parquet. Une rumeur. Puis l’éclair, un coup d’épée dans le buste. Lumière verte. Soupir général de désolation. Le Grand Palais se débranche. Yannick Borel n’est qu’en argent. Exploit immense à l’image de la stature de l’épéiste, qui culmine à 1 mètre 96. Mais le Japonais Koki Kano, troisième mondial, sorte de chevalier métronome tout en ripostes et en sérénité, a eu raison de la puissance du Guadeloupéen et de ses grands gestes déliés. Pas rancunier, le public entonne déjà des “Yannick” consolateurs, en cadence.

Performance magnifique malgré la revanche ratée : à Tokyo, lors des précédents JO, l’Asiatique, alors à domicile, avait déjà pourfendu Borel pour offrir à son pays l’or olympique par équipe. Longtemps, pendant cette journée, le Français a paru galvanisé par cette salle extatique, serrant le poing après chaque belle touche, entre deux Marseillaises. La coupole du Grand Palais plafonne à 45 mètres de hauteur ; les vivats des deux tribunes, disposées uniquement en hauteur, remplissent merveilleusement l’espace sous la verrière, dans une intensité électrique.

L’escrime est un sport passionnant. Notamment parce que toutes les surprises y sont possibles, les matchs se jouent souvent à une touche décisive, pendant la “mort subite”. Du côté de l’équipe de France, on doit maintenir une tradition d’excellence à l’escrime, la discipline est celle qui a donné le plus de médailles olympiques au sport tricolore, avec 124 breloques. Le Français reste la langue officielle de la discipline, si bien qu’entre chaque touche, les arbitres déclament des “en garde, allez” souvent teintés d’un délicieux accent.

Yannick Borel, héros imprévu

Ce dimanche 28 juillet, on attend Romain Cannone, champion olympique en titre, cinquième mondial, il disparaît dès les huitièmes de finale contre un Kazakh méconnu. La beauté et la cruauté des tournois olympiques ; si quelques stars tiennent leur rang, à l’image du nageur Léon Marchand, dont l’annonce de la médaille d’or provoque les ravissements du Grand Palais, certains statuts médiatiques s’évaporent en un instant quand des visages inconnus surgissent, à l’image d’Auriane Mallo-Breton, épéiste médaillée en argent, passée à une touche de l’or, ce samedi.

Yannick Borel, dont la grande carcasse semble parfaitement adaptée à la démesure du lieu, se pose en héros imprévu. Cet agent des douanes à la ville a avancé sans bruit. A 35 ans, il est champion olympique par équipe en 2016 mais n’a plus remporté de titre majeur en individuel depuis 2018. En 2023, il a dû couper pendant cinq mois en raison d’une jambe cassée. En juin 2024, nouvelle blessure à la cuisse, forfait lors d’un tournoi pré-olympique, inquiétude. Personne ne le voit médaillé, on compte plutôt sur lui pour l’épreuve par équipe. Mais il revendique un mental d’acier.

En quarts de finale, il échappe de justesse à l’élimination en catimini, face au Japonais Masaru Yamada. 12-11 à la mort subite, porté par un public déjà en furie. La demi-finale, contre l’Egyptien Mohamed Elsayed, raconte déjà une histoire de revanche. A Tokyo, en individuel, son adversaire l’a battu à la surprise générale, avant d’imiter la célébration du footballeur Cristiano Ronaldo. Elsayed propose une escrime fantasque, expressive, ses attaques-esquives très théâtrales évoquent le diablotin qui sort de sa boîte ou le personnage de dessin animé tentant de zigzaguer dans un champ de peaux de bananes. Borel lui oppose une placidité à toute épreuve. La scène se répète, trois, quatre, cinq fois : il laisse son concurrent s’avancer, bouger de partout, pour placer au moment opportun une riposte unique qui fait immédiatement mouche. Celui qu’on surnomme “le lion”, selon le site de la Fédération internationale d’escrime, a des manières d’hippogriffe. Il toise son adversaire avant de l’écarter d’un coup de patte. A chaque touche française, le public rugit, dans un même esprit félin.

L’escrime est un beau sport

Même les fantaisies de l’Egyptien, – il change d’épée, plonge à deux mètres de la piste, se plaint du bras, entraînant à chaque fois une longue pause – n’érodent aucunement la supériorité de Yannick Borel, rompu, il faut dire, aux jeux d’acteurs depuis qu’il a entraîné les comédiens des Trois Mousquetaires, dont François Civil, Vincent Cassel et Romain Duris. Lorsqu’il marque sa dernière touche, victoire 15-9, il lâche son masque de fer, puis se tourne, visage rageur et poing serré, vers ces gradins qui ne demandent que la communion dans le vacarme.

Koki Kano, qui rend une tête au Français, est un adversaire d’une autre facture, vif, agile et patient. Yannick Borel, qui a commencé l’escrime à dix ans, parce que Zorro l’inspirait et que le karaté n’était pas proposé dans son collège de Guadeloupe, se rue à l’attaque comme pour en découdre. Le match n’a lieu que dans la zone de son adversaire. Erreur, le petit Japonais est un formidable contreur, un batailleur en défense, qui n’aime rien tant que de placer la riposte létale après avoir croisé le fer. 3-2 après la première manche de trois minutes, 9-5 après la deuxième, l’Asiatique domine.

La dernière manche n’est qu’une formalité, le Japonais se régale du panache de son duelliste. 14-9, et Yannick Borel, hippogriffe fatigué, se rue une dernière fois à l’abordage. Parade, coup au buste, la riposte n’a duré qu’un instant. On rouvre les yeux, et Koki Kano empoigne un drapeau du Japon, avec son cœur rouge comme la lumière du Français, qu’on n’a pas assez vu s’allumer en finale. Le public, déçu à l’évidence, applaudit poliment le talent. Avant de donner une belle ovation à Yannick Borel, son héros malheureux du jour. L’escrime est un beau sport.




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