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Valérie Niquet : “Pour la Chine, la guerre en Ukraine n’apporte que des bénéfices”


Elle est une actrice clé de la réconciliation inattendue, survenue le 23 juillet, entre les mouvements palestiniens du Fatah et du Hamas. C’est aussi elle que le chef de la diplomatie ukrainienne est allé, le même jour, tenter de convaincre de s’impliquer dans les négociations de paix en Ukraine. La Chine tenterait-elle d’apparaître comme la médiatrice de référence des grands conflits internationaux ?

“La Chine tente de tirer parti des crises qui existent pour augmenter son image de puissance incontournable et apparaître comme une sorte de puissance idéologique, ou économique, de recours, auprès notamment des pays du ‘Sud global'”, décrypte pour L’Express Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, autrice de La Chine en 100 Questions (éditions Tallandier). La chercheuse en géopolitique revient sur les ressorts de “l’attitude plus visible” de Pékin sur la scène internationale.

L’Express : La Chine a récemment été actrice de l’accord d’unité entre le Hamas et le Fatah, tout en conservant des liens avec Israël. Quelle influence le pays a-t-il dans cette région du monde ?

Valérie Niquet : Traditionnellement, la Chine a toujours eu une attitude relativement prudente sur le sujet moyen-oriental, y compris sur la question palestinienne. Elle a toutefois un double intérêt dans la région. Elle y a des intérêts économiques extrêmement importants puisqu’une très grande partie de ses approvisionnements énergétiques viennent de là. La Chine a un intérêt à maintenir une certaine stabilité ou à contribuer à ce qu’il y ait une certaine stabilité dans la région. Récemment, les Chinois étaient extrêmement inquiets de la situation des Houthis au Yémen qui pesaient sur le passage des groupes pétroliers [NDLR : les rebelles Houthis mènent depuis fin 2023 des attaques en mer Rouge en coordination avec les Palestiniens de la bande de Gaza].

Au niveau idéologique, la Chine – dans un contexte de rivalité avec les Etats-Unis – cherche à trouver des alliés qui lui permettent de renforcer ses positions sur la scène internationale. D’où ses relations avec l’Iran qui ont toujours été extrêmement cordiales, mais également ses efforts pour développer des liens, qui ne sont pas nouveaux, avec l’Arabie saoudite, devenue l’un de ses principaux fournisseurs de pétrole. On voit également une position de soutien idéologique aux Palestiniens – qui s’inscrit dans sa volonté d’apparaître comme un leader du “Sud global” – bien que la Chine ait des liens assez étroits avec Israël, notamment une coopération de longue date dans le domaine militaire.

Le chef de la diplomatie ukrainienne a également tendu la main à la Chine pour lui demander de s’impliquer dans les négociations de paix. Comment la Chine se positionne-t-elle sur le conflit ukrainien ?

La Chine s’accommode assez bien de cette guerre. Cela lui donne, par rapport à la Russie, une apparence de puissance responsable. Contrairement à Moscou, elle n’a pas encore envahi un territoire étranger avec brutalité. Avec son plan de paix [NDLR : en 2023, l’empire du Milieu a proposé un plan de paix en 12 points] – que personne n’a signé par ailleurs – la Chine s’inscrit en opposition avec les puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis, dont elle donne une image de nation belliciste.

Pour la Chine, la guerre en Ukraine n’apporte que des bénéfices

Ensuite, la relation de la Chine à l’Ukraine est assez particulière. Volodymyr Zelensky a certainement cru que la Chine pouvait peser sur la Russie pour obtenir une sorte de cessez-le-feu ou de retrait. Sur ce point, je pense qu’il se trompait. Avec la guerre en Ukraine, la Chine a face à elle d’un côté une Russie très affaiblie, qui l’approvisionne en énergie à des tarifs défiant toute concurrence et de l’autre, une Union européenne de plus en plus concentrée sur la question ukrainienne et un peu moins tournée vers les ambitions indo-pacifiques de la Chine.

La Chine continue-t-elle de soutenir la Russie ?

La Chine ne prend pas énormément de risques. Elle aide la Russie sans aller trop loin car elle n’a pas du tout envie de se couper des marchés occidentaux. Pour elle, la guerre en Ukraine n’apporte que des bénéfices.

@lexpress

???????? Emmanuel Macron souhaite inciter Xi Jinping à faire entendre raison au chef du Kremlin pour qu’il arrête la guerre en Ukraine. Illusoire. #chine#xijinping#macron#poutine#russie#apprendresurtiktok#tiktokacademie#Sinformersurtiktok#newsattiktok

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Par ailleurs, même si la Chine l’avait voulu, il n’est pas certain qu’elle ait les moyens réels – à moins de couper toute relation économique avec Moscou – d’exercer vraiment des pressions convaincantes à l’égard de Vladimir Poutine. En revanche, on ne peut pas exclure qu’après la guerre ou après un éventuel gel du conflit, la Chine arrive à jouer un rôle auprès de l’Ukraine en matière de reconstruction. Il ne faut pas oublier qu’avant cette attaque russe, l’Ukraine était l’un des premiers partenaires de la Chine en Europe, dans le contexte des routes de la soie [NDLR : un vaste projet d’infrastructures lancé par la Chine en 2013].

Quel est l’objectif ou quels sont les objectifs de l’exécutif chinois avec cette stratégie diplomatique de médiation ?

Nous nous trouvons dans un contexte très global où la Chine a des ambitions très fortes de redevenir, en Asie, la première puissance et d’être reconnue en tant que telle. En même temps, c’est un pays qui n’a pas envie de prendre des risques majeurs parce que son développement économique n’est pas du tout achevé. Au contraire, le pays fait face à des difficultés importantes. Mais la Chine tente de tirer parti des crises qui existent pour augmenter son image de puissance incontournable et apparaître comme une sorte de puissance idéologique, ou économique, de recours auprès notamment des pays du “Sud global”.

Que ce soit pour l’Iran et l’Arabie saoudite [NDLR : la Chine a été médiatrice dans le rétablissement, en 2023, des relations diplomatiques entre les deux pays], ou aujourd’hui dans le cas de l’accord avec les deux branches du mouvement palestinien, la Chine a joué surtout un rôle de facilitateur. En offrant un terrain neutre, elle permet à ces acteurs du Proche-Orient de montrer aux États-Unis qu’ils ont d’autres grands partenariats possibles. Il y a un intérêt conjoint de la Chine et de ces acteurs-là, à démontrer aux États-Unis et au reste du corps occidental, dont ils rejettent l’idéologie, qu’ils ont d’autres opportunités.

Comment la Chine se distingue-t-elle d’autres médiateurs de premier plan comme les Etats-Unis (qui ont par exemple été un artisan majeur des accords d’Oslo) dans son approche des conflits ?

La nature de ces puissances est très différente. L’une des premières choses que la Chine met en avant, c’est qu’elle ne pose jamais de conditions. C’est-à-dire que contrairement à l’Occident qui aurait toujours des attentes concernant des principes de respect des droits humains – encore qu’on puisse discuter de ce point dans le cadre des relations entre les États-Unis et des pays du Moyen-Orient – la Chine veut toujours apparaître comme neutre.

La Chine se dit en faveur d’un monde multipolaire, mais elle est aussi – sans le dire ouvertement – pour un monde unipolaire en Asie, où elle serait la principale puissance.

Quand on pense au rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, pourquoi cette dernière, qui est un allié des Etats-Unis, est-elle rentrée dans ce jeu-là, offrant à Pékin la possibilité d’apparaître comme un acteur majeur sur cette question ? La Chine joue sur la possibilité d’offrir à ces pays – au moins en apparence – l’opportunité de diversifier leurs partenariats et de ne pas être prisonniers d’une alliance exclusive avec les Etats-Unis. Pourtant, en réalité, le partenaire principal reste évidemment les États-Unis.

Est-ce un moyen pour la Chine d’imposer un nouvel ordre mondial ?

La Chine met toujours en avant le principe de ce que ses dirigeants appellent la “démocratisation de l’ordre international”, où finalement l’objectif est de lutter contre l’unipolarité autour de la puissance américaine ou de l’Occident qui aurait imposé ses valeurs et son mode de fonctionnement au reste du monde. La Chine se dit en faveur d’un monde multipolaire, mais elle est aussi – sans le dire ouvertement – pour un monde unipolaire en Asie, où elle serait la principale puissance.

Dans ce monde hypothétique, elle envisage des puissances d’équilibre sur lesquelles elles pourraient s’appuyer. Cela peut être l’Union européenne, si elle accepte de travailler avec la Chine. Cela peut être évidemment les pays du “Sud global”. Tout ce qui peut lui permettre de s’opposer aux Etats-Unis est considéré favorablement par le régime chinois.

Où en sommes-nous dans ce processus ?

On en est encore loin. Pour le moment la Chine n’a pas les moyens d’assurer une sécurité globale et ses capacités de projection sur la scène internationale, y compris en Afrique, sont modestes. On le voit d’ailleurs avec la crise des Houthis, ce n’est pas elle qui va agir dans la région pour tenter d’interrompre les attaques de transporteurs qui nuisent considérablement à ses propres intérêts énergétiques.

La Chine a des ambitions. Certains en jouent pour s’autonomiser davantage face aux Etats-Unis tout en conservant la protection de Washington. C’est un vaste jeu, mais on est très loin d’une domination mondiale de la part de la Chine qui – il faut le rappeler – traverse une phase compliquée sur le plan économique, ce qui va limiter à terme sa marge de manœuvre.

Entre-t-on dans une nouvelle ère de la diplomatie chinoise ?

Ce qui est nouveau, c’est que la Chine adopte une attitude plus visible et qu’elle tire bien plus partie des opportunités qu’il y a une dizaine d’années. C’est à corréler à la personnalité du dirigeant chinois Xi Jinping, qui veut mettre la Chine au premier plan sur la scène internationale, quelles que soient ses capacités réelles d’action. Il y a un jeu d’image, tout le discours autour du projet des routes de la soie avait pour objectif de renforcer cette idée de puissance sur la scène internationale.

C’est vrai qu’au Moyen-Orient pendant longtemps, la Chine a été relativement discrète et ne mettait pas en avant le rôle de médiateur qu’elle pouvait jouer sur des sujets importants. Sur le fond, cela ne change pas grand-chose, car ses interventions ne résolvent pas durablement les crises. Ce sont surtout des coups médiatiques.





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