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Triathlon dans la Seine aux JO, l’histoire d’un pari hasardeux : coup de poker et excès de confiance


C’était en septembre 2018, c’était il y a mille ans. Le regretté Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, évoquait l’arrogance du président de la République. “En grec, il y a un mot qui s’appelle hubris, c’est la malédiction des dieux. Quand, à un moment donné, vous devenez trop sûr de vous, vous pensez que vous allez tout emporter”, disait-il. Dans la mythologie, Minos, roi de Crète, se sent si invulnérable qu’il tente de tromper Poséidon en épargnant un magnifique taureau blanc promis au sacrifice. Le dieu des mers se venge en animant l’animal de fureur, il dévaste la Crète puis donne naissance au Minotaure.

La morale, – il ne faut jamais défier plus fort que soi -, pourrait parfaitement s’appliquer à l’épreuve de triathlon des Jeux olympiques. Avec, au bout de l’orgueil, le spectre d’un fiasco devant le monde entier. Le kilomètre et demi de natation qui ouvre l’épreuve, avant 40 kilomètres de vélo et 10 kilomètres de course à pied, devait se nager dans la Seine, ce mardi 30 juillet. Or au matin du départ, le fleuve parisien est trop pollué pour que la course se tienne. Un nouveau test sera réalisé ce mercredi 31 juillet… mais des orages sont attendus à Paris dans la nuit. Soit exactement le scénario catastrophe redouté par les organisateurs.

Marc Guillaume, le préfet d’Ile-de-France, nous l’avait détaillé, mardi 23 juillet : le scénario du pire repose sur des orages quelques jours avant la course. Justement, il a plu abondamment vendredi 26 juillet, comme plus d’un milliard de téléspectateurs ont pu s’en apercevoir en visionnant la cérémonie d’ouverture des JO. La préfecture a investi au nom de l’Etat quelque 700 millions d’euros pour rendre la Seine baignable, en améliorant considérablement le circuit d’assainissement de l’eau rejetée dans le fleuve. Mais les capacités de stockage sont dépassées en cas d’intempéries. Un nouvel orage entre ce mardi et ce vendredi, date de la dernière “fenêtre de tir” pour organiser les épreuves masculines et féminines, devrait être fatal à la tenue du triathlon.

Le risque du duathlon

Un plan B a bien été prévu pour l’épreuve de nage en eau libre, elle aussi prévue dans la Seine, les jeudi 8 et vendredi 9 août : si le fleuve est trop pollué, les athlètes se rendront au stade nautique de Vaires-sur-Marne, où ont déjà lieu les épreuves de canoë-kayak et d’aviron. Rien de tel pour le triathlon : parce qu’il aurait fallu également prévoir un tracé pour le vélo et la course à pied, aucun plan de secours n’a été organisé. Le triathlon sera simplement remplacé par un “duathlon”, exit la natation.

Un manque de respect inouï pour les sportifs, qui s’entraînent depuis trois ans pour cette Olympiade. D’autant que la course serait en partie faussée, puisque certains champions sont particulièrement à l’aise en natation quand d’autres ont le cyclisme pour spécialité. Et les Français, a-t-on appris, sont justement de formidables nageurs… Ce serait par ailleurs une triste première : le cas d’une épreuve olympique escamotée ne s’est jamais produit, de mémoire de sportif.

Rêve d’Hidalgo

Pour comprendre cet hubris, et ses conséquences fâcheuses, il faut en revenir à la genèse du triathlon sur la Seine. Anne Hidalgo, la maire de Paris, en a fait son cheval de bataille depuis 2015, dès les prémisses de la candidature française. “Si nous organisons les Jeux olympiques, l’épreuve du triathlon se déroulera dans la Seine”, tweete-t-elle, le 8 juillet 2015. A l’époque, le pari de l’édile passe pour fou. “Il faut qu’on travaille encore sur la qualité de l’eau à Paris”, précise d’ailleurs l’élue. L’investissement à prévoir est colossal, le fleuve est hyper-pollué. Dès 2016, un comité de pilotage “qualité de l’eau et baignade” est lancé, avec la mairie de Paris et l’Etat. Le triathlon dans la Seine est intégré au programme olympique proposé par Tony Estanguet et ses services.

Emmanuel Macron fait continuer le “plan baignade” à partir de 2017, puis se fend d’une déclaration optimiste, le 13 mars 2023 : “Rendre la Seine et la Marne baignables. C’est notre objectif pour 2024. 1,4 milliard d’euros investis, dont la moitié par l’État. À J-500, nous sommes en passe de réussir ce qui sera l’un des plus beaux héritages des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.” Lui aussi voit dans ce projet le symbole de l’audace française. Et quelle réussite ce serait, il est vrai, en cas de succès !

Canal de l’Ourcq pas disponible

C’est ainsi que le compte à rebours se poursuit, sans solution de repli. Il existe bien un triathlon de Paris, organisé dans le canal de l’Ourcq puis dans le parc de la Villette, mais le lieu n’est pas disponible pour les Jeux olympiques, il accueille le parc des Nations, c’est-à-dire les comités de plusieurs pays, dont la France.

Alors quoi ? Il n’y a plus qu’à espérer que les éléments laisseront l’audace française tranquille dans les prochaines heures. Autrement, il faudra se résoudre à ce que l’histoire ne soit qu’un recommencement depuis Minos : les hommes ne peuvent promettre ce qui implique une force supérieure, les dieux, la pluie ou le beau temps.




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