Le 3 janvier, au cimetière Morasha de Ramat Hasharon, au nord-est de Tel-Aviv, Israël enterrait l’une de ses légendes, décédé la veille à 98 ans. Zvi Zamir a dirigé les renseignements extérieurs, le Mossad, de 1968 à 1974. Sur la foi des informations de sa source égyptienne haut-placé, ce maître-espion a donné l’alerte qui a mené à la mobilisation générale la nuit précédant l’attaque égypto-syrienne du Kippour, le 6 octobre 1973. Cet ex-général a également supervisé la célèbre opération “Colère de Dieu” : l’élimination des membres du groupe palestinien Septembre noir, responsable du meurtre d’athlètes israéliens participant aux Jeux olympiques de Munich, en 1972.
L’actuel chef des services secrets, David Barnea, a saisi l’occasion des funérailles de son lointain prédécesseur pour faire passer un message. “Le Mossad, aujourd’hui comme il y a cinquante ans, s’engage à régler ses comptes avec les meurtriers qui ont déferlé aux abords de Gaza, le 7 octobre, de même qu’avec les planificateurs et les commanditaires, a-t-il tonné depuis un pupitre placé à droite du cercueil de Zvi Zamir. Cela prendra du temps, tout comme après le massacre de Munich, mais nous mettrons la main sur eux, où qu’ils soient.” Et de prévenir : “Chaque mère arabe devrait savoir que si son fils a participé, directement ou indirectement, au carnage […], son sang” coulera.
Dont acte : le jour où s’éteignait Zvi Zamir, le numéro 2 du Hamas, Saleh al-Arouri, et six autres cadres du mouvement, étaient tués par une frappe de drone contre leur bureau du quartier de Dahiya, en banlieue sud de Beyrouth, dans le fief historique du Hezbollah – al-Arouri était le responsable du Hamas le plus étroitement associé à la milice chiite et à son parrain iranien. Et presque sept mois plus tard, le 31 juillet, Ismaïl Haniyeh a été éliminé, à son tour, par une frappe aérienne à Téhéran. En exil volontaire depuis plusieurs années et résidant le plus souvent au Qatar ou en Turquie, le chef du Hamas avait assisté, la veille, à l’investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian.
Une longue liste d’opérations meurtrières
Israël a renoué de façon spectaculaire avec une pratique constante de son existence contemporaine, celle des assassinats ciblés. Celui d’Haniyeh suit d’ailleurs de quelques heures une frappe aérienne sur l’immeuble de Beyrouth, au Liban, où se trouvait Fouad Chokr – celle-ci a été reconnue par Israël. Ce haut responsable militaire du Hezbollah, groupe pro-iranien proche du Hamas, était accusé d’être le responsable du tir ayant tué quelques jours plus tôt douze enfants sur la partie syrienne du plateau du Golan, annexée par Israël.
Le meurtre d’Ismaïl Haniyeh s’inscrit dans la longue liste des opérations meurtrières perpétrées sur le sol iranien et attribuées à Israël. Ces dernières années, plusieurs personnalités clés du régime, militaires et scientifiques, ont été éliminées ou ont trouvé la mort dans des circonstances troublantes. Parmi celles-ci, Mohsen Fakhrizadeh, l’un des directeurs du programme d’armement nucléaire iranien, par une mitrailleuse télécommandée, un mode opératoire aussi sophistiqué qu’inédit.
Dans Lève-toi et tue le premier (Grasset), le journaliste Ronen Bergman a comptabilisé plus de 2 700 assassinats ciblés attribués à Israël depuis son indépendance en 1948. “L’Etat d’Israël s’est construit sur l’héritage de l’holocauste et s’est imposé sur la scène internationale avec le narratif de venger ceux qui ont tué des juifs, rappelle la chercheuse Marie Robin, du centre Thucydide à l’université Panthéon-Assas. Il y a l’idée que laisser un massacre comme Munich non vengé revient à laisser le peuple juif comme victime de persécutions.” Un principe inacceptable pour les autorités israéliennes.
Mais à la différence des assassinats de membres de Septembre noir, ceux perpétrés depuis le 7 octobre le sont par des moyens strictement militaires. C’est également grâce à des frappes aériennes qu’Israël a éliminé le chef militaire du Hamas, Mohamed Deïf, à Gaza, le 13 juillet dernier, a confirmé Tsahal ce jeudi 1er août. Les autorités israéliennes ont également pour priorité d’éliminer Yahya Sinouar, le dirigeant du Hamas dans l’enclave.
Reste à mesurer l’impact de ces différents assassinats. L’élimination de certains responsables peut réduire la marge de manœuvre opérationnelle du Hamas. Mais ils sont souvent remplacés par des éléments parfois moins connus des services. “Les assassinats ciblés sont efficaces au niveau tactique, mais pas au niveau stratégique”, résume Amélie Ferey, chercheuse à l’Institut français des relations internationales. Ismaïl Haniyeh jouait, pour sa part, un rôle de premier plan dans les négociations de libération des otages israéliens contre la fin de la guerre à Gaza. Sa mort risque de compromettre un peu plus la possibilité d’un cessez-le-feu, pour l’instant introuvable.
Avant Al-Arouri et Haniyeh, d’autres figures du Hamas avaient été ciblées par les autorités israéliennes. Un raid d’hélicoptères a eu raison du fondateur, Cheick Yassine, à la sortie d’une mosquée de Gaza, en 2004. Six ans plus tard, l’un de ses responsables militaires, Al-Mabhouh, était assassiné dans une chambre d’hôtel de Dubaï par un commando du Mossad identifié grâce à des caméras de surveillance. En 1997, à Amman, Khaled Mechaal, empoisonné par le Mossad, a dû sa survie à l’antidote fourni par Israël, sous la pression du roi de Jordanie. Les massacres du 7 octobre confirment cependant une chose : les assassinats ciblés n’ont pas de portée dissuasive.
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