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Turquie : derrière l’échange historique de prisonniers, le rôle opaque de médiateur d’Ankara


Un échange historique depuis la fin de la Guerre froide. Ce jeudi 1er août, la Russie et les pays occidentaux, les Etats-Unis en première ligne, ont procédé au transfert de 26 prisonniers. Du côté occidental, 16 personnes ont été libérées avec en point d’orgue, le journaliste américain Evan Gershkovich ou l’ex-Marine Paul Whelan, mais également des opposants russes emprisonnés par le régime, comme le prix Nobel de la Paix Oleg Orlov, le journaliste russo-britannique Vladimir Kara-Mourza ou encore l’ancienne collaboratrice d’Alexei Navalny Lilia Tchanycheva. Du côté russe, Vladimir Poutine a notamment obtenu la libération de l’agent du FSB Vadim Krassikov, qui purgeait une peine de prison en Allemagne à la suite de sa condamnation pour meurtre à Berlin.

Et c’est donc en Turquie que ces tractations historiques, qui se seront étalées sur un plus de deux ans et auraient même pu aboutir à la libération d’Alexeï Navalny, ont finalement abouti. Ce jeudi après-midi, les avions transportant les différents protagonistes de cet échange, venus d’un peu partout dans le monde – des Etats-Unis et de Russie, mais aussi d’Allemagne, de Pologne, de Slovénie, de Norvège et de Biélorussie – se sont ainsi posés à Ankara.

Un symbole fort pour le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, qui s’est évidemment réjoui d’avoir été ainsi au centre des événements. Les services de renseignement turcs ont “mené à Ankara l’opération d’échange de prisonniers la plus importante de ces derniers temps”, s’est vantée la présidence turque dès ce jeudi.

L’agence de presse d’Etat turque, Anadolu, a également insisté sur le rôle joué par la Turquie dans cette opération. “Les services de renseignement turcs ont réuni des représentants de ces sept pays à Ankara en juillet”, y affirment des sources sécuritaires, affirmant que “lors de ces discussions, l’agence de renseignement a joué un rôle central dans la médiation des négociations qui ont abouti à l’échange”.

Rôle clef ou surestimé ?

La Turquie a souvent été l’intermédiaire idéal entre les Etats-Unis et la Russie ces dernières années, alors que les relations diplomatiques entre les deux puissances sont au plus bas depuis le début de la guerre en Ukraine. “Comme aucun autre allié de l’Otan n’entretient de dialogue politique avec la Russie, la Turquie était, d’une certaine manière, le seul acteur qui aurait pu y parvenir”, assure Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau d’Ankara du German Marshall Fund, dans le New York Times. Joe Biden, de son côté, a remercié ce jeudi le président Erdogan “pour ses efforts visant à garantir le bon déroulement de l’échange de prisonniers”, a écrit la présidence turque dans un communiqué.

Ainsi, en avril 2022, c’était déjà la Turquie qui avait servi de cadre à un échange de prisonniers entre Moscou et Washington entre Trevor Reed, un marine américain emprisonné en Russie, et un pilote russe détenu par les Etats-Unis. En septembre dernier, la Russie et l’Ukraine avaient également échangé 215 prisonniers de guerre ukrainiens, dont des combattants du bataillon Azov, contre un ami proche du président russe et 54 autres personnes. Les combattants ukrainiens avaient là encore été libérés en Turquie, et le ministre ukrainien des Affaires étrangères tout comme le conseiller à la sécurité nationale du président Biden, Jake Sullivan, avaient par la suite remercié le gouvernement turc pour son rôle de facilitateur.

Mais de là à placer Ankara comme le principal acteur ayant débloqué ces négociations, le pas est immense. Le plus grand obstacle à cet échange se trouvait en réalité au sein même des Occidentaux. Et plus particulièrement en Allemagne, avec la libération controversée de l’agent russe du FSB, Vadim Krassikov. Vladimir Poutine avait fait clairement comprendre qu’un échange ne pourrait avoir lieu sans que ce dernier ne fasse son retour à Moscou.

Des discussions quasi hebdomadaires auraient ainsi eu lieu entre Washington et Berlin, les Etats-Unis poussant pour convaincre le gouvernement allemand de libérer celui qui avait été condamné en 2021 à la réclusion à perpétuité pour le meurtre en plein Berlin deux ans plus tôt d’un ex-commandant séparatiste tchétchène. Tout se serait finalement débloqué dans la capitale américaine, il y a quatre mois, lors d’une visite du chancelier allemand Olaf Scholz au président Biden. Un renversement auquel la Turquie ne semble donc pas avoir joué un rôle prépondérant.

L’équilibrisme de la diplomatie turque

Mais pour Ankara, ces négociations secrètes entre gouvernements occidentaux et l’identité des personnes libérées semblent finalement importer assez peu. Beaucoup moins en tout cas que le symbole de l’arrivée et du départ sur le tarmac d’Ankara de ces 26 prisonniers occidentaux et russes, un grand succès dans cette posture d’intermédiaire que Recep Tayyip Erdogan veut se donner depuis le début de la guerre en Ukraine.

Depuis 2022, la Turquie joue un vrai numéro d’équilibriste pour se placer au centre de l’échiquier international. Quitte à presque dire tout et son contraire d’un jour à l’autre. Un jour, la Turquie, membre de l’Otan, semble faire le nécessaire pour plaire à ses partenaires occidentaux. Que ce soit en faisant advenir un accord céréalier entre Ukraine et Russie en 2023 – finalement devenu caduque -, mais aussi en levant finalement son veto pour l’entrée de la Suède dans l’Otan, en apportant un soutien militaire à l’Ukraine et en déclarant même l’été dernier que Kiev “mérite d’intégrer” l’Alliance atlantique.

Mais la Turquie n’a jamais coupé les ponts avec la Russie pour autant. Erdogan continue d’appeler Vladimir Poutine “mon ami” ; les échanges commerciaux entre les deux pays n’ont pas faibli depuis le début de la guerre, loin de là ; et le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a même déclaré ce jeudi qu’une visite de Vladimir Poutine en Turquie était en préparation.

Un porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères a ainsi déclaré ce jeudi auprès du New York Times que, “bien que le pays soit en désaccord avec la Russie sur de nombreux fronts, il était capable de compartimenter ces différences pour continuer à coopérer dans d’autres domaines et préserver la confiance avec les deux parties”. Et si ce jeu sur les deux tableaux peut crisper, notamment chez les Occidentaux, il permet parfois à la Turquie de se retrouver au centre du monde. Comme ce jeudi, sur la piste d’atterrissage à Ankara.




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