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Eté 84 : la manif pour l’école libre, Fabius à Matignon, les JO de Los Angeles

De la fin de la guerre d’Indochine à l’affaire du Watergate, jusqu’à la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy, redécouvrez à travers nos archives les temps forts des étés de chaque décennie, entre avancées diplomatiques, crises politiques et progrès scientifiques. Cette semaine, l’été 1984.

EPISODE 1 – Eté 54 : l’espoir Mendès France, la fin de la guerre d’Indochine, un coup d’Etat au Guatemala

EPISODE 2 – Eté 64 : fin de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, naissance de l’ORTF, premières photos de la Lune

EPISODE 3 – Eté 74 : le choc de la démission de Nixon, l’abaissement de la majorité et la lutte du Larzac

Raz de marée dans la rue pour l’école libre

Dans les 110 propositions de campagne du candidat François Mitterrand en 1981, la promesse d'”un service public unifié et laïc de l’Education nationale” annonçait une guerre scolaire ravivée entre partisans laïcs de l’enseignement public et défenseurs de l’école privée. Trois ans plus tard, le projet de loi présenté par le ministre de l’Education nationale Alain Savary met le feu aux poudres. Après des manifestations à Bordeaux, Lyon et Versailles, plus d’un million de personnes descendent dans la rue à Paris le 24 juin 1984. Le 14 juillet, François Mitterrand annonce le retrait du projet de loi.

Article sur la manifestation monstre organisée à Paris le 24 juin 1984 contre le projet de loi Savary paru dans L’Express du 29 juin 1984.

“Les avait-on assez annoncées, ces centaines de milliers de manifestants, ce million, peut-être, ou plus ? La gauche les avait-elle assez redoutés et la droite espérés, ces processionnaires de l’école privée dans les rues de la capitale ! Pourtant, le choc n’en a pas été moins fort, l’effet moins saisissant. Même maintenue avec application par ses organisateurs hors du champ de la politique, l’immense manifestation du 24 juin à Paris a été, pour le pouvoir et pour la gauche, le signe d’un échec politique. La concrétisation d’une défiance allant bien au-delà de quelques amendements sur la titularisation des maîtres ou le financement des maternelles.

Trois jours après le défilé, on discutait encore du nombre de participants : 1 500 000, selon les parents d’élèves de l’école privée ; 850 000, selon le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre. Sans importance ! De toute façon, ils étaient là et, là où ils étaient, on avait l’impression qu’ils ne pouvaient pas être plus nombreux. Un fleuve. Un fleuve né multiple : en Bretagne, en Vendée, au sud, au nord, et que les gares parisiennes déversaient vers la Bastille, au long d’un itinéraire tout en boulevards. Certains ont marché dix heures durant. Certains étaient allés à Versailles, le 4 mars, d’autres venaient à Paris pour la première fois. Avec, parmi eux, une foule de ces Français moyens qui font les grands rassemblements populaires.

Tous n’auraient pas été capables – loin de là – d’expliquer en quoi le projet Savary attentait aux libertés, mais l’enjeu, ce dimanche, était moins la loi que les arrière-pensées du législateur ou la menace lointaine de l’intégration.”

L’Express du 29 juin 1984

Fabius, l’homme du Président

“Savez-vous qui traduit le mieux ma pensée ? a dit un jour François Mitterrand. Laurent Fabius.” En juillet 1984, après l’âpre bataille de l’école libre, le septennat de François Mitterrand a besoin d’un nouveau souffle. Exit Pierre Mauroy, Laurent Fabius, surdoué de la politique devient, à 37 ans, le plus jeune Premier ministre des trois dernières Républiques. C’est désormais à lui de “protéger” le chef de l’Etat comme l’explique Jean-Noël Bergeroux dans un article intitulé “Les raisons du choix”.

Laurent Fabius, nouveau Premier ministre, en couverture de L’Express du 20 juillet 1984.

“Laurent Fabius Premier ministre, c’est la logique de la Ve République. C’est la confirmation d’une nouvelle donne politique pour 1986 et 1988. C’est peut-être le signe d’une évolution en profondeur des socialistes français après trois ans à l’épreuve du pouvoir. La logique de la Ve République, elle, avait prévalu quand Charles de Gaulle appela Georges Pompidou, quand Georges Pompidou appela Pierre Messmer et quand Valéry Giscard d’Estaing appela Raymond Barre. Cette logique s’énonce ainsi : le premier chef de gouvernement d’un septennat représente peu ou prou le parti qui a porté le président au pouvoir. Le second est avant tout un “homme du Président”.

Car il vient immanquablement un moment du septennat où les intérêts du chef de l’Etat et ceux de la formation qui a soutenu son ascension ne coïncident plus. Ce fut évident sous Pompidou et sous Giscard, c’est évident sous Mitterrand. Depuis quelques semaines, cette loi avait peu à peu transparu au fil de l’actualité : la politique nécessaire au Parti socialiste pour sauver ses meubles en 1986 n’était pas semblable en tout à la politique nécessaire au président de la République pour sauver son mandat. Au parti, il fallait une offensive à gauche afin de récupérer un électorat dispersé dans la nature pour cause de déception et de rigueur. Au chef de l’Etat, il fallait une ouverture au centre pour reconstituer un électorat présidentiel dépassant largement les limites partisanes.

Laurent Fabius entre dans le schéma “Pompidou-Messmer-Barre”. Il est, entre tous, un homme de confiance de François Mitterrand. Et même si son adhésion au Parti socialiste est antérieure à sa rencontre avec l’actuel président, même s’il a su garder des liens étroits avec l’appareil et les militants, rien ne permet de le considérer comme une émanation du Parti socialiste. Avec Fabius à Matignon, le président de la République est en première ligne, mais, désormais, de manière quasi institutionnelle. Ce gouvernement, à n’en pas douter, sera un peu plus le sien que ne l’était celui de Pierre Mauroy. C’est, là aussi, une règle de la Ve. S’interroger sur le rôle que peut jouer le nouveau Premier ministre dans l’ouverture dont a besoin le chef de l’Etat, c’est examiner les conditions de la nouvelle donne politique de cet été 1984. Quelques heures après sa nomination, le deuxième chef de gouvernement du septennat de François Mitterrand a insisté sur sa volonté de “moderniser le pays”. Façon de dire que cette modernisation n’avait que trop tardé. Façon de se tourner vers ceux qui n’avaient pas trouvé, dans les premières années de la gauche au pouvoir, leur comptant de remise en question des dogmes et des mythes.

Mais Fabius ne saurait se limiter à cette tentative de récupération. Sa mission sera la synthèse. Nécessairement. Le recentrage, certes, mais à condition de ne rien s’aliéner à gauche. En cela, le passé du nouveau Premier ministre au P.S, le caractère ancien et indiscutable de son engagement devront jouer autant que sa jeunesse, sa modernité et son image de modéré. Il lui faudra s’adresser à tous ces courants de l’opinion que la gauche avait su séduire jusqu’en 1981 et qui, peu à peu, l’avaient quittée. Mais s’adresser à eux sans pour autant pousser l’électorat communiste à la dissidence ouverte ou provoquer des fractures au sein du Parti socialiste. En fait, avec Fabius à Matignon, François Mitterrand espère peut-être réconcilier les nécessités de 1986 et celles de 1988 : trouver les voies de cet élargissement sans lequel une majorité, aussi large fut-elle au départ, est condamnée.”

L’Express du 20 juillet 1984

Boycott des JO de Los Angeles : les absents ont toujours tort

Le 28 juillet 1984, les XXIIIe Jeux olympiques d’été s’ouvrent à Los Angeles en l’absence d’une quinzaine de pays du bloc communiste qui ont suivi la décision de l’URSS de ne pas envoyer de délégation. Cette absence sonne comme une réponse au boycott par les Etats-Unis des Jeux de Moscou en 1980 après l’invasion de l’Afghanistan.

Les JO de Los Angeles représentés par le dessinateur Tim dans L’Express du 27 juillet 1984.

“Que la fête commence ! Le style “maison” étant celui que l’on sait, ce n’est certainement pas en ces termes que l’honorable représentant de l’agence Tass à Los Angeles aura débuté sa première dépêche olympique. Du moins espère-t-on qu’une élémentaire délicatesse lui commandera de signaler que c’est bien à 16h30 précises, le 28 juillet, que devaient être déclarés officiellement ouverts les Jeux célébrant la XXIIIe olympiade. Comme ça. Par simple correction envers les nombreux citoyens soviétiques passionnés de sport, ou à l’égard de tout athlète originaire de l’Est qui aurait eu la faiblesse de penser que la décision de non-participation, décrétée par le Kremlin le 8 mai dernier, n’était pas la plus intelligente des choses à faire. Jeux éhontés de l’argent, menaces sur la personne des élites sportives socialistes avaient allégué, à l’époque, les gérontocrates soviétiques. On aurait pu trouver mieux en matière de réplique rétroactive au boycottage maladroit décidé, naguère, par le président Carter : il est des circonstances, en effet – et les Jeux olympiques en sont – dans lesquelles les absents ont toujours tort. […]

Huit mille athlètes fin prêts pour tenter de décrocher l’une des 660 médailles en jeu ; 7 000 entraîneurs, soigneurs et officiels réunis ; 141 pays représentés : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Qu’il s’agisse de la minuscule délégation des îles Caïmans ou de celle de la Roumanie, chacun se dit fort content d’avoir pris ses quartiers dans l’un des trois villages olympiques. Un cas, ces Roumains ! Le seul pays membre du pacte de Varsovie à avoir boudé la ligne recommandée par Moscou ne semble guère s’être posé de problèmes métaphysiques dans une Californie qui ne jure plus tout à fait par la psychothérapie de groupe. Les politologues vous diront qu’ils sont coutumiers du fait. Enfin… Pour que tout soit clair, le chef de mission roumain, Alexa Haralambie, a clairement défini dès son arrivée la conception roumaine de l’esprit olympique : “Quoi de plus précieux que la liberté pour les peuples de se déplacer librement… Ici, nous sommes une seule nation… Que les compétiteurs apprennent avant tout à se connaître à travers le sport, plutôt que par l’entremise d’une absurde course aux armements.” A bon entendeur, salut.”

L’Express du 27 juillet 1984

Jacques Delors attendu à Bruxelles

En juillet 1984, après la chute du gouvernement Mauroy, Jacques Delors, ministre de l’Economie et des Finances n’est pas reconduit à son poste mais sa nomination comme président de la Commission européenne semblait déjà actée depuis quelques semaines comme l’explique José-Alain Fralon.

Le ministre de l’Economie, Jacques Delors, le 4 novembre 1982, à Paris

“Sur la brèche depuis le 10 mai 1981 au soir – les lampions de la fête de la Bastille n’étaient pas encore allumés qu’il mettait au point, avec le directeur de la Banque de France, un dispositif visant à stopper la première hémorragie de devises du septennat – Jacques Delors était, dit-on, fatigué. Fatigué et un peu déçu : il estimait les méthodes du gouvernement de plus en plus inadaptées aux nécessités de la rigueur. Fatigué et… peu disposé à bien s’entendre avec le nouveau Premier ministre : chacun sait que le courant passait mal entre Delors, le catholique austère et appliqué, l’ancien employé de la Banque de France, et Fabius, le bourgeois, le fils de famille, qui collectionnait les diplômes avec une nonchalance étudiée. Quant aux rapports avec François Mitterrand, ils se détérioraient. Le président de la République avait mal accepté les menaces de démission successives de son ministre des Finances. La coupe fut pleine lorsque, au lendemain des élections européennes, Jacques Delors, invité de l’émission L’Heure de vérité, parla comme un Premier ministre en puissance et osa même donner, sans l’aval du “château”, son avis sur la conduite des affaires du pays. Après la Rue de Rivoli, pourquoi pas Bruxelles, où était ouverte la succession du Luxembourgeois Gaston Thorn à la tête de la Commission européenne ?

Tout s’est joué lors du sommet européen de Fontainebleau, les 25 et 26 juin dernier. Là, entre une séance de négociation sur le montant du chèque destiné à Margaret Thatcher et une autre sur les ressources financières de la CEE, Helmut Kohl et François Mitterrand évoquent la question de la Commission. En principe, le poste revient à un Allemand. Faute de candidats de qualité – le poste intéresse peu les ténors de la politique allemande – Bonn passerait bien la main à Paris, en échange, prétendent les mauvaises langues, d’une dérogation à la politique agricole européenne en faveur des agriculteurs allemands. “Si c’est Delors, d’accord”, aurait dit le Chancelier. Les autres pays – qui pouvaient présenter des hommes de valeur comme le Belge Etienne Davignon, l’un des animateurs de l’actuelle Commission – n’ont d’autre solution que d’obtempérer : en matière européenne, lorsque Français et Allemands sont prêts à s’entendre… De leur côté, les Britanniques auraient donné leur aval à un candidat français, à condition que ce ne fût pas Claude Cheysson, dont on a mal apprécié, outre-Manche, les efforts pour isoler la Grande-Bretagne lors des récentes négociations européennes. Jacques Delors fait donc l’unanimité.”

L’Express du 27 juillet 1984

La semaine prochaine, retrouvez l’été 94 en archives.




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