Une boîte de mouchoirs, un fauteuil et un divan – rouge, de préférence. La mise en scène est familière – et presque réconfortante. D’Alfred Hitchcock dans Pas de printemps pour Marnie à David Cronenberg dans A Dangerous Method – sans oublier, non plus, quasiment l’intégralité de la filmographie de Woody Allen –, la psychanalyse est une figure imposée du grand et du petit écran. Pour connaître l’intimité d’un personnage, rien de tel que de pénétrer dans celle du cabinet d’un psy. L’imaginaire mobilisé par les cinéastes est souvent le même : l’inévitable divan, les silences, très longs, la relation, souvent ambiguë, entre l’analyste et son ou sa patiente.
Inventions de la fin du XIXe siècle, cinéma et psychanalyse ont depuis leur origine des destins intimement liés. Non sans quelques obstacles : Sigmund Freud a refusé, en pleine période du cinéma naissant, d’assister le cinéaste G. W Pabst sur son film Les Mystères d’une âme, pourtant inspiré de sa théorie de l’inconscient et du refoulement. En dépit des appels répétés de la maison de production, il n’a pas non plus cédé aux sirènes de la Metro Goldwyn Mayer. Peine perdue : malgré les réticences de son créateur, le cinéma n’a pas arrêté de puiser dans les motifs freudiens.
La psychanalyse, avec ses mystères et ses interrogatoires, se prête volontiers au schéma du film noir ou policier. Les maîtres du genre ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Dès les années 1940, Alfred Hitchcock lancera la mode avec La Maison du Dr Ewardes, où Constance Petersen, psychanalyste, tente de résister (en vain) à ses sentiments pour J. B., amnésique au passé trouble. D’autres films noirs empruntant à la psychanalyse viendront ensuite. Dans La Double énigme de Robert Siodmak, sorti en 1946, le héros, psychiatre, trouve l’identité d’une meurtrière. La même année, dans Le Médaillon de John Brahm, un millionnaire reçoit la visite d’un psychanalyste la veille de son mariage – avec des mauvaises nouvelles sur le passé de sa dulcinée. Bien plus tard, Brian De Palma avec L’Esprit de Caïn (1992) ou Martin Scorsese avec Shutter Island (2010) utiliseront également la discipline pour révéler les traumatismes de leurs personnages.
En France, ce procédé est aussi employé dans des films comme L’Amant double de François Ozon, où Jérémie Renier incarne un thérapeute aussi beau qu’inquiétant. Car s’il est le destinataire des névroses de ses patients, le psychanalyste est aussi souvent l’objet de leurs désirs. Il peut même en être l’acteur : dans A Dangerous Method, Cronenberg dissèque la relation tumultueuse entre Sigmund Freud, Gustav Jung, fondateur de la psychologie analytique, et Sabina Spielrein, une patiente navigant entre les deux hommes.
Des Soprano à En Thérapie
Quand il s’extrait du jeu, le psy est aussi un formidable instrument narratif. Quoi de mieux que son cabinet pour comprendre un héros, disséquer ses fantasmes, ausculter ses émotions ? Dans la série de HBO Les Soprano, les séances entre Tony Soprano, mafieux du New Jersey en pleine crise de la quarantaine, et le Dr Jennifer Melfi permettent de mettre en marche le récit. La psyché de Soprano y est passée au crible, pour différencier ses actions du rapport qu’il en fait : la réalité est régulièrement beaucoup plus crue que ce qu’en raconte le mafieux, soucieux de camoufler ses crimes par des ellipses révélées via le montage. En face, le Dr Melfi joue le jeu, psy attentionnée et scrupuleuse face à un client déterminé à ne pas tout lui révéler. Le procédé, ludique, fait le sel de la série. Il est aussi très réaliste : l’association américaine de psychologie lui a délivré plusieurs prix, notamment pour la qualité de la “représentation artistique de la psychanalyse et de la psychothérapie analytique”. Ultime compliment, Lorraine Bracco, l’interprète du Dr Melfi, s’est même vu décerner la récompense de “la plus crédible psychanalyste à être apparue au cinéma ou à la télévision”.
En France, le psy est souvent plus discret. Sa présence, plus ténue que celle des professionnels américains, reste néanmoins incontournable. Motif récurrent des films d’Arnaud Desplechin, la psychanalyse est souvent une toile de fond, un moyen de mieux connaître les névroses des personnages principaux. Dans Au bout du conte, de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, le personnage de Pierre – joué par Bacri – se soumet brièvement aux questions d’un professionnel, réticent à la psychanalyse. Ce n’est que récemment, avec le succès d’En Thérapie – adaptation de la série israélienne BeTipul – que le cabinet devient un personnage à part entière d’une œuvre du petit écran français. L’analyse a encore de beaux jours devant elle.
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