On a coutume de dire que les nouveaux convertis sont les plus dévots, les plus prosélytes. Les déconvertis, les déçus qui comprennent qu’ils se sont trompés ou qu’ils l’ont été sont-ils alors les plus féroces détracteurs de leur ancienne croyance ? Ils font en tout cas partie des plus motivés et des plus captivants. C’est le cas d’Elisabeth Feytit, 51 ans, documentariste et ex-adepte radicale des pratiques New Age.
Une marmite dans laquelle elle tombe à 27 ans, poussée par sa compagne, elle-même versée dans les pratiques spirituelles. Sa vie se met alors à tourner autour des ressentis spirituels. “J’étais persuadé que des énergies pouvaient perturber certains lieux. Par exemple, je refusais de m’assoir sur certaines places dans le métro car j’étais persuadé qu’elles étaient pleines d’ondes négatives”, se souvient-elle. Cette obsession la conditionne, “comme une phobie”.
Effet boule de neige, elle se met à croire aux théories conspirationnistes, des Illuminati et reptiliens qui contrôleraient le monde, aux chemtrails, ces traînées dans le ciel qui nous empoisonneraient, en passant par les enfants indigo, êtres supérieurs censés sauver l’humanité. Et puis un jour, elle tombe sur une vidéo YouTube. Jessica Schab, une ancienne gourou, demande simplement à ses auditeurs si ce en quoi ils croient les aide réellement. Elisabeth s’interroge. Elle la contacte, échange avec elle. C’est le déclic. Elle déconstruit peu à peu ses croyances. “Le fait qu’elle prenne la parole publiquement m’a donné la force de le faire à mon tour. C’est pourtant difficile : il y a une certaine honte à admettre qu’on a cru en des choses délirantes”, confie-t-elle.
Interroger ses croyances
Depuis, Elisabeth témoigne, et pas qu’un peu. Son podcast Méta de choc, lancé en 2019, cumule 220 épisodes d’une heure. Un rendez-vous hebdomadaire qui veut offrir un espace de réflexion propice à la pensée critique et à la remise en question grâce à des analyses d’experts – scientifiques, psychologues, historiens – et des témoignages. Parfois, la critique est incisive. Elisabeth n’hésite pas à dénoncer les personnes publiques qui peuvent être dangereuses. Comme elle l’a fait pour Issâ Padovani, chantre de la communication non violente, ou encore pour les pontes de l’anthroposophie, ce courant ésotérique aux dérives inquiétantes. “Mais le plus souvent, il suffit de nommer les choses, de décrire des pratiques sans même avoir besoin de dire qu’elles sont scandaleuses, et les gens comprennent d’eux-mêmes”, assure-t-elle.
Pour autant, elle ne stigmatise jamais les croyants. Son approche se veut empathique, bienveillante, en écho à sa propre expérience. Elle use aussi d’autodérision. “Il faut aussi savoir se dire : ‘OK, j’ai cru en des choses extraordinaires, mais j’ai le droit d’accepter de m’être trompée et d’en rire'”, indique-t-elle. Un moyen – le meilleur ? – d’aider les gens à sortir de pratiques qui peuvent être délétères, voire dangereuses pour eux. “Mon but est que nous nous demandions si nos croyances nous font du bien, si nous savons d’où elles viennent, ce qu’elles sont, s’il y a des dérives et, une fois qu’on le sait, si cela correspond toujours à nos valeurs.” Comme dans ses épisodes sur la lithothérapie, une pratique pseudoscientifique selon laquelle certains cristaux auraient un pouvoir de guérison, qui contribue pourtant à l’exploitation d’enfants dans des mines.
300 000 écoutes par mois, zéro publicité
La recette fonctionne. “Méta de choc” génère 300 000 écoutes par mois. Si cette audience était monétisée, elle pourrait rapporter au moins 30 000 euros par mois… Mais Elisabeth est une farouche anti-publicité et ne se finance que par les dons de ses auditeurs. Qui rapportent 5 000 euros mensuels tout de même. La somme reste modeste pour ce travail titanesque. “Il y a 1 000 coupes au montage en moyenne par épisode, confie-t-elle. Sans compter la documentation en amont.”
Mais l’exercice use. Ses congés depuis cinq ans se comptent sur les doigts d’une main. Son objectif ? Atteindre 10 000 euros par mois, afin de recruter pour l’aider à la réalisation et la diffusion ainsi que de prendre du repos. Malgré tous ces efforts, elle doit aussi faire face à des réactions parfois violentes d’auditeurs en colère. “Nos croyances façonnent nos relations sociales, notre manière d’être et de penser. Les interroger peut provoquer un inconfort”, explique-t-elle. Heureusement, ils sont bien plus nombreux à la remercier de les avoir aidés à y voir plus clair. Un carburant indispensable pour poursuivre sa démarche d’éducation, et sa passion.
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